Le crémant d’Alsace, ce vin effervescent encore trop peu connu

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Quarante ans après la naissance de l’appellation, le crémant d’Alsace a fait son trou en France mais cherche à se positionner sur le marché mondial très porteur des vins effervescents, sur lequel il souffre encore d’un certain manque de notoriété.

Dans un vaste hangar de Steinbach, au sud de la route des vins d’Alsace, des bouteilles défilent la tête en bas pour être soumises au processus de dégorgement, étape essentielle de la fabrication du crémant: on réfrigère le col de la bouteille pour emprisonner le dépôt dans un bouchon de glace. Puis on décapsule pour expulser le glaçon. Un vin pétillant doit être parfaitement brillant et limpide.

Cette méthode, identique à celle utilisée pour le champagne, a été appliquée à certains cépages alsaciens (pinots blanc, gris et noir, riesling, parfois associés au chardonnay) dès la fin du XIXe siècle, d’abord à toute petite échelle, avant une explosion de la production après la création de l’Appellation d’origine contrôlée (AOC) en août 1976.

Devant son hangar, Jacques Cattin, président du Syndicat des producteurs de crémant d’Alsace, a le sourire. Sur les 35 millions de bouteilles de crémants d’Alsace produites annuellement, deux millions sortent de sa cave.

Dominant largement en volume la production française de vins effervescents d’origine contrôlée (hors champagnes), le crémant d’Alsace se vend de mieux en mieux hors de France: 21% de la production est aujourd’hui exportée, contre 15% il y a dix ans.

Selon une étude de FranceAgriMer, la consommation mondiale de vins effervescents a cru de 4,1% entre 2005 et 2014, celle de vins tranquilles de seulement 1,3%.

Synonymes de fête, « les bulles ont extraordinairement le vent en poupe en Europe et dans le monde entier », constate Frédéric Bach, directeur de l’association des viticulteurs d’Alsace, alors que le crémant représente aujourd’hui le quart des volumes de vin AOC produit en Alsace.

En tête des acheteurs de crémant d’Alsace figurent la Belgique et l’Allemagne, mais les Etats-Unis, devenus les premiers consommateurs au monde de vins à bulles, offrent des perspectives prometteuses.

« Le crémant d’Alsace n’a pas forcément vocation à se développer encore beaucoup en volume. Notre souhait, c’est le positionnement dans le haut de gamme du marché mondial du vin effervescent », explique Olivier Sohler, directeur du Syndicat des producteurs de crémant d’Alsace, qui aspire à faire comprendre aux consommateurs anglo-saxons « la démarche qualitative qui se cache derrière le crémant ».

Compléxité aromatique et terroir

Une mission pas toujours facile, le crémant évoluant dans une sorte de « ventre mou » entre l’image de luxe associée au champagne et l’attractivité de produits meilleur marché comme le prosecco italien, prisé des amateurs de cocktails.

Face au prosecco, dont la deuxième fermentation (qui produit l’effervescence) se fait dans une cuve close et non dans la bouteille –ce qui revient nettement moins cher–, les producteurs de crémant d’Alsace ont tendance à repousser les limites de leur cahier des charges.

Celui-ci impose aujourd’hui une durée minimale de prise de mousse de douze mois (contre neuf à l’origine, en 1976), identique à celle des champagnes non millésimés.

Toutefois, certaines maisons laissent reposer des bouteilles 18, 24, 36 mois, et même cinq ans, pour produire des cuvées de prestige vendues jusqu’à 30 euros, l’allongement du temps de fermentation sur lattes augmentant la complexité aromatique.

Le choix d’une fermentation plus longue que le minimum requis n’est pas négligeable pour les petits producteurs, pour qui elle représente de la trésorerie en sommeil.

« Produire un crémant à 8 ou 10 euros la bouteille n’est pas toujours très rentable », constate Jean-Pierre Rietsch, qui produit des vins naturels à Mittelbergheim et souligne que « le produit n’est peut-être pas suffisamment valorisé ».

« En Alsace, il y a beaucoup de petits producteurs qui font du crémant, c’est très artisanal. Je ne sais pas si on peut influer sur l’avenir du crémant, face à des bulldozers comme le prosecco », estime Régine Baur, viticultrice à Voegtlinshoffen.

Pour le spécialiste des vins effervescents Guenaël Revel, « il faut faire attention à ne pas répondre uniquement par le volume à la demande étrangère: il faut rester authentique, car s’il y a bien une région qui a un terroir, c’est l’Alsace ».

« Pendant trop longtemps, on a pensé que les vins effervescents étaient des vins technologiques, pour lesquels tout se faisait en cuverie, mais la nouvelle génération a compris l’importance du terroir », se réjouit l’auteur d’un guide des « champagnes et autres bulles ».

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