« Les couleurs codifient nos sociétés, on leur obéit sans le savoir »

© Pulp Pictures
Mathieu Nguyen

Agricultrice-coloriste de son état, Frédérique van Zuylen tente de ramener un peu d’harmonie dans nos vies par ses explorations chromatiques, étonnantes et érudites. Elle animera un atelier consacré au rose lors du prochain Dimanche Orange.

« J’adore nommer les choses. Ça me vient de ma mère, qui a toujours insisté sur l’emploi du terme spécifique, du genre: « Ce n’est pas un bleu de Prusse, c’est un bleu outremer. » Elle était tellement pointilleuse que j’ai aiguisé mon oeil et essayé de rechercher le nom des différentes teintes. J’ai commencé à me demander: « Pourquoi dit-on un rouge « carmin »? » » Après des études à Saint-Luc en Arts de l’image, essentiellement axées « peinture et dessin », suivies d’un master en sciences politiques, Frédérique van Zuylen décroche un job dans la diplomatie, puis dans l’événementiel. Il y a sept ans, elle se réoriente vers l’agriculture – les myrtilles bio Fred & Berries, c’est elle – et embrasse simultanément deux autres carrières, l’une dans une coopérative alimentaire, l’autre relative à la formation qu’elle a suivie une fois sortie de l’université, consacrée à la couleur.

Installés pour l’occasion dans le lobby de l’hôtel bruxellois Pantone, on ose alors un mauvais jeu de mot: « Quel est le fil rouge d’un tel parcours? » Résolument polyvalente et peu désireuse de s’encroûter dans un métier spécifique, Frédérique répond simplement: « Le feeling, l’intuition, l’envie. » « L’existence est faite de découvertes et d’expériences, poursuit-elle, on essaye des choses et certaines marchent, d’autres moins. La couleur, j’y suis revenue parce que ça me passionne. Et aujourd’hui, j’ai trouvé un équilibre entre mes passions et ma vie professionnelle. » Conseillère en image personnelle, elle examine la tonalité de la peau, des cheveux, des yeux de ses clients, pour leur fournir ensuite la palette de couleurs ad hoc; un outil pratique pour rationaliser leurs achats en évitant les nuances qui ne leur vont pas. L’harmonie au service du gain de temps et d’énergie, pour le grand soulagement du portefeuille et de la planète. D’où son nom: Buy Less, Choose Well. A ses yeux, ce service un peu hors du commun participe de la même démarche éthique que sa coopérative agricole, dans l’esprit de « consommer moins et mieux » dans un monde en transition – on salue la cohérence et la créativité entrepreneuriale.

Pas du genre à s’écouter parler d’elle-même, Frédérique saisit chaque occasion de digresser sur ces couleurs qui la fascinent tant. On en vient alors au Dimanche Orange, consacré cette fois au rose. Quand les organisateurs lui demandent de participer à la vingtième édition de leur événement annuel, elle accepte, mais à condition de pouvoir proposer non pas une oeuvre, mais un atelier participatif. Ça tombe bien, ce moment de rencontre pluridisciplinaire, où s’entrecroisent concerts, conférences, workshops, entend déconstruire les stéréotypes de genre et des codes liés à ce « petit rouge », devenu l’apanage des fillettes depuis 1920 seulement. « Statistiquement parlant, c’est la teinte la moins appréciée, tous sexes confondus, alors qu’on en parle rarement en mal, observe-t-elle. Elle n’est pas connotée négativement, on « voit la vie en rose », par exemple. » Ambivalent, le rose abrite en lui la confrontation du blanc et du rouge, un mélange de force et de neutralité qui peut évoquer douceur et tendresse, mais aussi érotisme et séduction – quand on ne s’en sert pas pour appuyer une vision surréaliste. Car il y a plus qu’un rose, et c’est là tout le combat de Frédérique: identifier les différentes variantes de tons nous permet de les appréhender dans leur richesse et leur diversité. Elle s’apprête donc à s’interroger sur la perception du rose à travers 35 nuances – Barbie, bubble-gum, cochon, Pompadour, cuisse-de-nymphe, ou encore son préféré, pivoine – et en explorer à la fois les aspects historiques et la place dans l’imaginaire collectif. « Les couleurs ont un impact sur notre comportement, notre langage et notre imaginaire, elles codifient nos sociétés, on leur obéit sans le savoir », conclut-elle. Correctement les nommer revient donc à les faire exister, à recoloriser le quotidien pour le rendre plus harmonieux, soit une bien belle raison de réhabiliter une vaste palette de teintes trop souvent absentes de nos lexiques paresseux.

Dimanche Orange, ce 16 juin à la Maison des Arts de Schaerbeek. www.dimancheorange.be et www.buylesschoosewell.be

Bio express

2006 Termine ses études secondaires à Saint-Luc.

2011 Obtient son Master à l’ULB.

2012 Crée Fred & Berries.

2018 Suit une formation « en couleurs ».

2018 Fonde Buy Less, Choose Well.

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