La truffe ne se laisse pas facilement débusquer. Palpitante partie de chasse dans l’Hérault, avec les chiens du dernier truffier de Saint-Guilhem-le-Désert… Et recettes pour les savourer.

Saint-Guilhem-le-Désert n’a jamais aussi bien porté son nom que ce samedi matin ensoleillé et froid. Nous sommes au coeur de l’hiver et il n’y a pas un chat dans les ruelles désertes de ce bourg médiéval de l’Hérault, joyau de l’art roman connu comme l’un des plus beaux villages de France. Seul un très vieux monsieur bat sa carpette sur le seuil de sa maison classée :  » Vous faites bien de visiter maintenant, lance-t-il. L’été, c’est impossible, de la folie. On ne vit plus !  » Pas un chat, mais bien des chiens. On les entend qui aboient, gémissent, jappent à notre approche. Un coup de feu claque dans la montagne au loin, les contreforts du plateau du Larzac renvoient l’écho. Les chasseurs s’en donnent à coeur joie, le sanglier abonde.  » L’an passé, ils en ont tué 140… et raté 200 « , râle Philippe Ségala. Ce grand échalas chauve, d’ordinaire jovial, est le dernier truffier du village, quand il n’exploite pas son commerce de vin. Les chiens sont les siens. Et les sangliers sa hantise.  » Après le manque d’eau, ces goinfres sont le pire ennemi des truffières. Couché, Mela !  » Le chef de sa petite meute est excité comme à l’approche du dîner. Il ne faut pas chercher loin l’origine de son nom : Mela pour Tuber melanosporum, la truffe noire du Périgord. Celle que nous sommes venus traquer ce matin. Un trésor qui vaut son pesant d’or, soit 1 euro du gramme, au cours du moment. Si les sangliers en ont laissé.

À L’OMBRE DES ARBRES

Le fond de la vallée s’ouvre sur un incroyable cirque rocheux naturel, judicieusement baptisé Cirque du Bout du Monde. C’est là que la route du pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle par la voie d’Arles, après la traversée de Saint-Guilhem, entame sa longue ascension du Larzac. Philippe y exploite plusieurs truffières. Des terrains accidentés, souvent d’anciennes oliveraies détruites par les grandes gelées de 1956, où la nature a repris le dessus. Et les truffes, cachées quelques centimètres sous terre…  » Elles se développent à l’ombre de différents arbres comme le chêne ou le pistachier térébinthe. L’idéal est de laisser paître des troupeaux de moutons et de chèvres qui broutent les broussailles, empêchent le milieu de se refermer et produisent du fumier naturel. Après, il faut de l’eau. Beaucoup d’eau.  » Quelques dizaines de parcelles produisent des truffes dans la région. Mais l’âge d’or du diamant noir est un lointain souvenir.  » Dans les années 70, une douzaine de truffiers récoltaient près d’une tonne de truffes par an à Saint-Guilhem. Aujourd’hui, je suis le dernier. Si j’en sors 15 kilos, c’est beaucoup « , confirme Philippe Ségala. En cause, la baisse dramatique de la pluviosité, d’abord. Les orages à la mi-août deviennent rares, comme le reste de l’été.  » On est obligé d’arroser les parcelles par un système compliqué et coûteux de tuyaux suspendus, mais cela ne suffit pas. On a même essayé de concasser de la glace sur les arbres. En vain.  »

DRESSÉS AU GRUYÈRE

L’autre ennemi, c’est donc le sanglier. Démonstration live : notre première truffière est un champ… de ruines, si l’on ose écrire. Comme si des taupes géantes l’avaient labourée toute la nuit. Autour du terrain, un mince fil de fer électrifié court à hauteur de mollet. Il n’a pas arrêté le pilleur solitaire. Les chiens sont comme fous, on leur a volé leur trésor. Leur maître parvient à les calmer. À les relancer.  » Cherche Mela ! Va, Elfie ! Tranquille, Ginger ! Celui-là, ce n’est pas la peine, c’est un tire-au-flanc. Il se contente de bouffer.  » Les deux premiers filent ventre à terre à l’assaut des broussailles. Philippe les suit, tant bien que mal. Et nous derrière, en évitant les ronces.  » Les chiens sentent la truffe à 30 mètres. Il faut rester vigilant. S’ils en trouvent une et qu’on les laisse faire, ils sont capables de la manger.  » Le dressage se fait d’abord au gruyère – à la truffe, ce serait impayable. Pendant des semaines, le dresseur en cache des petits morceaux un peu partout et chaque fois que le chien en trouve, il est récompensé. Puis on associe au fromage l’odeur de la truffe et on recommence. Enfin, on dissimule le festin sous le gravier, pour lui apprendre à creuser. Et le tour est joué. Aucune race n’est privilégiée, ce sont souvent des bâtards qui forment les meilleurs chiens truffiers. Ou chiennes : si le maître est un homme, mieux vaut qu’il élève des femelles, dit-on. Et inversement…

Creuser : c’est ce que fait Mela depuis cinq minutes. On se précipite à travers les buissons. Philippe, à quatre pattes, gratte la terre avec un long poinçon orange pour relayer le chien avant qu’il n’atteigne la perle et la dégager. Sans l’abîmer. Notre première truffe est un peu difforme mais doit bien peser 20 grammes, à vue de nez. Une prise correcte. Elle dormait vingt centimètres sous la surface, parfaitement invisible. Sauf pour les chiens, les sangliers… et les mouches : il en existe une variété, dite rabassière, qui pond ses oeufs au-dessus des truffes. Les spécialistes la repèrent quand elle tournoie quelques centimètres au-dessus du sol, attirée par le parfum si subtil de ce champignon souterrain. Bingo !

CHÊNES MYCORISÉS

Il s’agit bien d’un champignon. Plus exactement, du fruit du champignon constitué par le mycélium, cet entrelacs de filaments qui se développe sous terre. Jadis sauvage, il est aujourd’hui cultivé : on plante certaines espèces d’arbres dans les truffières et même, désormais, des chênes – ou d’autres essences –  » mycorisés « , auxquels on a en quelque sorte  » inoculé le virus de la truffe « , résume Philippe Ségala. Mais cela reste très aléatoire.  » On ne peut jamais prédire ce que produira un arbre. Deux truffes une année, deux kilos la suivante. Ou rien. C’est la loterie.  »

Dans la vallée de l’Hérault, au coeur du Languedoc-Roussillon, la truffe naît entre la mi-avril et la mi-mai, en symbiose avec son arbre dont elle se sépare dans le courant de juin. Il lui faut alors de l’eau pour se développer, surtout l’été. Beaucoup d’eau. Si les conditions sont favorables, elle grossit jusqu’à l’hiver. À maturité, le fruit se détache du mycélium et dégage cette odeur si caractéristique qui affole les gourmets. Mais qui, d’abord, attire les mouches, les sangliers et les chiens truffiers.  » Si on ne la ramasse pas, un tas de prédateurs s’en chargeront, précise Gilbert Serane, président de la Fédération des truffiers de l’Hérault. Ou alors elle pourrit, en 15 jours. On commence à récolter en décembre jusque fin février.  » L’hiver dernier a été chiche.  » On en a récolté 500 kilos dans le département, contre 20 tonnes il y a trente ans. On ne se plaint pas : c’est la moins mauvaise saison depuis dix ans, on a eu un peu d’orages cet été.  »

Quant à nous, nous en avons sorti une quinzaine. Presque un miracle. Certaines sont minuscules. Au total, moins de 200 grammes à la pesée. Soit un petit 200 euros au cours du moment. Relevé dans le village de Claret, à 50 km de Saint-Guilhem, où l’association locale Culture et Truffes organise chaque année la Fête de la Truffe pour promouvoir le diamant noir du Périgord. Parce qu’il a besoin d’être promu ?  » Promu, non, mais soutenu, oui, répond Philippe Bouet, président de l’association. Sans le soutien des pouvoirs publics et en particulier de la Région, il n’y en aurait sans doute plus dans l’Hérault. Il faut entre dix et trente ans pour qu’une truffière commence à produire. Rares sont les truffiers qui peuvent encore en vivre.  » Philippe Ségala ne le contredit pas.

PAR PHILIPPE BERKENBAUM

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