Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

S’approcher des volcans en éruption, faire du kayak dans le Grand Nord, frôler les requins. La dernière tendance en matière de tourisme consiste à saupoudrer ses vacances de frissons. Voyagiste, fais-moi peur !

Sur la carte: 78° de longitude Nord et 12° de latitude Est. Cette année encore, les vacances de Guy n’auront pas été banales. Montagne de glace flottant au milieu de l’océan, l’archipel du Svalbard est la dernière balise avant le pôle Nord. Au coeur de cette terre nordique, le Spitzberg est devenu le terrain de jeu de vacanciers pas comme les autres. L’île s’affiche comme  » le  » rendez-vous incontournable des fanatiques d’horizons blancs.

Guy et Lucie, son épouse, respectivement 55 et 49 ans, ont passé une quinzaine de jours au Spitzberg grâce à l’offre d’un voyagiste parisien. Ce séjour de découverte en kayak, ils l’ont attendu et préparé pendant plus d’un an. Pourtant, loin des doux clichés liés aux vacances, c’est un programme rude et austère que l’agence leur a concocté. Sur la banquise, pas de  » farniente  » ni de confort cinq étoiles. Les blocs de glace qui frôlent les embarcations n’invitent pas à piquer une tête dans les eaux turquoise. Chaque journée comporte son lot d’efforts. Il faut chercher le bois et réparer les kayaks. Le soir, le buffet n’a rien de festif. Les menus des séjours aventures se limitent aux plats lyophilisés: boeuf et légumes en poudre, compotes d’abricot et soupes chinoises.

Malgré tout cela et l’extrême solitude de ce type de périple – l’île ne comptant au total qu’une cinquantaine de résidents – nulle déception dans les propos du couple. L’impression dominante est celle d’avoir vécu une expérience unique.  » Ma femme et moi avions la sensation d’avoir fait le tour des vacances dites « classiques », commente Guy. On avait beau aller de plus en plus loin, quelque chose manquait. Les destinations se ressemblaient toutes. Nous étions déçus car nous investissions beaucoup d’argent dans nos vacances et les résultats n’étaient pas à la hauteur de ce que nous espérions. Puis un jour, alors que nous ne sommes pas véritablement sportifs, nous avons décidé de faire un trekking dans le désert. Cette expérience a bouleversé notre façon de voyager. Nous avons compris qu’il ne servait à rien de voir un pays sans le vivre physiquement. Avant, je ne retenais presque rien de nos séjours. Aujourd’hui, il y a toujours une image forte qui se dégage. Au Spitzberg, c’était les nuits passées à observer le soleil, une tasse de thé bouillant au creux des gants. « 

 » Ce que je recherche quand je voyage, c’est l’émotion, le frisson, la surprise, même si au bout du compte, c’est parfois la mauvaise surprise qui se profile.  » Avec une lueur dans les yeux, Didier, un commercial de 42 ans, poursuit sa profession de foi:  » Pendant mes vacances, j’aime pouvoir ressentir des sensations extrêmes qui me sont interdites durant le reste de l’année. Avoir vraiment faim, avoir vraiment soif et surtout endosser une vie totalement différente de la mienne. Peu importe le prix du voyage si je suis sûr de vivre intensément pendant quinze jours. Nos vies occidentales sont tellement uniformes. « 

Didier, tout comme Guy, ne sont pas les seuls à envisager les voyages sous cet angle. Ils sont de plus en plus nombreux à vouloir pimenter leur existence d’une bonne dose d’aventure. Les vacances se présentent alors comme l’occasion idéale pour larguer les amarres d’une vie trop banale. Pour répondre à cette demande, un nombre croissant d’agences spécialisées élaborent des produits sans cesse plus pointus. Elles permettent d’aller sonder tous les vertiges de la planète: randonnées sur des flancs de volcans en fusion, canoë au pôle Nord, cap Horn à la voile, plongées parmi les grands requins blancs.

La glace et le feu

En France, où le marché est plus vaste, de nombreux tour-opérateurs se sont engouffrés dans la brèche du voyage frisson.  » Grand Nord Grand Large  » en fait partie. En vingt ans, cette structure réduite s’est spécialisée dans les destinations polaires. Frissons donc, au propre comme au figuré.  » Tous les voyages ne sont pas de véritables expéditions, avertit Jean-Luc Alboui, le directeur de « Grand Nord Grand Large ». Nous élaborons également des produits pour des personnes moins sportives fascinées par les terres extrêmes. Ce type de forfait connaît un succès grandissant. Nous taillons aussi sur mesure des séjours plus aventureux. Toute la difficulté réside à doser le frisson avec justesse. Les gens veulent de l’exclusif et de l’aventure, mais sans le risque. Ce n’est pas toujours facile, surtout dans les régions que nous programmons. La météo y est capricieuse. « 

Dans le même esprit, mais sous d’autres latitudes,  » Club Aventure  » se veut une sorte de fournisseur officiel de sensations. Dernier coup d’éclat en date : une brochure où figure un séjour intitulé  » L’Odyssée de l’Everest « . Soit la bagatelle de 200 000 FF (1 200 000 de nos francs) pour une ascension de deux mois. Avec, à l’arrivée, contemplation extatique du haut des 8 000 mètres de ce géant himalayen.  » Tout le savoir-faire de notre agence consiste à faire croire aux voyageurs qu’ils vivent une aventure sans filet, confie Jean Béliot, responsable de « Club Aventure ». Or, c’est faux : ils sont tous surassurés et nous prenons le maximum de précautions. Mais le jeu consiste à ce qu’ils ne se rendent pas compte et aient l’impression d’être de véritables pionniers. « 

Un autre tour-opérateur parisien,  » Force 4 « , propose un forfait intitulé  » Nager avec les requins « . Au programme: un périple australien où l’on descend en cage sur le domaine de chasse d’un grand requin blanc. Histoire de photographier en gros plan la danse guerrière du squale, qui n’hésite pas toujours à charger les barreaux.

L’agence  » Aventures et Volcans « , elle, organise des voyages où la température explose. Guy de Saint-Cyr, vulcanologue et directeur, a choisi d’emmener ses clients sur les volcans en activité de la planète. Et ceci, de préférence quand ces monstres béants sont en phase d’éruption. Son produit phare: une expédition au Kamtchatka, une terre au bout de la Russie, où il fait déposer ses clients sur les lèvres du cratère.  » En dix-huit années d’activité, je dois dire qu’on a eu de la chance, signale Guy de Saint-Cyr. Avec les volcans, le risque zéro n’existe pas. Ce sont eux qui décident. En Indonésie ou à Hawaii, nous avons parfois assisté à de véritables bombardements de blocs de lave. Je peux vous assurer que le danger est bien réel. Les clients, eux, restent confiants parce que vous êtes parmi eux. Quand les vacanciers reviennent d’un périple particulièrement « chaud », on constate deux types de réactions : d’une part, ceux qui ont eu la trouille et qui ne tenteront plus l’expérience ; de l’autre, ceux qui ont aimé et qui vous racontent cela comme d’anciens poilus parlent de la guerre 14. « 

En Belgique, c’est le voyagiste  » Continents Insolites  » qui décline la gamme la plus complète de voyages d’aventure.  » Une demande existe, c’est indéniable, souligne Miguel Cotton, son directeur. Même si quantitativement elle est plutôt réduite, elle se montre intéressante qualitativement. Certains clients estiment que le travail les ronge et attendent tout de leurs vacances. Ils veulent qu’on leur crée une aventure émotionnelle.  » Pour cela,  » Continents Insolites « , a choisi de promouvoir une formule qui remporte un vif succès.  » Dans nos programmes, nous alternons aventures réelles et confort à l’occidentale en hôtels luxueux, poursuit Miguel Cotton. Histoire pour nos clients de perdre et de retrouver leurs repères. L’époque n’est plus à l’effort pour l’effort, les gens veulent ressentir et se faire plaisir. Après une randonnée vraiment dure dans la jungle primaire, pouvoir nager dans une piscine à débordement au-dessus des rizières permet de déconnecter totalement. C’est cela que recherchent nos clients « . Mais le voyagiste évoque aussi les malentendus possibles. » Il faut faire un gros travail d’information pour bien saisir les limites d’un candidat au voyage, précise-t-il. Tous ne gèrent pas avec la même facilité de gros chocs culturels. Idem pour la question des prix, ce type de voyage est souvent plus cher en raison d’éléments que le voyageur ne peut pas palper : la prospection et l’exclusivité. A nous de bien faire passer le message « .

Autre élément à verser au dossier des vacances frissons, la forme la plus  » extrême  » de la randonnée, le trekking. Plus sportif, il s’agit d’un type de randonnée qui s’effectue sur plusieurs jours avec des nuits en tente, en refuge ou à la belle étoile. Même si le phénomène n’est pas nouveau, il connaît un regain et est, avec sa connotation  » aventure « , de plus en plus recherché. On assiste à une multiplication des voyagistes spécialisés et on ne compte plus les brochures qui les reprennent. On peut en faire partout et à n’importe quelle saison, ce qui ajoute au dépaysement.  » Le trekking n’est plus le fait de quelques routards qui se rendent à Goa, c’est devenu un phénomène de société qui répond à un besoin précis: donner du relief à son existence « , estime Christophe Raylat, rédacteur en chef de  » Trek Magazine « .

Sur Internet aussi

A noter: une start-up belge a mis au point un site Internet imprégné de cet esprit d’aventure. FunAdventure.com se veut le moteur de recherche de référence dans le monde de  » l’outdoor « , un terme qui signifie  » plein air  » et qui désigne les loisirs actifs. Le site concentre le gros de l’offre des produits aventures dans le monde entier. Plus de 2 000 formules y sont répertoriées. Deux sections se partagent les recherches: les destinations et les différentes activités. On peut donc mettre l’accent sur les unes ou sur les autres. Vous cherchez à découvrir le Mexique de façon originale ? FunAdventure vous propose un raid de l’extrême en VTT. Envie d’un périple en parapente ? Votre recherche vous mènera dans les Pyrénées ou sur l’île de la Réunion.

Pour le sociologue Didier Urbain, auteur de plusieurs ouvrages de référence sur les comportements touristiques, cette quête du frisson à tout prix s’explique par une certaine banalisation du voyage. Pour lui, le goût de l’aventure frappe le tourisme depuis une dizaine d’années, mais acquiert une véritable acuité maintenant.  » Il y a chez l’homme qui voyage une soif réelle de distinction, relève-t-il. On se fabrique toujours un voyage en fonction de ce que l’on est. Or, depuis la démocratisation des vols charters, les long-courriers et les destinations lointaines se sont banalisées. Il est donc plus difficile de se différencier et de s’affirmer puisque partir loin est à la portée de tous. Alors, on part autrement. La recherche du danger est devenu le creuset d’un nouvel exotisme. « 

Michel Verlinden

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