Dans l’univers impitoyable du marché des cosmétiques, la quête de la nouveauté et de la performance est essentielle. Mais ces avancées continues servent de plus en plus souvent à améliorer des lignes existantes. Des reformulations aussi importantes pour les marques qu’un  » vrai  » lancement. Enquête.

On ne change pas une équipe qui gagne. A moins, semble-t-il, de diriger un laboratoire de recherches en cosmétiques. Derrière les éprouvettes, on dirait bel et bien qu’aucun actif ne soit certain de rester capitaine de l’équipe, même lorsqu’il tient un rôle essentiel dans la composition d’un best-seller. La faute d’abord aux petits nouveaux à peine sortis des tubes à essais et déjà prêts à surperformer. La faute aussi aux réglementations de plus en plus sévères.

 » Un produit est à peine lancé que nous cherchons déjà à le perfectionner, confirme Véronique Delvigne, directrice scientifique chez Lancôme. On ne se dira jamais :  » ça y est, on a bien bossé, on arrête.  » Nos chercheurs essaient en permanence de développer leur connaissance de la biologie cutanée et de nouveaux actifs. C’est parce que nous progressons dans ces deux directions que nous sommes à même d’améliorer les performances de nos formules.  » Ainsi, arrivé sur le marché des sérums en 2009 où il s’est très vite imposé comme un produit de référence, Génifique de Lancôme fait déjà l’objet d’une version  » advanced  » encore plus riche en actifs anti-âge que l’original. Chez Dior, on a assisté cette année au  » relancement  » de la cinquième génération de Capture Totale alors que Clarins offrait un relooking à son Double Serum.  » Cette huitième rénovation a nécessité quatre ans de boulot tant en termes de recherches d’actifs que de mise au point d’un nouveau pack, souligne Eric Gooris, directeur des laboratoires Clarins. Ce sérum, c’est comme une Golf ou un iPhone : ces produits ont fait leur preuve mais pour qu’ils conservent leur attrait, il faut les moderniser.  » Outre le nouveau flaconnage, le Double Serum – qui n’a plus qu’un ingrédient, l’extrait de pin maritime, en commun avec la toute première version – a vu sa texture retravaillée.  » Certaines le trouvaient un peu gras, donc nous avons revu l’équilibre lipidique et hydrique, ajoute Eric Gooris. Il y aura toujours une phase grasse – sinon on ne parlerait plus de Double Serum – mais nous nous sommes arrangés pour qu’elle soit moins huileuse.  »

Si tous les acteurs du secteur s’accordent sur la nécessité – aujourd’hui plus qu’hier sans doute tant il est devenu essentiel de se démarquer – de booster l’efficacité de leurs piliers, un changement trop radical risquerait en revanche de dérouter les clientes fidèles.  » De façon générale, nous gardons une base commune lors des reformulations, surtout s’il s’agit d’un produit iconique comme Aquasource relancé il y a deux ans, reconnaît Elisa Simonpietri, directrice scientifique chez Biotherm. Amener un nouvel actif – en l’occurrence ici le mannose au pouvoir hydratant -, a été un véritable challenge technique car il a fallu revoir la stabilité de la formule et remettre au point le système de conservation. Tout est une question de dosage.  »

Un tour de force qui parfois… tourne court et ce en dépit des promesses que pourrait tenir tel ou tel nouvel ingrédient.  » Certains actifs mis en présence de la formule vont en faire changer la couleur ou vont développer des odeurs tellement fortes qu’aucune femme n’aurait envie d’appliquer un produit comme celui-là sur son visage, explique le docteur Nadine Pernodet, directrice recherche et développement chez Estée Lauder qui, en 2009, a doté son sérum Advanced Night Repair d’une technologie favorisant la synchronisation naturelle des mécanismes de réparation et de protection de la peau au moment où elle en a besoin. Nous n’avons alors pas d’autre solution que de les abandonner. Sur le moment cela peut paraître frustrant mais cela fait partie du processus de recherche.  »

L’arrivée d’un nouvel ingrédient s’accompagne aussi d’une batterie de tests de sensibilité, la moindre défaillance entraînant immédiatement l’éviction du malheureux candidat.  » Un upgrade n’est jamais anodin, insiste Diego Giacomini, general manager de Clinique Benelux. Nous effectuons le même nombre de tests de sécurité que pour la mise sur le marché d’un nouveau produit. En termes d’investissements – qu’il s’agisse de la recherche ou de la communication -, les coûts sont comparables à ceux d’un vrai lancement. Donc si l’amélioration n’est pas significative, il est toujours préférable de conserver la formule de base.  »

Ces chantiers de rénovation sont aussi pour les marques l’occasion de faire la chasse aux actifs controversés.  » Ce n’est jamais ce qui motive une reformulation, assure Edouard Mauvais-Jarvis, directeur de la communication scientifique des parfums Christian Dior. Nous essayons d’avoir un ou deux ans d’avance sur les dernières réglementations. Notre but est toujours de gagner en efficacité grâce à notre connaissance de la peau et des derniers actifs à notre disposition. Mais nous en profitons aussi au passage pour parfaire tout ce qui est possible.  » Ainsi, le Capture Totale 5.0 – à la galénique moins collante mais aussi plus confortable – bénéficie d’un nouveau packaging à la fois plus généreux – 60 ml au lieu du 50 ml classique – mais également plus  » précieux  » puisqu’il s’ouvre comme un écrin à bijou.

 » Lorsque nous reformulons, nous insistons bien sûr sur l’innovation mais aussi sur ce que nous avons conservé, pointe Elodie Sebag, directrice marketing des soins chez Guerlain. Même si le besoin de nouveauté se fait de plus en plus prégnant, celui de garder des repères est aussi bien présent. Chez Guerlain, nous avons fait le choix de capitaliser sur ce qui plaît, ce qui fonctionne plutôt que de lancer du neuf à tout va. Lorsque nous avons mis sur le marché la franchise Orchidée Impériale, en 2006, nous nous sommes engagés sur le long terme. Nous étions là pour durer – d’ailleurs, notre troisième génération de produits sera commercialisée cette année – ce qui nous a permis de mettre en place une plate-forme scientifique centrée sur l’orchidée.  »

Rassurer et surprendre : la gageure est à la hauteur des enjeux qu’elle sous-tend.  » Même si vous avez entre les mains un très bon produit, la concurrence est terrible dans le monde des cosmétiques, confesse Marie-Hélène Lair, directrice de la communication scientifique chez Chanel. C’est la guerre.  » Une guerre de séduction qui ne se gagnera pas en jouant uniquement la carte rationnelle.  » En beauté, la nouveauté et la performance sont certes essentielles, conclut-elle. Mais le rêve, aussi…  » ?

PAR ISABELLE WILLOT

MÊME SI VOUS AVEZ ENTRE LES MAINS UN BON PRODUIT, LA CONCURRENCE EST TERRIBLE.

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