Des miracles avec peu: trois chefs revisitent des classiques du terroir

© Anthony Florio
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

« J’ai envie de faire de l’ordinaire extraordinaire », déclarait le chef Paul Pairet, consultant à l’Hôtel de Crillon, livrant les bases d’un manifeste gastronomique à décliner aux quatre coins du globe. Trois chefs en vue relèvent le défi.

1. David Grosdent, 34 ans, de L’Envie, à Zwevegem

Passé par de grandes maisons avant d'ouvrir son enseigne, David Grosdent a été élu Jeune chef 2021 pour la Flandre au Gault & Millau et a reçu une étoile Michelin.
Passé par de grandes maisons avant d’ouvrir son enseigne, David Grosdent a été élu Jeune chef 2021 pour la Flandre au Gault & Millau et a reçu une étoile Michelin.© ANTHONY FLORIO

« Je signe depuis toujours une cuisine avec une identité forte. La saison et le terroir me tiennent à coeur. Peut-être trop, car parfois je suis vu comme un terroriste du produit de proximité. Cela se traduit surtout dans les poissons que je travaille, qui proviennent essentiellement de la mer du Nord. Je pars du principe qu’il n’y a pas de hiérarchie entre les produits, je suis convaincu qu’un poireau vaut un homard si on le travaille comme il faut. J’aime revisiter des préparations familiales comme la gaufre de Liège, que je sers en mignardise, ou encore la crêpe normande, qui est un classique de la maison. Ma cuisine est assez traditionnelle, notamment parce que je pratique la cuisson sur coffre et que la basse température n’est pas mon truc. Il reste que j’arrive à « twister » les plats grâce à un travail précis sur l’acidité. Bien maîtrisée, celle-ci apporte de la fraîcheur, comme dans la recette de jets de soja et de mousseline à la Cantillon que je propose. »

Des miracles avec peu: trois chefs revisitent des classiques du terroir
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Jets de soja, mousseline à la gueuze cantillon, oeuf poché façon David Grosdent

Pour 4 personnes

  • 11 oeufs (bien frais)
  • 1 kg de jets de soja (bien frais et croquants ou, en saison, des jets de houblon)
  • 1 petite bouteille de gueuze Cantillon (si possible)
  • vinaigre à la kriek Cantillon (à défaut, du vinaigre de framboise)
  • 50 g de ciboulette finement ciselée
  • 50 g de persil haché
  • 300 g de beurre doux
  • 15 g de farine
  • sel et poivre
  • noix de muscade

1. Nettoyer les jets de soja.

2. Préparer une cuisson à blanc avec 1 l d’eau, de la farine et un trait de vinaigre. Y plonger les jets et les cuire 2 minutes. Refroidir directement dans des glaçons.

3. Chauffer un peu d’eau avec du vinaigre (pour la cuisson de l’oeuf).

4. Faire fondre 250 g de beurre.

5. Réaliser une mousseline avec trois jaunes d’oeufs. Mouiller la casserole avec de la gueuze Cantillon. Verser les jaunes d’oeufs dans la casserole et mélanger au fouet d’abord hors du feu. Il faut un mélange liquide. Porter sur feu moyen sans cesser de fouetter. Attention aux bords de la casserole, le jaune risque d’y cuire. Incorporer le beurre fondu en continuant à fouetter. Terminer avec du poivre, de la noix de muscade, un trait de vinaigre pour l’acidité et les herbes fraîches.

6. Réserver dans un endroit chaud.

7. Cuire les oeufs dans la casserole d’eau et de vinaigre. Celle-ci doit être frémissante. Cuire délicatement les oeufs 2 par 2 (cuisson 3 à 4 minutes).

8. Réchauffer les jets dans une petite réduction de gueuze avec le reste du beurre (50 g).

9. Dresser les jets au fond de l’assiette avec un peu de jus de cuisson, ajouter deux oeufs par assiette et terminer généreusement avec de la mousseline.

2. Stéphane Diffels, 47 ans, de L’Air de rien, à Fontin

Formé à l'IFAPME, Stéphane Diffels a ouvert son restaurant en 2009, juste après ses études, d'où son style très personnel.
Formé à l’IFAPME, Stéphane Diffels a ouvert son restaurant en 2009, juste après ses études, d’où son style très personnel.© ANTHONY FLORIO

« Je pratique une cuisine de terroir assez brute avec des produits locaux. Pour moi, le comble du talent, c’est de parvenir à signer un plat dont les contours simples cachent l’énorme travail en amont. Un peu comme ces sportifs dont les mouvements fluides nous font penser que la discipline qu’ils pratiquent est ultrasimple. L’ordinaire qui s’invente extraordinaire est mon fond de commerce, ce que je fais au quotidien, j’ose croire que c’est même ma signature. En cela, je suis fort inspiré par la cuisine nordique qui fait des miracles avec peu. Je ne revisite pas souvent des classiques du répertoire franco-belge mais cela peut m’arriver, à l’instar du poireau vinaigrette. J’aime aussi les clins d’oeil inattendus. Par exemple, concentrer les sensations et les émotions d’une préparation comme les carbonnades flamandes dans un simple amuse-bouche. J’adore ce jeu d’échelle. La recette de pot-au-feu que je livre est un plat phare de L’Air de rien. Ce sont les diverses cuissons qui font la différence. »

  • L’Air de rien, 14, place du Vieux tilleul, à 4130 Fontin. lairderien.be

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Pot-au-feu de légumes façon Stéphane Diffelst

Pour 4 personnes

Pour le bouillon

  • 1 poule
  • 2 verres de vin blanc
  • 3 feuilles de laurier
  • 3 oignons
  • 3 gousses d’ail
  • 1 c à c de miel
  • 5 cl de vinaigre de vin blanc

Pour les légumes

  • 1 chou-rave
  • 300 g de topinambours (purée)
  • 4 feuilles de chou de Savoie
  • 1 persil tubéreux
  • 100 g de butternut
  • 1 panais
  • 100 g de sucre
  • 200 cl de vinaigre d’estragon
  • câpres d’ail des ours (*) à préparer en amont
  • beurre
  • sel
  • graines de fenouil

Pour les carottes en saumure (en prélever une pour la préparation)

  • 40 cl de vinaigre de vin blanc
  • 500 cl d’eau
  • 4 g de sel
  • 100 g de sucre
  • 5 g de graines de moutarde
  • 2 g de poivre noir en grains
  • 10 g de graines de fenouil
  • 400 g de carottes (violettes idéalement)

Pour les câpres d’ail des ours en saumure (en prélever quelques-uns pour la préparation)

  • 40 cl de vinaigre de vin blanc
  • 500 cl d’eau
  • 4 g de sel
  • 100 g de sucre
  • 5 g de graines de moutarde
  • 2 g de poivre noir en grains
  • 500 g de câpres d’ail des ours

1. Trois semaines à l’avance. Préparer le chou-rave fermenté: plonger le chou-rave épluché dans de l’eau salée à 3%, l’immerger totalement dans un récipient parfaitement fermé, hermétique à l’air. Attendre 3 semaines. A conserver au frigo après ouverture. En prélever 100 g pour la préparation.

2. Deux semaines à l’avance. Préparer les deux saumures en mélangeant les ingrédients.

3. Préparer les câpres d’ail des ours: après la floraison, récolter les graines et les recouvrir de sel, les laisser au frigo pendant 7 jours, les rincer, puis les plonger dans la saumure dans un récipient hermétique. Et les laisser reposer une semaine. En prélever un peu pour la préparation.

4. Le jour même. Découper tous les légumes épluchés en rondelles. Conserver les épluchures.

5. Cuire le chou de Savoie dans une sauteuse avec une noisette de beurre, un filet d’eau et du sel.

6. Cuire le butternut avec 100 g de sucre, 200 cl de vinaigre d’estragon, 300 g d’eau, sel et graines de fenouil.

7. Bien nettoyer les topinambours et les cuire au four avec leur peau à 150 °C pendant 30 minutes, avec beaucoup de beurre, jusqu’à ce qu’ils soient fondants. Les topinambours doivent être couverts de beurre à moitié. Assaisonner. Réserver le beurre de cuisson et mixer les topinambours.

8. Cuire le persil tubéreux avec du beurre noisette et du sel (pour le beurre noisette, le chauffer jusqu’à ce qu’il ait une belle couleur dorée et qu’il sente la noisette).

9. Cuire le panais dans du beurre tout doucement.

10. Cuire la carotte dans sa saumure.

11. Pour le bouillon, découper la poule en grosses portions et la pincer au four à 220 °C, 1 heure, pour qu’elle dore. La mettre à bouillir avec l’ail, les oignons, le laurier, le vin blanc et mouiller à hauteur avec de l’eau.

12. Ajouter toutes les parures et épluchures des légumes (bien lavées) et laisser frémir 5 à 6 heures.

13. Passer au chinois, assaisonner avec vinaigre de vin blanc, sel et miel.

14. Dressage: Disposer les topinambours dans le fond d’une assiette creuse. Y déposer les légumes coupés, ajouter les câpres. Verser le bouillon et ajouter un peu du beurre de cuisson des topinambours.

3. Kevin Perlot, 26 ans, du Vertige, à Bruxelles

Kevin Perlot a passé trois ans à L'Air du temps, puis a officié chez Pépite, à Namur. En 2020, il est revenu dans le giron de SangHoon Degeimbre et a pris les manettes du restaurant San, rebaptisé Vertige. La Covid a coupé son élan.
Kevin Perlot a passé trois ans à L’Air du temps, puis a officié chez Pépite, à Namur. En 2020, il est revenu dans le giron de SangHoon Degeimbre et a pris les manettes du restaurant San, rebaptisé Vertige. La Covid a coupé son élan.© ANTHONY FLORIO

« A l’heure où le mot local est galvaudé, plus personne n’oserait affirmer qu’il fait du « global », il est crucial de redorer la blason du circuit court. Cela demande de la discipline car si l’on s’en tient à ce qui sort de terre, notamment en hiver, c’est la galère. Il est impératif de renverser les schémas, notamment en élaborant les menus en fonction de ce qui peut être fourni. Cela a l’air simple mais ce n’est qu’au prix d’un énorme effort créatif qu’on y arrive. Heureusement, le végétal a un puissant pouvoir d’expression en raison de ses textures, couleurs et saveurs. Pour ce qui est des classiques, on a tendance à penser que ces préparations n’ont plus rien dans le ventre. Mais quand on se penche dessus, on se rend compte que ces plats sont sans cesse à réinventer. J’ai revisité ici un souvenir dominical un peu écoeurant, la tarte au sucre. Avec l’amertume de la bière, c’est une tout autre expérience, une autre histoire. »

Des miracles avec peu: trois chefs revisitent des classiques du terroir
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Tarte au sucre façon Kevin Perlot

Pour 8 personnes

Pour la pâte sucrée

  • 125 g de beurre pommade
  • 30 g de poudre d’amande
  • 120 g de sucre glace
  • 2 g de sel fin
  • 1 oeuf
  • 260 g de farine T55

Pour l’appareil sucre-bière

  • 5 jaunes d’oeufs
  • 3 blancs d’oeufs
  • 300 g de sucre fin
  • 400 g de sucre muscovado ou cassonade
  • 2 bières Bruxellensis de la Brasserie de la Senne (à défaut, de l’Orval)

1. Commencer par la pâte sucrée. Fouetter le beurre mou dans un saladier pour le rendre lisse.

2. Ajouter le sucre glace et fouetter à nouveau pour bien incorporer le sucre. Mélanger à nouveau après avoir ajouté la poudre d’amande, le sel et l’oeuf.

3. Disposer la farine en forme de puits sur le plan de travail et ajouter le mélange crémeux beurre-sucre en son centre. Commencer à mélanger avec une corne ou un grand lèche-plat les deux éléments comme si vous vouliez « hacher » le tout avec la tranche de votre ustensile.

4. Après quelques minutes seulement, la pâte va se former. Saupoudrer un tout petit peu de farine sur la pâte pour finir de l’amalgamer et en faire une boule légèrement aplatie. Filmer la boule de pâte au contact et réserver au frais pendant au moins 3 heures.

5. Pour préparer l’appareil sucre-bière, faire réduire les bières de 2/3.

6. Mélanger ensuite dans un bol tous les ingrédients au fouet jusqu’à ce que les grains de sucre commencent à fondre avec l’humidité.

7. Préchauffer le four à 160 °C.

8. Après 3 heures de repos, récupérer la pâte et l’étaler (épaisseur de 3 mm) sur un plan de travail fariné. Puis rouler la pâte autour de votre rouleau pour venir ensuite la dérouler sur votre moule à tarte.

9. Foncer le moule et enfourner pendant 10-12 minutes afin de cuire la pâte à blanc.

10. Farcir le fond de tarte encore dans son moule avec le mélange sucre-bière et cuire à nouveau 9-10 minutes.

11. Laisser tiédir et déguster.

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