Huit années pour accoucher d’un disque de nouvelles chansons et il l’appelle  » Frantic « , frénétique. Humour anglais et distinction, Bryan est toujours very Ferry.

Si l’activité principale d’un dandy est de se faire désirer, Monsieur Ferry y consacre beaucoup de temps. Il y réussit tellement bien qu’on conserve l’impression éternelle d’un Bryan slalomant entre deux piscines azurées, une Turbo Grand Prix et trois mannequins affolés par sa mèche vitale. De temps à autre, Monsieur Ferry pense néanmoins à se montrer en concert ou alors, à faire un disque. Essentiellement composé de reprises, une marotte entamée en 1973 avec  » These Foolish Things « , célébration solo des hymnes ludiques de sa jeunesse passée dans une Angleterre charbonneuse. Le millénaire nouveau semble l’avoir dopé puisque après une tournée-résurrection de Roxy Music – dont il est le leader – qui triomphe à Werchter, il livre le tout prochain  » Frantic « , ses premiers enregistrements nouveaux depuis  » Mamouna  » paru en 1994 (*). Contrairement à son oeuvre précédente, le parfum rétro n’est plus de mise et Ferry cajole à nouveau à l’ombre des fragrances rock. Le plaisir de rencontrer le fringant quinquagénaire – né le 26 septembre 1945 à Washington dans le comté de Durham – tient aussi à sa courtoisie exquise. La voix de Bryan est étrangement jeune et douce, aussi charmeuse que celle de Bowie, mais moins cassante. Il s’aventure dans quelques phrases de la langue française, comme Jagger, mais en plus sincère.

Weekend Le Vif/L’Express : Que vous est-il arrivé? On a aujourd’hui l’impression d’avoir affaire à un Bryan Ferry revitalisé ?

Bryan Ferry : Je sors de deux années à haute énergie: l’album  » As Time Goes By « , où j’interprétais des standards anciens, a bien fonctionné et la tournée de Roxy Music fut autant une célébration du passé que la confirmation de la pérennité de chansons qui ont parfois trente ans. Cela a réveillé beaucoup de souvenirs et j’ai eu la surprise de nous trouver plus glamour que dans les seventies: tout était mieux organisé sur scène et il y avait ces danseuses merveilleuses ( sourire). Aujourd’hui, le monde du business est devenu extraordinairement compétitif et j’ai envie que les gens soient conscients de la qualité de mon travail. Je fuis la presse à sensation mais je désire que l’on connaisse ma musique.

Sur  » Frantic « , plus rock que ses prédécesseurs, on retrouve Brian Eno, membre fondateur de Roxy Music des seventies qui a eu des mots assez durs sur la récente reformation du groupe, vous accusant de cynisme et d’être motivé par l’appât du gain…

D’abord, il faut savoir que je n’ai pas proposé à Brian Eno ( NDLR : producteur mondialement reconnu, de Bowie et U2, entre autres) de participer à la reformation de Roxy. Ensuite, Brian m’a écrit une lettre extrêmement gentille pour me dire que les propos négatifs sur Roxy, reportés dans la presse, étaient une interprétation abusive de ce qu’il avait déclaré. Le meilleur endroit pour nous rencontrer à nouveau était en studio: lorsque je suis chez moi à Londres, c’est de toute façon là où je passe l’essentiel de mes soirées. Je ne suis pas très mondain vous savez…

S’il est effectivement composé d’une majorité de chansons nouvelles,  » Frantic  » comporte néanmoins quelques reprises, dont deux titres de Dylan, votre idole de toujours…

Quand j’étais étudiant en peinture à Newcastle, je m’intéressais surtout au rhythm’n’blues, à la musique noire américaine: mon rêve était quand même d’être Otis Redding ( rires). Au début, j’étais concerné par des choses plus funky que Dylan puis est arrivé sa chanson  » A Hard Rain’s Gonna Fall  » – que j’ai reprise plus tard – et j’ai découvert la force de ses images poétiques. Quand je chante Dylan, cela amène en moi des sensations très puissantes.

Quel genre de sensations évoque votre Angleterre de l’après-guerre ?

Quand j’avais 10 ans, le monde entier était dans la radio: un jour, j’ai entendu Leadbelly ( NDLR : chanteur de blues que Ferry reprend sur  » Frantic « ) et je suis devenu totalement obsédé par la musique, par l’Amérique. J’allais beaucoup au cinéma et je me sentais totalement vampirisé par la production de Hollywood. Ma tante Enid avait l’habitude de me baby-sitter sur fond de Nat King Cole… A côté de l’Angleterre d’après-guerre, particulièrement de la région industrielle du Nord que j’habitais, les Etats-Unis semblaient être un pays en couleurs.

Le rêve fait partie de l’héritage de chacun: votre musique fait-elle rêver vos enfants ?

J’ai quatre garçons, tous adolescents maintenant ( NDLR : leur mère est Lucy Helmore, fille d’agent de change, cadette de quinze ans de Bryan): ils critiquent pas mal ma musique mais – globalement – ils semblent l’approuver. Un de mes fils pense néanmoins que mes chansons seraient bien mieux s’il y avait un DJ qui faisait du scratch dessus ( rires). Un point de vue que je partage moyennement ( sourire).

Comment vous traite votre pays aujourd’hui ? La presse – musicale – anglaise, qui vous a parfois surnommé Byron Ferrari, est particulièrement mordante !

Récemment, l’accueil a été plutôt favorable, mais il y a eu des phases moins clémentes, moins spectaculaires. Les Anglais ont la manie de vouloir être les premiers à traquer la nouveauté, à la supporter jusqu’à l’excès et à faire volte-face lorsque elle devient populaire. Au début de Roxy Music, en 1972, la presse avait été extraordinairement enthousiaste à notre égard. A propos de  » Byron Ferrari « , je n’ai jamais eu qu’une Porsche. D’occasion ( rires).

Votre réputation est celle d’un artiste pointilleux jusqu’à l’obsession.

Je suis sans doute pointilleux parce qu’au fond, je suis un indécis chronique ( sourire). Enfant, j’avais un énorme besoin d’espace autour de moi. On habitait une région de charbonnages – mon père travaillait à la mine – mais il était né dans une ferme et avait travaillé dans les champs. Je suis allé à l’université suivre des cours sous la direction de l’artiste pop art Richard Hamilton tout en créant un groupe Gas Board avec Mike Figgis ( NDLR : futur réalisateur à succès). Je me disais que j’avais envie d’autre chose mais je suis devenu musicien, et non pas peintre, parce qu’il me semblait que j’avais plutôt un talent de chanteur. Une chose mène à l’autre, je crois assez en la providence des rencontres. Même si en déménageant à Londres, en 1968, j’ai commencé par être prof de céramique dans un lycée pour jeunes filles…

Votre travail solo ou dans Roxy Music semble toujours être en dehors de considérations réalistes ou sociales.

J’essaie d’éviter la politique: d’ailleurs, je ne regarde plus les informations, j’essaie de leur échapper.

Votre  » Hiroshima  » fait référence à « Hiroshima mon amour », le film d’Alain Resnais…

C’est une référence oblique parce que j’ai démarré cette chanson avec les images de William Gibson en tête: cet auteur de science-fiction construit un univers de néons éclatants et de rues noyées de brume. Très  » Blade Runner  » au fond. Cela m’a mené à  » Hiroshima mon amour « , une histoire d’amour sur fond de cataclysme. La littérature et le cinéma m’inspirent aussi dans  » San Simeon  » qui vient de  » Citizen Kane  » et du magnat de la presse William Randolph Hearst: j’ai aimé l’idée que le narrateur se balade dans un château hanté par Clark Gable et des stars invisibles. Vous savez, mes textes sont souvent le résultat d’essais qui remontent loin: celui de  » San Simeon  » date de la période  » In Every Dream Home a Heartache « … en 1973. J’essaie toujours de garder des traces de mon travail: hélas, il y a dix ans, on m’a volé pas mal de choses et auparavant, j’avais déjà perdu une valise entière de textes.

 » Goddess of Love  » est inspiré de Marilyn Monroe.

J’ai une photo d’elle dans mon studio, j’ai toujours été un vrai amateur de pin-up, de modèles. C’était bien de mettre Marilyn dans ce disque.

Les disques de Roxy Music mettaient en couverture des filles sexy bien avant la mode des tops !

A une époque où la majorité des pochettes de disques consistait à mettre des types en jeans au milieu de poubelles éventrées, la photo d’Amanda Lear tenant une panthère en laisse a plutôt bien marché ( rires). Quand j’étais jeune, je conduisais une Studebaker, j’ai toujours aimé la ligne fifties-sixties, le design des Cadillac, les pubs pour les cigarettes. En Amérique, on a d’ailleurs eu quelques soucis à l’époque de  » Country Life  » (1974) avec le Lesbian Action Group: elles trouvaient la photo du disque sexiste ( sourire). C’était un cliché de deux Allemandes, rencontrées lors de vacances au Portugal : Constanza et Evaline ( sourire) avaient des épaules très larges, façon travestis. La photo au flash les montrait appuyées sur une haie, la nuit, comme surprises par des phares de voiture. La compagnie de disques américaine a voulu absolument mettre autre chose en couverture que ces deux filles dévêtues.

Remerciez-vous la Providence d’avoir accompli une telle carrière ?

Je suis parfois encore abasourdi d’avoir décroché autant de choses, d’être en vie et tellement occupé.

(*) CD  » Frantic « , chez Virgin, en vente dès ce lundi 15 avril.

Propos recueillis par Philippe Cornet

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