Des créatures aux traits  » effrayants  » déferlent dans les magasins de jouets en cette fin d’année. De sérieuses concurrentes pour les bébés roses et joufflus de notre enfance et les blondes Barbie à la taille de guêpe ? Pas si sûr…

Elles s’appellent Frankie Stein, Draculaura (photo) ou encore Clawdeen Wolf. Elles ont les cheveux roses, mauves ou turquoise et une allure s’inspirant des monstres les plus célèbres de la planète, s’habillent de noir surtout, portent des bijoux à clous et assument un maquillage too much. Elles, ce sont les Monster High, des poupées mannequins lancées par Mattel l’an dernier et qui connaissent désormais un succès impressionnant.  » La demande n’a cessé d’augmenter depuis le printemps dernier. Dans les magasins, on se prépare à des achats massifs pour décembre « , annonce Cédric Haleng, responsable marketing pour la chaîne de distribution Jouets Broze. Surfant sur cette tendance, la marque espagnole Endisa a, elle aussi, commercialisé récemment des baigneurs au look décalé, les Gothic Vamps.  » C’est dans l’air du temps… Pour combien d’années, on ne le sait pas. Pour l’instant, en tout cas, ça cartonne « , se réjouit Daniel Mazel, responsable commercial du label hispanique. Ces collections de personnages aux traits sombres s’inscrivent en réalité dans un phénomène de mode plus large, alimenté par des films tels que Twilight et Harry Potter. Un monde imaginaire peuplé de squelettes, vampires et fantômes qui s’invite même dans la garde-robe des kids : cet hiver, avec des motifs tête de mort très rock’n’roll sur les pulls et tee-shirts ; et encore plus l’été prochain, avec une véritable déferlante vestimentaire  » humour noir  » rappelant l’esprit des opus de Tim Burton.

Mais au-delà de cette mouvance halloweenesque, ces poupées sont également pour Mattel et Endisa une manière d’élargir leur public cible… et donc de vendre plus !  » À travers les Barbie, les fillettes vivent leurs rêves, observe Liesbeth Beenen-Van Eck, brand manager chez Mattel, une entreprise surtout connue pour ces blondes platine aux courbes ultraféminines. Cependant, quand elles vieillissent, beaucoup de choses évoluent. Elles prennent davantage conscience d’elles-mêmes, lisent des magazines d’ados, manquent parfois d’assurance, et la beauté prend un autre sens. Nous voulions créer quelque chose qui les épaule à ce moment-là, dans leur recherche d’elles-mêmes. Ces pré-ados pensent qu’elles doivent être parfaites, comme le sont les top-modèles, ce qui est faux bien sûr. C’est le message de nos Monster High. Ils sont loin des clichés, sont chacun unique et aident les jeunes filles à comprendre qu’il est positif d’avoir sa propre identité.  » Résultat des courses, ce sont plutôt les 9 ans et plus – contre les 5, 6 ans pour les Barbie – qui craquent en masse pour ces  » vilains  » jouets, non pas pour jouer justement, mais pour les collectionner et former ainsi une bande de copines excentriques.

L’avis du psy

Certains pourraient craindre que les gosses soient tentés de ressembler à ces monstres girly. Pourtant, le psychothérapeute bruxellois Jérôme de Bucquois se veut rassurant.  » Je les vois plutôt comme des figurines vaudou. Si elles sont tatouées et arborent des piercings, les filles ne ressentiront peut-être pas l’envie de le faire elles-mêmes. L’interdit transgressé sur la poupée suffirait… Un seul bémol toutefois, on peut se demander pourquoi des gamines de cet âge ont encore besoin d’objets pour se créer un univers fantasmagorique et ne peuvent le faire intellectuellement à travers les romans par exemple. C’est un facteur d’appauvrissement de l’imagination.  » Du côté de Mattel, on se veut évidemment convaincu du produit :  » Les parents sont ravis qu’on ait développé quelque chose qui corresponde aux questions existentielles que se pose leur progéniture.  » Chez Endisa par contre, on confirme qu’il y a un petit côté subversif qui ne plaira certainement pas à tous.  » On s’adresse ici à des mamans jeunes, qui affichent aussi un peu ce look. Je ne vois pas une grand-mère pointilleuse sur les traditions acheter une Gothic Vamp à sa petite-fille « , note Daniel Mazel.

Ces créatures à faire peur répondent donc aux attentes des enfants – des filles mais aussi des garçons qui, selon Mattel, sont également séduits par les Monster High – mais ne seraient pas pour autant les poupées de demain. Car le rôle de ce jouet millénaire ou presque est bien plus vaste que d’être une simple mascotte pour pré-ado.  » On peut donner trois fonctions à la poupée, analyse Jérôme de Bucquois, psychothérapeute. Dans les premières années de la vie de l’enfant, c’est un objet transitionnel – souvent un doudou – qui permet de gérer l’angoisse de la séparation d’avec la mère. Dans ce cas, le joujou incarne véritablement la maman quand elle n’est pas là car le bébé est alors persuadé qu’elle a disparu pour toujours. Plus tard, les rôles s’inversent. Le môme commence à jouer à la maman avec son poupon. Enfin, plus grands encore, les gosses utilisent la poupée dans des jeux de rôle où ils peuvent imaginer leur vie future.  »

Retour aux valeurs sûres

Les Barbie, Corolle et consorts n’ont donc pas trop de souci à se faire, comme on le confirme chez Serneels, boutique bruxelloise réputée :  » Nous ne vendons que des modèles traditionnels et ne ressentons pas la concurrence de ces nouveaux produits. Ce que les petites filles recherchent, c’est la possibilité de materner. Puis plus tard, de rêver avec des mannequins aux robes de princesses. Nous ne suivons pas la mode et cela répond à la demande !  » Ce que soutient également Cédric Haleng des Jouets Broze :  » Les poupées classiques gardent la cote. On observe d’ailleurs, ces dernières années, un retour aux jouets ancestraux. Les parents en ont un peu marre des phénomènes de mode et en reviennent aux valeurs sûres… mais aussi et surtout aux jeux de société et aux ateliers créatifs qui marchent du tonnerre actuellement.  » Saint Nicolas et Père Noël peuvent donc se rassurer, leur hotte ne se transformera pas en château hanté…

Par Fanny Bouvry

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