Marcus Samuelsson, le « célébri-chef » de Big Apple

Suédois d’origine éthiopienne, le vainqueur de Top Chef Masters 2010 a pris ses quartiers au nord de Manhattan. La nouvelle star des fourneaux a choisi Harlem et lui redonne tout son glam. Sans oublier son combat pour une alimentation saine et le développement durable.

On n’avait plus vu telle folie depuis la grande époque de Harlem, dans les années 30. Plutôt que de choisir Soho pour l’after-party de son concert au légendaire Apollo Theater, en décembre dernier, Paul McCartney a invité ses amis Keith Richards, Val Kilmer, Chris Rock et bien d’autres à déguster « local ». L’ex-Beatles s’est rendu quelques blocs plus loin, au Red Rooster, le tout dernier restaurant du chef star Marcus Samuelsson. Derrière les néons de son enseigne, l’ancien ghetto noir retrouve ses parures de fête, autrement que pour la messe du dimanche : fedora et gilet pour les messieurs, talons-fourrures pour les dames. Le choix du quartier, au niveau de la 125e et de Lenox Avenue, a déboussolé la Big Apple. Harlem, la nouvelle destination du samedi soir ? La foule bigarrée qui se presse au Red Rooster ne permet plus d’en douter.

UN CHEF SANS FRONTIÈRES

Né en Ethiopie, adopté à l’âge de 3 ans par un couple suédois, Marcus Samuelsson glisse avec grâce entre les fourneaux, les plateaux de télévision et les événements mondains. La cuisine de ce globe-trotter des papilles est à la croisée de ses chemins personnels : diverse, métissée, pluriethnique. Le chef puise son inspiration dans ses souvenirs d’enfance : la pêche à l’écrevisse, au homard et au maquereau pendant ses vacances en famille à Smögen, sur la côte ouest suédoise. Avec sa grand-mère Helga, il s’amuse très tôt à fumer le poisson et à faire des conserves… Sans oublier les mets éthiopiens, imprégnés d’épices et de spiritualité.

Diplômé de l’institut culinaire de Göteborg, passé par le Georges Blanc, le 3-étoiles Michelin de Vonnas, en France, Marcus Samuelsson est un chef sans frontières. Avec Aquavit, l’enseigne scandinave où il a fait ses débuts new-yorkais, il devient, à 24 ans, le plus jeune chef à recevoir les très convoitées trois étoiles des pages culinaires du New York Times. En 2003, la fondation James Beard le sacre « Meilleur chef » de la Big Apple. Last but not least, il figure au tableau des « Grands chefs » désignés par l’Institut culinaire américain. Ce très télégénique génie de la cuisine est aussi le vainqueur de Top Chef Masters 2010. Best of the best, il a été choisi pour orchestrer le premier grand dîner officiel du couple Obama à la Maison Blanche en l’honneur du Premier ministre indien, le 24 novembre 2009.

À 10 heures du matin, le jour de notre rendez-vous, le Red Rooster bruisse déjà d’activités. Marcus Samuelsson, qui vit quelques blocs plus loin dans un duplex avec sa femme, le mannequin Maya, termine une réunion organisée autour d’une des tables situées à l’avant du restaurant, baigné de lumière naturelle. C’est dans cet espace ouvert, près des livres et autres objets vintage glanés dans le quartier, que le chef nous reçoit « comme à la maison ». « C’est l’histoire de l’endroit où je vis, ce qui rend cette expérience unique, explique-t-il. Je me suis toujours senti connecté à ce quartier. Quand je vivais en Suède, je lisais les auteurs de la Renaissance de Harlem, comme Langston Hugues. J’avais entendu parler des adresses magiques comme le Lenox Lounge, l’Apollo Theater et le Sugar Hill. Une fois arrivé ici, j’ai découvert tous ces magnifiques immeubles et fait la connaissance des habitants. Harlem a une histoire à raconter. En même temps, il y avait beaucoup de problèmes dans le quartier. Je me suis dit qu’un jour, j’aimerais ouvrir un restaurant et aider cette communauté à s’épanouir. »

UNE PASSION HARLÉMITE

Le Harlémite d’adoption a conçu son établissement de 100 couverts, ouvert en 2010, en référence à son environnement. Côté design, la palette de couleurs terre rappelle les façades des fameux brownstones, les maisons historiques des rues alentours, ainsi que les fières églises qui parsèment le paysage. Le grand bar en forme de fer à cheval allie cuivre et bois mahogani, deux matériaux essentiels des intérieurs anciens. Les artistes présentés au mur sont tous des autochtones ou tirés de la collection du Harlem Studio Museum, situé un peu plus loin sur la 125e rue, baptisée Martin Luther King Boulevard.
Grâce à sa cuisine, Marcus Samuelsson espère faire redécouvrir la capitale historique de l’Amérique noire. « Les chefs s’intéressent toujours à de nouveaux territoires. C’est ce qui s’est passé à Brooklyn, puis à TriBeCa. Il y a trente ans, quand Keith McNally y a ouvert Odéon, il n’y avait pas de restaurant. Au début des années 2000, quand Wylie Dufresne a inauguré WD-50, il était aussi unique de voir ce genre d’établissement dans le Lower East Side. En tant que chefs, nous pouvons être des pionniers en développant le potentiel d’un lieu. Je pense que l’on peut apprendre sur l’endroit à travers un restaurant. »
Ouvrir un établissement comme Red Rooster dans un quartier populaire représente un nouveau départ par rapport à la carte gastronomique d’Aquavit.

« C’est une partie différente de la ville, une charte de prix différente et une atmosphère différente », martèle le chef. Le menu respire la cuisine soul food, qui tire ses origines de l’alimentation simple mais roborative des esclaves du sud des États-Unis. Le chef y ajoute sa touche contemporaine et son savoir-faire international. Les assiettes sont garnies de poulet frit et de sa sauce épaisse à la noix de muscade, de boulettes de viande accompagnées d’airelles – une recette suédoise de grand-mère Helga – de Mac & Cheese, un gratin de pâte aux trois fromages et épinards, d’une purée de Yam et de patates douces, bacon et sauce au raifort, de Corn Bread (pain de maïs) au beurre de miel et à la confiture de tomate. Le top des desserts ? Des beignets à la patate douce et crème fouettée au citron. À tester également : le Brunch Gospel, une alternative gourmande à la messe doublée d’un voyage culinaire dans les saveurs locales… « Red Rooster est dans l’esprit de la « comfort food » américaine, avec des nuances qui représentent mon périple de l’Ethiopie à New York, en passant pas la Suède, mon parcours pour devenir américain », explique le chef.

UNE RÉFLEXION GLOBALE

Ouvert sur le monde, Marcus Samuelsson est particulièrement sensible aux grands enjeux de notre époque. Il était invité au Forum économique de Davos, en janvier dernier. « Les défis que nous rencontrons dans le domaine de l’alimentation sont énormes, souligne-t-il. Regardez, le Brésil vient d’annoncer qu’en sept ans, sa classe moyenne a grossi de 37 millions d’individus. Ajoutez à cela la croissance de la population en Chine et en Inde. Cela représente 300 ou 400 millions de personnes, la taille de l’Europe. Ils ne vont pas tous manger du steak et des sushis. D’où la nourriture viendra-t-elle ? C’est une énorme question. L’Amérique, elle, a d’autres problèmes, l’obésité, le diabète, les allergies. Nos habitudes alimentaires sont incompatibles avec le développement durable. »

Marcus Samuelsson a trouvé une alliée en la personne de la Première dame, Michelle Obama, qui se bat pour une alimentation plus saine aux États-Unis. Il invite également les enfants des écoles dans sa cuisine pour leur apprendre l’utilisation des produits locaux. Très connecté au monde, il partage aussi sa philosophie sur Internet et via les réseaux sociaux. Son site est une mine de réflexions et de recettes originales. Son compte Twitter @MarcusCooks est le rendez-vous des foodies. « C’est la voie que nous avons choisie avec mon équipe. Nous voulons construire une tribu, une communauté autour de l’alimentation, quelque chose d’excitant à partager. Nous nous intégrons dans une « conversation » globale », s’enthousiasme ce féru de nouvelles technologies.
Bien dans son époque, ce « célébri-chef » de tout juste 40 ans bouscule l’image classique du cuisinier. Au travail, il troque la blouse blanche pour une chemise en denim, un tablier de couleur noué sur les hanches, autrement plus sexy. À la ville, il porte le plus souvent des jeans, une casquette militaire kaki et, en hiver, des cols roulés et des pantalons en laine. Demande-t-il conseil à sa femme, la belle Maya de l’agence Elite ? « Elle est beaucoup plus structurée que moi dans ce domaine, c’est son métier. Elle peut m’indiquer ce qui va avec quoi. C’est comme en cuisine, parfois je lui dis, ah non, tu ne peux pas faire ça. Et elle en revanche peut me reprendre sur mon style. » Qu’importe, Marcus Samuelsson remporte la palme du chef le plus trendy, et ce n’est qu’une des bonnes raisons de faire un détour par Harlem !

PAR ÉLODIE PERRODIL

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