Barbara Witkowska Journaliste

Le dessin, la pub, le stylisme… Ce jeune créateur touche à tout avec un talent fou. Ce printemps, Charles anastase nous régale avec sa première vraie collection de prêt-à-porter, colorée et spontanée à craquer.

C’est un défilé de jeunes filles pimpantes, parées de tenues fraîches et joyeuses. On dirait qu’elles évoluent avec grâce dans l’univers enchanteur de Lewis Caroll. Charles Anastase rend, en effet, hommage à Alice au pays des merveilles. Les jupes courtes et fluides mettent les jambes et les hanches en valeur. Les tops et les chemisiers s’agrémentent de fronces et de falbalas. Si les détails sexy et fantaisie sont omniprésents, c’est pour souligner davantage l’esprit ultraféminin, tout en rondeur et en douceur. Les tissus unis se taillent la part du lion, rythmés, ici et là, par le motif phare : un patchwork de dessins, réalisés par Charles lui-même, représentant des portraits d’amis ou de membres de la famille. Tout est fait à la main, de façon très artisanale. Les matières techniques ou synthétiques n’ont pas leur place, ici. Le jeune créateur fait toujours appel à des matières naturelles, teintes ou peintes à la main. Sa mère a tricoté des pulls, notamment le pull-écharpe blanc et le pull  » tigre « . Point de talons vertigineux, les filles portent des ballerines également peintes à la main à l’aquarelle, l’une des marques de fabrique de Charles. On remarque aussi quelques collants brodés, l’autre spécialité du jeune créateur.  » C’est une collection très poétique, souffle Charles Anastase. Il y a un côté très sincère et très fort. Tous mes amis et ma famille ont donné un coup de main dans l’organisation du défilé. Même mes petites s£urs de 9 et 10 ans, Tamara-Anna et Kimbilly-Nina y ont participé en jouant du hautbois et de la percussion.  » Connu et reconnu pour le dessin, Charles se lance donc à fond dans la mode, avec cette première collection à objectif commercial.

Né à Londres en 1979, d’un père architecte et d’une mère  » intellectuelle et cultivée « , Charles Anastase (son double prénom dont il a fait son nom) commence à dessiner au berceau. Après le BAC, pour faire plaisir à maman, il fait une tentative en Sciences po qui se soldera très vite par un échec. La voie est donc libre pour s’adonner à sa vraie passion, la mode. Les écoles parisiennes ne le tentent pas. En revanche, il est titillé par la réputation des académies de stylisme en Belgique, sans les connaître vraiment. Pour en savoir plus, il s’adresse au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris. Première sur la liste, celle d’Anvers. Comme il ne pratique pas le néerlandais, en vigueur dans cette école, il appelle alors La Cambre à Bruxelles. Il passe facilement le concours d’entrée en 1999. En première année, il apprécie les travaux pratiques à l’atelier, mais les cours théoriques,  » superscolaires « , le déçoivent. Au bout d’un an, Charles abandonne La Cambre et sollicite un stage au Théâtre royal de la Monnaie. Et il l’obtient.  » Il n’y avait pas beaucoup de demandes, car les stages sont très durs, confie-t-il. On bossait non stop de 8 à 18 heures. Le travail y est artisanal, rigoureux. J’ai appris à réaliser des chaussures, des broderies, à coudre des ourlets, à monter des braguettes des pantalons. Rien de spectaculaire, rien que des tâches très techniques. C’était très intéressant de partager, pendant un an, cette expérience en dehors de la mode. On prend pas mal de recul.  »

De retour à Paris, en 2001, le jeune homme est au chômage. Personne ne le connaît, personne ne l’attend. Il voudrait faire un stage auprès d’un  » grand  » de la mode, mais chez Jean Paul Gaultier, chez Martin Margiela ou encore chez Vivienne Westwood (son idole et sa marque fétiche), les portes se ferment. De guerre lasse, il se contente de petits boulots et assiste des photographes, des stylistes, des réalisateurs de costumes de théâtre. Il tente sa chance au Festival international des Arts de la mode à Hyères. Dans les dix silhouettes présentées, on distingue déjà ses futurs  » codes  » : tissus peints à la main, chaussures de sport blanches graffitées, drôles de pulls tricotés par maman avec des laines mélangées, patchworks de tissus de récupération. La presse s’emballe pour la collection, mais le jury fait la moue. Pour Charles, c’est le retour à la case départ. Alors, il décide de changer carrément de direction et de revenir au dessin. Il réalise des portraits d’amis au crayon gris, très réalistes, avec des petits personnages incrustés dans les visages. Il les réunit dans un  » journal intime « , frappe à la porte de différents magazines et… se fait éconduire.

Un jour, une lueur d’espoir, enfin.  » Crash « , le magazine lifestyle et très branché pour jeunes publie la série. Les portraits servent de support pour une production beauté et sont recolorés avec des produits de maquillages de grandes marques. La série a un impact énorme. Son nom commence à circuler dans le milieu. Cela dit, côté finances, ce n’est pas Byzance. Charles retrousse donc ses manches et crée des tee-shirts inédits. Faisant appel au concept de vase grec, il peint à la main, sur chaque tee-shirt, une sorte de fresque qui raconte un fragment de vie. Ce travail précieux et particulier, réalisé en pièces uniques, conçu comme une mini-collection de haute couture, trouve des acquéreurs particuliers, amateurs de choses rares et singulières. Charles peint aussi des coussins et brode des collants, à la demande de musées, de fondations d’art contemporain ou de boutiques japonaises les plus pointues. Le magazine  » Crash  » qui le soutient depuis le début, l’épaule en lui confiant des productions de mode. Charles y apporte des idées neuves et personnelles. Il ne fait pas poser de mannequins, mais des amis et membres de la famille, dont à nouveau ses petites s£urs Tamara-Anna et Kimbilly-Nina. Il imagine des maquillages glam-rock que l’on ne voit nulle part ailleurs, propose des photos de groupe. Avec Perséphone Kessanidis, photographe et complice de toujours, il organise une exposition pour le  » Purple Institute « , magazine très pointu et très prestigieux. Perséphone photographie les visages de toute leur  » tribu « , Charles fait des dessins d’après les photos. L’originalité ? On y expérimente de nouvelles coiffures, notamment d’énormes chignons, ainsi que des maquillages, comme le maquillage  » varicelle  » où chaque bouton est remplacé par un diamant ou maquillage  » moustache « . Ses multiples et successives contributions artistiques lui font décrocher, en juillet 2004, le prix de l’Andam, destiné à aider les jeunes créateurs. Grâce à cette somme importante, Charles a pu réaliser sa première vraie collection de prêt-à-porter. Y aura-t-il une suite ? Difficile à dire. Charles Anastase doit être considéré comme artiste plutôt que comme créateur de mode.  » Je suis assez narratif, souligne-t-il. Je crée des tableaux, je raconte des histoires personnelles, je fais des mises en scène artisanales, en y impliquant ma ôtribu », mes amis et ma famille.  »

Auréolé d’une notoriété certaine, épaulé et suivi par les quotidiens prestigieux tels « Le Monde » ou « Libération », il est sûr qu’il nous fera encore rêver avec ses histoires et celles des gens qui l’entourent.

Carnet d’adresses en page 162.

Barbara Witkowska

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