Qui ne s’est jamais vu composer un intérieur en parfaite adéquation avec sa personnalité, avec la même facilité que l’on choisit son look le matin ? Le passage à l’acte reste pourtant laborieux, comme en témoigne Charlotte Rigo, architecte d’intérieur et responsable des achats pour les magasins Dominique Rigo, à Bruxelles.

Quand il s’agit d’aménager sa maison, faire usage de son libre arbitre, c’est plus compliqué qu’il n’y paraît, non ?

Évidemment ! Quand les clients n’ont pas la possibilité de choisir, ils s’en plaignent. Mais quand ils ont l’opportunité de décider eux-mêmes, ils ne savent plus quoi faire. Le choix, c’est stressant ! Dans la pratique, plus un système est simple, mieux il fonctionne. Les gens tombent sous le charme de ce qu’ils voient dans le showroom ou dans le catalogue. Mais ils ont peur de modifier les choses. Souvent parce qu’ils ne visualisent pas bien ce que cela pourrait donner chez eux.

Il y a pourtant des logiciels informatiques qui peuvent aider à se faire une idée…

Oui, mais cela reste une simulation, une image éloignée de la réalité. Si l’on se contente de nous dire qu’il faut aménager un mur de 12 m2 en oubliant de mentionner le radiateur ou la commode Louis XV de la grand-mère qui se trouve juste à côté, cela peut créer des clashs à l’arrivée.

Pas uniquement avec du mobilier modulaire, d’ailleurs.

Hélas non ! Tout le monde n’a pas envie de demander conseil. Certains projets peuvent être réussis, même s’ils ne sont pas à notre goût.

Pour éviter les mauvaises surprises, que faut-il faire ?

Au minimum amener un plan de la pièce et des photos des meubles qui vont rester. Il faut surtout bien prendre la mesure de son espace. Ce qui fonctionne bien dans un grand showroom risque de s’avérer désastreux dans une pièce trop petite.

À l’usage, toutes les options proposées par les systèmes de bibliothèques murales ou pour des canapés sont-elles réellement utiles ?

On les exploite très peu en tout cas. Prenez le nouveau canapé Lucrezia, d’Antonio Citterio pour Max Alto. On peut commander le modèle que l’on souhaite au centimètre près. Lorsqu’on nous a présenté le concept à Milan, en avril dernier, nous avons trouvé ça génial. Mais nous savons que nous ne vendrons ce type de produit que de manière sporadique, pour une architecture particulière, comme une niche ou une fosse de dimension précise. Cela pourrait même angoisser le client lambda de savoir qu’il peut sortir des mesures standards.

En même temps, les gens souhaitent de plus en plus se distinguer, au travers de leur intérieur également.

Oui, mais pas trop tout de même. Car cela implique une certaine prise de risque. Pour nous, c’est bien sûr plus amusant d’imaginer un aménagement original, de créer un ensemble de A à Z plutôt que de reproduire la page 3 du catalogue. Bien sûr, il y a toujours une petite part d’adaptation pour tenir compte de l’architecture du client. Mais l’allure générale reste souvent très classique.

Même dans le choix des couleurs ?

Surtout là ! Il existe aujourd’hui des assortiments de coloris incroyables, parfois plus de 40 tons possibles. Ce qui va se vendre à coup sûr, c’est le blanc, le noir et les nuances de beige. Si vous ne proposez que cela, les gens seront mécontents car ils n’auront pas l’impression de pouvoir choisir. À l’inverse, cela nous arrive quand même, malgré la palette, de devoir commander une couleur spéciale pour un client exigeant. Je me souviens notamment d’une dame qui ne jurait que par ce qu’elle appelait son  » vert Prada « . Mais c’est très rare.

Pourtant la couleur a la cote dans les magazines de déco…

Oui, mais par petites touches. Une £uvre d’art, un coussin que l’on peut changer aisément, à la rigueur un mur entier, parce que c’est facile à repeindre si on se lasse. Sur un canapé c’est déjà plus risqué. Si c’est pour jeter un plaid dessus parce que finalement on n’aime pas le tissu, cela fait un peu mal au ventre. Les plus audacieux oseront peut-être le rouge qui passe mieux en tout cas que le turquoise ou le violet.

Mais il y a bien parfois des clients qui osent, non ?

Tout dépend souvent du budget et de la taille de l’habitation. Plus on a de l’espace, plus on aura d’audace. Parce que l’on peut avoir d’un côté un salon plus conventionnel pour recevoir et une pièce plus fun, plus ludique où l’on se retrouve en famille. Le regard des autres a énormément d’importance. Prenez les canapés et fauteuils LC colorés. Au final, c’est encore le modèle en cuir noir avec la structure chromée qui a le plus de succès. Parce que pour la plupart des gens, c’est lui l’original, ce qui en l’occurrence n’est même pas le cas. Ils ont peur de choisir une édition colorée qui serait prise pour une copie.

Qui dit modularité dit aussi en principe possibilité d’ajouter des pièces à son puzzle si l’occasion se présente ?

Ça aussi, c’est un très bel argument de vente sur papier. Mais il est très rare qu’on vienne nous acheter des compléments. Parce que l’on s’équipe tout de suite avec du neuf, grâce à Ikea notamment, on entre plus tôt de plain-pied dans la société de consommation. La mode aussi a modifié nos comportements d’achat. Nous avons tous intégré aujourd’hui que nous changerions de déco plusieurs fois dans notre vie.

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