L’une a perdu son père à l’âge de 6 ans, l’autre s’est découvert un deuxième père  » caché  » à l’adolescence. La présidente du PSC et l’ex-photographe des idoles de  » Salut les copains  » avaient donc forcément quelque chose à se dire…

Le titre de son livre annonce déjà la couleur. Si Jean-Marie Périer a choisi  » Enfant gâté « , c’est d’abord pour souligner cette chance d’avoir, in fine, deux pères, célèbres de surcroît, à savoir Henri Salvador, son père naturel qu’il a découvert tardivement, et François Périer, celui qui l’a élevé et qu’il considère aujourd’hui comme son  » vrai  » père. Mais dans le terme gâté, il y aussi cette notion de pourriture de l’existence incarnée précisément par ce trouble identitaire. Tel est donc le propos de ce livre exaltant que Weekend Le Vif/L’Express a transmis, non sans arrière-pensée, à Joëlle Milquet. La présidente du PSC a, en effet, perdu son père à l’âge de 6 ans et est donc, elle aussi, fortement interpellée par ce thème de la référence paternelle. Cette mère de trois enfants qui vit sa carrière politique sur les chapeaux de roue aurait-elle le temps de dévorer l’ouvrage avant la rencontre inattendue proprement dite? Les paris sont ouverts…

Jean-Marie Périer : Je suis ravi de vous rencontrer. C’est abstrait comme rencontre, vous ne trouvez pas?

Joëlle Milquet : Oui, c’est un peu surréaliste.

J.-M.P. : C’est absolument surréaliste ( rires)!

J.M. : Bon, je dois vous avouer que je n’ai pas eu le temps de lire votre livre. Je l’ai juste un peu parcouru…

J.-M.P. : Comment? Vous dites la vérité? Ne me faites pas croire que vous faites de la politique ( sourire)!

J.M. : ( Rires.) Honnêtement, j’ai eu une semaine dingue et donc, je n’ai pas vraiment été disponible, mais votre histoire m’intéresse et j’ai lu tout de même quelques articles à votre sujet dans les magazines.

J.-M.P. : Moi, je suis ravi de vous rencontrer parce que, contrairement à la mode ambiante en France qui consiste à toujours dire du mal des gens qui font de la politique, je refuse de rentrer dans ce jeu même si je vous ai un peu taquinée. Il se trouve que j’en ai côtoyé certains parce que j’ai toujours aimé mettre mon savoir-faire de photographe ou de metteur en scène au service des gens qui font de la politique. Non pas pour leurs idées mais pour leur sympathie. Il y a des gens qui m’ont plu en France. Par exemple, j’ai fait la campagne présidentielle de Raymond Barre.

J.M. : Ah bon? Vous voulez dire les photos…

J.-M.P. : Oui, les photos et un film aussi. Et je dois vous dire que Raymond Barre est quelqu’un de génial. Un fou complet! Vraiment.

J.M. : C’est quelqu’un que j’apprécie. Quand j’étais petite, je l’imitais parce que je trouvais qu’il avait la voix de Nounours. ( Elle s’exécute.) Il parlait comme ça… ( rires).

J.-M.P. : Mais c’est un type très intelligent.

J.M. : Oui. Il a fait des précis d’économie en dehors de la vie politique.

J.-M.P. : J’ai fait aussi la campagne de Bertrand Delanoë pour la mairie de Paris.

J.M. : Cela devait être très intéressant!

J.-M.P. : Oui, parce qu’il a débuté sa campagne avec tous les inconvénients : homosexuel…

J.M. : Homosexuel, pas connu, mondain… Cela devait être une campagne très très  » gaie « …

J.-M.P. : En revanche, je ne connais pas grand-chose de vous, si ce n’est les articles que l’on m’a transmis…

J.M. : Alors, je ne suis pas homosexuelle, je ne suis pas mondaine ( rires)!

J.-M.P. : ( Feignant de se lever.) Hé bien, au revoir ( rires.)!

J.M. : Mais j’aime bien Delanoë ( rires)!

J.-M.P. : Non, sérieusement, j’ai beaucoup d’admiration pour le métier que vous faites parce que je ne pourrais pas le faire.

J.M. : Moi, je ne sais pas si je pourrais bien prendre des photos. En général, je les rate…

J.-M.P. : Non, mais c’est tellement difficile d’être homme ou femme politique. C’est un apostolat!

J.M. : Disons que c’est un boulot qui prend beaucoup de temps et qui mange énormément la vie privée.

J.-M.P. : Ah oui, ça, on n’en a pas!

J.M. : C’est un petit peu frustrant. Moi, j’ai trois enfants et ce n’est pas toujours simple d’être là le soir et le week-end. Donc, ça mange beaucoup de temps et ça prend une énergie incroyable. C’est un peu aussi comme le mythe de Sisyphe : on bosse beaucoup et puis, tout à coup, un petit problème surgit et tout est à refaire. On a l’impression que l’on fait beaucoup de vent et que les choses ne bougent pas vite. D’autant plus que mon parti, le PSC, est dans l’opposition, donc c’est doublement frustrant. On aimerait faire les choses et on voit qu’elles ne se font pas comme on voudrait…

J.-M.P. : Mais est-ce un inconvénient, en Belgique, d’être une femme en politique?

J.M. : Heu… C’est à la fois un avantage et un inconvénient. Je crois que c’est un inconvénient au début parce que, pour arriver à être connue et reconnue par les pairs, on doit passer des examens beaucoup plus durs. On attend d’une femme qu’elle soit impeccable, intelligente, qu’elle connaisse ses dossiers, etc. Et immanquablement, il y a toujours un a priori au sujet de la jeune femme qui arrive en politique : comment y est-elle arrivée? On ne sait pas trop mais on devine. Vous voyez ce que je veux dire…

J.-M.P. : Oui, oui!

J.M. : Une espèce d’a priori ridicule : la promotion canapé! Deuxièmement, c’est :  » Mais est-elle capable de négocier? Et sait-elle dominer?  » Moi, je suis présidente de parti, donc c’est une fonction de direction d’hommes qui sont plus âgés que moi. Et comme certains ont été de mes employeurs, ce n’est pas évident! Donc, pour répondre à votre question, je trouve que, au début, ce n’est vraiment pas facile. Mais une fois que c’est plus ou moins acquis et que l’on fait partie des meubles, alors je pense que l’on n’a plus d’obstacles majeurs et que l’on peut vraiment s’imposer. Et l’avantage, il se situe sans doute en termes d’image. Parce que je crois que, dans le rejet actuel de la politique ou des institutions, la femme peut apparaître un peu comme une alternative. Parce que nous sommes peu de femmes en politique…

J.-M.P. : Moi, ce que j’attends de quelqu’un qui fait de la politique, c’est qu’il soit capable de prendre des décisions extrêmement impopulaires pour le bien de la nation. Je ne supporte pas les gens qui font de la politique et qui sont tout sympathiques. Je me méfie terriblement de ça…

J.M. : Je suis d’accord.

J.-M.P. : Parce que la personne qui dirige le pays n’est pas là pour être sympathique mais pour prendre des décisions, même impopulaires.

J.M. : Moi, c’est mon grand axe. Je ne supporte pas la démagogie et je pense que l’on doit oser dire des choses difficiles aux gens et oser les prendre pour des adultes, ce que l’on fait de moins en moins chez nous, hélas! Et donc se dire qu’on n’est pas là uniquement pour plaire et se retrouver dans les sondages. Aujourd’hui, je trouve qu’il y a une dérive et que l’on vit de plus en plus dans une démocratie médiatique avec des politiques qui veulent plaire avant de gouverner.

J.-M.P. : Oui, je suis tout à fait d’accord. ( Silence.) Vous avez trois enfants, c’est cela?

J.M. : Oui, j’ai trois enfants. Et vous?

J.-M.P. : Moi aussi!

J.M. : Quel âge ont-ils?

J.-M.P. : 27 ans, 16 ans et 12 ans.

J.M. : Vous les avez fait en…

J.-M.P. : Deux lits ( rires)!

J.M. : Je voulais dire en phases successives ( rires)!

J.-M.P. : Et les vôtres?

J.M. : 10 ans, 8 ans et le dernier a 3 ans.

J.-M.P. : Et…

J.M. : Dans le même lit ( rires)!

J.-M.P. : Alors moi, j’ai été le fils de gens connus, ce qui change considérablement la vie d’un enfant. Comment croyez-vous que vos propres enfants réagissent à votre célébrité et à ce que vous vivez?

J.M. : Déjà je ne suis pas aussi célèbre qu’un François Périer que j’apprécie beaucoup comme acteur ou un Henri Salvador que j’ai été voir aux Francofolies de Spa! Et, entre parenthèses, c’était super! Et puis, je suis connue comme femme politique, donc il n’y a pas d’exaltation des foules. Bon, il arrive que l’on me demande de temps en temps un autographe, mais c’est rare!

J.-M.P. : Mais vous passez à la télévision, donc les petits camarades de classe de vos enfants peuvent savoir qui vous êtes.

J.M. : Oui, tout à fait. Mais ce qui m’arrange très bien, c’est qu’ils ne portent pas mon nom mais celui de mon mari. Cela dit, ils ne supportent pas quand je suis reconnue en rue. Cela les dérange, surtout l’aîné. D’ailleurs, il m’a déjà dit :  » Il faudrait que tu mettes un tchador!  »

J.-M.P. : ( Eclats de rire.) Génial!

J.M. : Non, ils n’aiment pas du tout être impliqués. Mais, personnellement, j’essaie d’avoir exactement la même vie que j’ai toujours eue. Je vis très simplement.

J.-M.P. : Oui, mais ça change quand même un peu la leur parce que moi, je me souviens de m’être servi de la célébrité de mes parents lorsque j’étais gamin. En début d’année, je donnais deux places de théâtre au professeur et il me foutait la paix pour le reste de l’année!

J.M. : Oui, oui, ça, c’est bien!

J.-M.P. : Donc, c’était plutôt un avantage. Mais pour vos enfants, est-ce un avantage?

J.M. : Non, ce n’est pas un avantage parce que, d’abord, il n’y a jamais d’unanimité sur un parti politique et sur le nôtre en particulier ( rires). Ce n’est pas la même chose qu’une présentatrice de JT que tout le monde aime bien. Et puis, reconnaissons quand même que la population a toujours un rapport assez poujadiste avec les hommes politiques. Nous faisons toujours partie de l’a priori qui consiste à dire qu’on n’est pas honnête et qu’on habite forcément dans un palais. Donc, parfois c’est difficile pour eux. Mais pour en revenir à votre histoire, le rapport au père n’a jamais été évident. Vous avez toujours vécu dans l’incertitude de savoir si François Périer était bien votre père, c’est ça?

J.-M.P. : Moi, je n’imaginais même pas que j’étais le fils de quelqu’un d’autre. Simplement, je bronzais en trois heures! Alors, évidemment comme mon frère et ma soeur mettaient trois semaines à bronzer… ( rires) Donc, je me suis dit :  » Il y a un truc qui n’est pas normal.  » Et lorsque j’ai appris que mon père naturel était quelqu’un d’autre, cela a été très dur parce que, en plus de cela, j’étais musicien et je voulais en faire mon métier. Or, un jour, j’ai vu Henri Salvador sur scène et je me suis vu en fini ( sourire)! Et cela a été un choc terrible. Je me suis dit :  » Je ne peux pas faire ce métier.  » Parce que la seule façon que j’avais de rembourser mon père, c’était de lui ressembler et donc de couper tout ce qui ressemblait à Henri, c’est-à-dire la musique. Mais c’était vraiment une bêtise…

J.M. : Et vous n’avez plus jamais fait de musique?

J.-M.P. : Plus jamais!

J.M. : Je suppose que François Périer est quelqu’un de plus structuré et rigoureux, alors que votre père…

J.-M.P. : Attention! Pour moi, mon père c’est François Périer. Henri, ce n’est pas mon père, c’est mon pote. Mon père, c’est celui qui m’a élevé, donc François Périer.

J.M. : D’accord!

J.-M.P. : Donc, l’image du père, c’est vraiment lui. Et en filigrane, il y a l’image de quelqu’un qui est aussi mon père quelque part, Henri, mais c’est tellement fantaisiste…

J.M. : Mais vous n’avez jamais tenté d’avoir une relation plus approfondie avec lui, je veux dire avec Henri Salvador?

J.-M.P. : Oui, mais beaucoup plus tard. A partir de 42 ans, j’ai vu Henri.

J.M. : Pas avant 42 ans?

J.-M.P. : Non, parce que c’était interdit d’en parler. Mon père ne voulait pas en parler.

J.M. : Et il en a souffert quand il a su que vous saviez?

J.-M.P. : Affreux! Pour lui, cela a été affreux. Et cela a mis la famille en état de choc.

J.M. : Oui ça, cela doit être dur.

J.-M.P. : Et au fond, je m’en sors seulement maintenant, à 61 ans, grâce à ce livre. C’est insensé! Je ne sais pas qu’elle a été votre vie de famille, mais moi, ma mère est partie quand j’avais 6 ans et j’ai appris à 16 ans que j’avais deux pères. Je croyais que ces deux chocs-là étaient enterrés depuis longtemps. Hé bien, non! Cela reste intact. Donc, il faut faire vachement attention à ce que l’on dit et à ce que l’on fait avec nos enfants, parce que tout ce qu’on leur fait, ça reste. Et ça reste exactement comme si cela s’était passé hier matin.

J.M. : Je comprends tout à fait. D’ailleurs, on dit toujours que le rapport au père et la mère sont primordiaux dans la petite enfance. Personnellement, j’ai été marquée par un livre d’Anny Duperey,  » Le Voile noir « …

J.-M.P. : Ah, magnifique! Très beau livre…

J.M. : Bon, c’est autre chose, mais il y a des similitudes. Elle a perdu ses parents quand elle avait 8 ans. Ils sont morts asphyxiés si je me souviens bien, et elle a décidé, très vite, d’oublier tout ça et de le refouler.

J.-M.P. : Et ce n’est pas possible…

J.M. : Oui parce que c’était là et ça l’a minée au fur et à mesure. Donc, elle a ressorti le tout quand ses enfants ont eu 12 ou 14 ans. Et je peux le comprendre car moi, c’est le contraire de vous. J’ai perdu mon père à l’âge de 6 ans et c’est un manque que l’on a toute une vie…

J.-M.P. : Mais vous avez des souvenirs de lui?

J.M. : Oui, mais à 6 ans, on est encore petit. Alors, on ne sait plus trop si ce sont de vrais souvenirs ou des souvenirs qui se sont construits sur la base de photos ou d’anecdotes…

J.-M.P. : On refait l’histoire…

J.M. : Mais le fait d’avoir une fonction paternelle, une personne de référence, c’est quelque chose qui manque, même lorsqu’on est adulte.

J.-M.P. : Mais vous avez eu un beau-père…

J.M. : Ah non non! J’ai eu une mère qui est restée seule et qui s’est occupée de nous. Ses enfants ont été son exclusivité.

J.-M.P. : C’est extraordinaire, ça!

J.M. : Oui. Et c’est peut-être ça qui fait que j’ai un caractère un peu plus viril.

J.-M.P. : Vous êtes l’aînée?

J.M. : Non, je suis la seconde, mais j’ai sans doute eu le sentiment que je devais être le chef de famille. C’est ridicule ( rires)! Mais l’absence de père change le caractère et le rapport à la vie. A 15-16 ans, je n’étais pas attirée par les garçons de mon âge. En revanche, les pères de mes copines ( sourire)…

J.-M.P. : C’est logique.

J.M. : Par exemple, j’adorais un type comme Yves Montand. C’est toujours le mythe de l’homme plus âgé. Cela dit, mon mari a plus ou moins mon âge, donc ( rires)…

J.-M.P. : Mais rassurez-moi, vous n’êtes pas la fille d’Yves Montand tout de même?

J.M. : ( Eclats de rire.) Non, non!

Propos recueillis par Frédéric Brébant Photos : Guy Kokken

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