Après avoir été martyrisée par Meryl Streep dans Le Diable s’habille en Prada, Anne Hathway nous revient sous les traits de Jane Austen, une icône de la littérature britannique. Et nous livre, en avant-première de Becoming Jane, les dix secrets de ce rôle de composition.

Propos recueillis par Thierry Cheze

Shocking ! C’est la réflexion qu’ont pu se faire certains Britanniques en apprenant que Jane Austen (1775-1817), l’auteur d’Orgueil et préjugés, monument de leur littérature, serait incarnée par… une Américaine : une New-Yorkaise de 24 ans, Anne Hathaway, alors que les noms de Kate Winslet et Keira Knightley avaient été évoqués… Un choix judicieux quand on découvre la qualité de la composition de la comédienne. Un choix gonflé quand on connaît le parcours de l’intéressée, loin du CV habituel pour ce genre d’emploi. Fille d’un avocat et d’une actrice chanteuse qui joua Fantine lors de la création américaine des Misérables, Anne Hathaway se fait connaître en 2001 avec Princesse malgré elle, une sucrerie de Disney. Au gré de ses apparitions dans des films destinés aux jeunes, elle se crée une image de jeune fille modèle qui aurait pu lui coller définitivement à la peau. Mais son virage vers des rôles plus noirs comme celui de la compagne délaissée de Jake Gyllenhaal dans Le Secret de Brokeback Mountain (2006), mis en scène par Ang Lee, va modifier la donne. Son interprétation dans Le Diable s’habille en Prada (2006), réalisé par David Frankel, l’a confirmé : elle a réussi à s’échapper des productions mièvres où on avait tendance à la cantonner. Interpréter Jane Austen est une étape majeure de son parcours. Une étape qui l’effrayait tellement que c’est Ang Lee qui l’aurait poussée à franchir le pas. Dans le Becoming Jane de Julian Jarrold, elle est impressionnante. La belle, qui vient d’être choisie par Lancôme comme nouvelle égérie, nous fait découvrir, en avant-première (le film sort en Belgique fin 2007-début 2008), les coulisses de son interprétation.

1. L’AMOUR DE JANE AUSTEN

 » J’ai tout de suite aimé l’idée d’une fiction autour de la vie de Jane Austen. Il y a un malentendu autour d’elle. On pense, à tort, que ses admiratrices apprécient ses £uvres parce qu’elles seraient des amoureuses frustrées comme ses héroïnes. Moi, j’aime Jane Austen – que j’ai découverte à l’université – pour son intelligence, son talent de narratrice, sa capacité à imaginer des sujets qui impliquent le lecteur et des personnages complexes qui deviennent pourtant très vite familiers. « 

2. LE COMBAT POUR LE RÔLE

 » Américaine, je n’étais pas le choix évident pour incarner cette figure maîtresse de la littérature britannique. J’en avais conscience et je suis donc allée passer des essais sans trop y croire. Une fois. Deux fois. Et forcément, je me suis prise au jeu… J’ai vraiment fait campagne pour décrocher ce rôle ! (Rires.)  »

3. LE VOYAGE À L’INTÉRIEUR D’UNE îUVRE

 » Le jour où j’ai su que j’étais choisie, j’ai aussi appris que le financement était tombé à l’eau. L’argent a été réuni pendant le tournage du Diable s’habille en Prada. J’ai terminé le film fin janvier et on a commencé Jane mi-mars. Le temps m’a manqué, mais je suis allée m’installer au plus vite en Angleterre pour me concentrer sur ce défi. J’y ai lu et relu les écrits de Jane Austen : ses romans, ses £uvres inachevées, ses poèmes et sa correspondance – j’ai eu le privilège d’avoir accès aux lettres originales – pour m’imprégner de sa personnalité. J’ai fait aussi des recherches historiques. Nous avons beaucoup échangé avec Julian ( NDLR : Jarrold, le réalisateur). Dès qu’il pensait que quelque chose pouvait m’aider, il me le recommandait, comme par exemple de visionner la version BBC de Persuasion. Et j’en faisais de même.  »

4. L’ACQUISITION DE L’ACCENT

 » Mon plus gros défi était l’accent anglais. Car je savais que, pour beaucoup, le fait qu’une Américaine joue Jane Austen était un blasphème ! Et donc qu’avant d’être jugée sur mon jeu, j’allais l’être sur mon accent. J’ai connu des jours difficiles où l’obstacle me paraissait insurmontable. Mais j’ai, heureusement, eu l’appui d’un coach remarquable tout au long du tournage. « 

5. LE TRAVAIL SUR LE PHYSIQUE

 » Un point était essentiel à mes yeux : incarner physiquement Jane Austen ! Mes lectures m’avaient donné une image assez précise d’elle : une femme sensuelle qui aimait toucher les choses pour mieux s’en imprégner et les ressentir. Kate Winslet a décrit Marianne Dashwood, de Raison et sentiments, comme une femme qui arracherait son propre c£ur et l’exposerait au vent pour mieux sentir la brise. Jane Austen devait lui ressembler ? J’ai particulièrement travaillé sa façon de se tenir quand elle écrivait. Je voulais éviter toute délicatesse afin de montrer à quel point l’écriture était une partie essentielle d’elle. Comme un membre de son corps.  »

6. L’IMPORTANCE DE L’EXPÉRIENCE

 » Je ne sais pas si je le dois au Diable s’habille en Prada et à Brokeback Mountain ou à ma propre expérience de la vie, mais je suis sûre que si l’on m’avait proposé ce rôle plus jeune, je n’aurais pas eu les outils techniques nécessaires pour l’aborder.  »

7. LA LEÇON DU  » DIABLE… « 

 » J’ai été blessée par les critiques qui m’ont jugée  » sans aspérité « . Ils m’ont confondue avec le rôle et je trouve ça injuste. Je devais jouer un personnage effacé, lui donner du charme et de la crédibilité. Ne pas le mettre en avant. Mon travail consistait à faire briller les autres. Tout le contraire de Jane. Peu de gens l’ont compris. « 

8. LA MÉTAMORPHOSE SUR LE PLATEAU

 » Je n’étais pas plongée dans le rôle au point de demander qu’on m’appelle Jane sur le plateau. (Rires.) Mais je n’ai jamais été autant dans la peau d’un personnage. Sans doute parce que j’avais peur de perdre soudain cet accent anglais. D’ailleurs, à la fête de fin de tournage, des membres de l’équipe m’ont fait remarquer que je n’étais plus la même, que je ne parlais plus de la même façon. Je ne m’en étais pas rendu compte. Ça s’est fait malgré moi.  »

9. L’ÉCOUTE ET LE REGARD DE JAMES MCAVOY

 » Ce n’est pas un hasard s’il est l’un des meilleurs acteurs de sa génération. Car au-delà de la puissance de son jeu, il a cette capacité à retomber toujours sur ses pieds. Il joue en écoutant son partenaire et en l’accompagnant. Dans le film, il interprète Tom Lefroy, l’amoureux de Jane. On se sent soutenu face à lui. Je n’avais plus besoin d’aller vérifier mon travail au moniteur, malgré mes doutes. Il a tout de suite saisi mon absence de confiance en moi et venait gentiment me glisser un petit compliment à la fin de chaque prise… (Rires.)  »

10. LA LIBERTÉ D’ACTION

 » Bien que connue par le rôle que j’interprétais dans Princesse malgré elle, je ne me suis jamais sentie  » une actrice Disney « . Je le dois à mon entourage, qui m’a toujours traitée en adulte. J’ai à chaque fois choisi les films que j’avais envie de faire. Alors quand on m’a proposé des rôles plus complexes, je n’ai jamais eu l’impression de chercher à décoller une étiquette, car je n’avais pas le sentiment d’en avoir une. Je profite des personnages auxquels j’ai accès pour améliorer mon jeu et explorer des genres divers. Ça ne s’est pas fait sans heurts. J’ai dû lutter contre des a priori. Mais, aujourd’hui, mon parcours semble mieux accepté. C’est drôle, car avant de me choisir, Ang Lee n’avait vu aucun de mes films et on m’avait présentée à lui comme une actrice de théâtre new-yorkaise sans expérience au cinéma. J’ai décroché ce rôle après avoir passé une audition. Ça a dû surprendre ceux qui pensaient que j’étais condamnée à jouer les princesses à vie ! Mais me voir jouer Jane Austen aussi, non ? » Propos recueillis par Thierry Cheze

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