Barbara Witkowska Journaliste

A Paris, le monde de la coiffure est à l’honneur. Un beau livre consacre le travail de la coiffeuse de studio Odile Gilbert. Hervé Boudon, coiffeur  » à la sensibilité exacerbée « , vient d’exposer son carnet d’artiste au Musée Galliera. Quant à Eric Roman, il nous invite à découvrir son concept de  » nouveau luxe « . Rencontres en tête à tête.

Carnet d’adresses en page 88.

 » H er Style  » sort de presse ces jours-ci. C’est un très beau livre, de grande qualité, illustré de quelque 250 photos : des portraits de femmes, toutes parées de coiffures superbes, imaginées et réalisées par Odile Gilbert. La plupart des visages nous sont familiers. On reconnaît Linda Evangelista, Kate Moss, Naomi Campbell ou Audrey Marnay, photographiées lors des défilés Chanel, John Galliano, Paco Rabanne, Jean Paul Gaultier ou Givenchy. D’autres photos montrent la  » pro  » en action, en backstage ou dans l’intimité de son atelier. Véritable régal pour les yeux, l’album illustre admirablement vingt ans de travail de cette coiffeuse peu ordinaire et évoque les moments forts de la mode des dernières décennies. Pas de chronologie, ni d’ordre précis. Odile Gilbert s’est plongée dans ses archives et parmi 3 000 documents, elle a sélectionné 250 photos coups de c£ur, ses créations préférées, celles qui dégagent une émotion particulière, celles qui évoquent un souvenir impérissable. Christian Lacroix, John Galliano, le photographe Peter Lindbergh et les top models les plus célèbres, eux, ont pris leur plus belle plume pour dire leur admiration ou pour commenter les images. Les photos sont signées des plus grands photographes, Karl Lagerfeld en vedette. Le couturier a aussi écrit la préface. C’est d’ailleurs lui qui est à l’origine de cet ouvrage. Pourquoi ?  » Karl Lagerfeld adore les cheveux, la première parure de la femme, explique Odile Gilbert. Monsieur Lagerfeld est aussi un visionnaire. Actuellement, on parle beaucoup des femmes voilées et il sait que la coiffure est très importante. C’est aussi un livre sur une des seules véritables professions artisanales de l’industrie de la mode.  »

Ce qui frappe d’emblée chez Odile Gilbert, c’est… son anti-coiffure. Des mèches blondes et sauvages envahissent son visage de toutes parts.  » Je n’ai jamais le temps de me coiffer « , s’excuse-t-elle avec un sourire désarmant. Modeste et discrète, cette Bretonne expédie sa carrière à toute vitesse. Petite, elle n’a jamais coiffé ses poupées Barbie. Pourtant, à 18 ans, elle entre dans une école de coiffure à Quimper, puis à Paris. Ses premières armes, elle veut les faire aux côtés du grand Bruno Pittini, aujourd’hui décédé.  » Il cumulait le talent de la vision et de la réalisation, souligne-t-elle. Il m’a appris d’ouvrir l’£il. C’est important d’apprendre son métier avec les bonnes personnes.  » Les magazines les plus prestigieux font appel à son talent. A Paris, ensuite à New York. La jeune femme imagine et réalise des coiffures spectaculaires, des parures capillaires inouïes, immortalisées par les plus grands photographes : Irving Penn, Jean-Baptiste Mondino, Paolo Roversi, Steven Meisel, Patrick Demarchelier et Peter Lindbergh.

L’Amérique est une expérience  » importante et nécessaire « , mais après dix ans d’absence, Odile Gilbert éprouve le besoin de renouer avec ses racines européennes. De retour à Paris en 1992, un nouveau chapitre s’ouvre dans sa carrière, celui des défilés. La plus grande complicité s’installe entre elle et les grands couturiers : Karl Lagerfeld, John Galliano, Christian Lacroix et Jean Paul Gaultier. Ils pensent et imaginent leurs silhouettes de la tête aux pieds. Elle intervient pour la réalisation de la coiffure, peaufine les idées, développe formes et volumes, sculpte, tresse, peint, noue, enroule, ajoute des extensions, des boucles en cascades, des toisons d’or. Ses créations préférées ? Des camélias réalisés en cheveux pour Chanel, Oiseau de paradis, une coiffure très raffinée agrémentée de plumes colorées pour Jean Paul Gaultier en 2000, un  » parapluie  » en cheveux, toujours pour Jean Paul Gaultier interprétant l’idée des ombres chinoises, considérées comme porte-bonheur en Chine. Il y a aussi ce volume surdimensionné, composé de vagues souples et généreuses, imaginé pour le défilé haute couture Chanel en 2000. Ces £uvres d’art extraordinaires et singulières sont, hélas, très éphémères.  » Elles existent uniquement dans l’£il des spectateurs, mais pas dans la réalité, note Odile Gilbert. Mais réaliser un rêve, vivre un instant magique, n’est-ce pas ce qu’il y a de mieux dans la vie ? »

Grande rêveuse, Odile Gilbert est aussi une femme qui a les pieds bien sur terre. Pour donner un coup de main aux jeunes, elle a créé l’Atelier 68, une agence pour lancer de jeunes coiffeurs et maquilleurs. A l’intention de Madame Tout-le-monde, elle a inventé une épingle à chignons archisimple, déclinée en trois dimensions. En un clin d’£il, les cheveux mi-longs ou longs sont disciplinés dans un chignon (chez Colette, à Paris). Elle pense à d’autres accessoires qui nous faciliteront la vie ou embelliront nos coiffures, mais, pour l’instant, on n’en saura pas plus. C’est top secret. On apprendra aussi qu’Odile Gilbert n’a jamais eu de salon de coiffure et n’en aura jamais. En revanche, elle continue à coiffer sa maman, dès que son emploi du temps lui permet de s’échapper en Bretagne.

Hervé Boudon, le premier coiffeur au Musée

Des portraits de femmes par dizaines. Visages calmes, doux et tendres. Regards rêveurs, voilés ou précis. Des blondes, des rousses, des brunes. Des fées, des personnages mythiques, des femmes imaginaires ou croisées dans la rue, des beautés exotiques, toutes superbement maquillées, coiffées, parées, vêtues (ou dévêtues) d’étoffes précieuses. L’éternel féminin. Cette impressionnante collection de peintures, d’aquarelles et de photos résume la passion et l’amour d’Hervé Boudon pour la femme. La femme qu’il aperçoit, imagine, métamorphose et fantasme, depuis de longues années, dans le cadre de son miroir. Hervé Boudon est coiffeur. Artisan-artiste, il vient d’exposer quelque 200 de ses £uvres, au musée Galliera, à Paris. En très belle compagnie, d’ailleurs, car l’expo  » Miroir-miroir  » s’est tenue durant la fameuse exposition dédiée à Marlene Dietrich. C’est donc la toute première fois qu’un coiffeur expose son travail dans un musée. L’homme exulte mais, modeste, il tient à souligner :  » Ce n’est pas Hervé Boudon qui montrait ses peintures. Le but de l’exposition consistait à revaloriser l’artisanat, mettre en exergue quelqu’un qui fait son métier avec passion.  » Hervé Boudon grandit dans une famille de coiffeurs et de couturiers. Sa grand-mère paternelle travaille chez Paul Poiret et Jean Patou. Fasciné par cet univers de la beauté et de la parure féminine, l’adolescent épouse le métier de coiffeur et reprend, en 1971, le salon de son père, rue Montmartre, à Paris. Il y est toujours. Sa clientèle, très fidèle, rajeunit au fil des ans. Les filles succèdent aux mères, les petites-filles succèdent aux grand-mères. Souvent, il s’échappe du salon, prend l’avion pour les Etats-Unis ou le Japon, crée des coiffures pour les photos de mode ou de pub. Il coiffe aussi des mannequins pour les défilés de Louis Féraud, Dominique Sirop ou Hanae Mori, assume la direction artistique des shows pour une grande marque de produits capillaires. Mannequins, danseuses et comédiennes se sentent bien chez lui, car elles se sentent comprises, embellies et sublimées. La chanteuse canadienne Diane Dufresne, sa grande copine, lui est fidèle depuis plus de vingt ans. Elle lui a même demandé d’illustrer de ses dessins des pochettes de ses disques.

Hervé Boudon a l’art d’aller à l’essentiel, trouver un style de coiffure seyant et intemporel, parfaitement en phase avec la personnalité de la cliente.  » Je ne travaille jamais avec des photos, confie-t-il. En revanche, face à la cliente, je fais rapidement un croquis à main levé. Ma force ? Ma capacité d’écoute et d’adaptation. Je sens quand une femme a besoin d’un grand changement ou juste d’un coup de peigne.  » Tous les soirs, chez lui, il dessine. Il n’a pas la télé. Le succès de l’exposition au musée Galliera l’a galvanisé. D’autres projets germent dans son esprit. Une exposition au Musée de la Mode à Anvers, par exemple.  » Anvers est aujourd’hui la plaque tournante de la mode. J’adore la mode belge. Les créateurs belges ont beaucoup de talent et amènent quelque chose de vraiment différent.  » Qui sait ? Peut-être aura-t-on bientôt l’occasion d’admirer, chez nous, ce carnet d’artiste, interprétant le métier de la coiffure sous un angle plus personnel et plus créatif.

Le nouveau luxe selon Eric Roman

Repenser et améliorer les relations entre la femme et son coiffeur. Tel est l’objectif d’Eric Roman. Etablir un contact plus intimiste et plus attentif, dans une atmosphère feutrée et conviviale, voilà les ingrédients du nouveau luxe. Pas de salon pignon sur rue. Ici, on pénètre d’abord dans une jolie cour, très parisienne, à deux pas des Champs-Elysées. On sonne. En franchissant la porte, on a l’impression de se retrouver dans le hall d’entrée d’un appartement. L’accueil est très charmant. On vous installe dans un confortable canapé et on vous propose du café, plusieurs sortes de thé, des boissons fraîches. La décoration est sobre, raffinée et élégante. Le mobilier contemporain voisine avec le style des années 1930. Le tout est ponctué de touches asiatiques et de belles étoffes. Eric Roman propose de faire le tour des lieux. Dans un espace très calme, isolé par un paravent japonais, chaque cliente est reçue en consultation privée.  » Je commence par lui demander ce qu’elle n’aime pas et ce qu’elle ne veut pas, dit-il. C’est très important de savoir ce que la femme n’est pas prête à assumer.  » Suivent des questions sur son style, sa personnalité, ses occupations, ses loisirs et son mode de vie. Eric Roman propose alors une coupe et une couleur. Il assure personnellement la coupe. Puis on passe au fond de l’appartement où Carine réalise la couleur, Loïc s’occupe de brushing. Tout est conçu pour un service très personnel et professionnel. Entre les différentes étapes, on patiente dans le salon de détente, en bouquinant, en écoutant de la musique et en buvant du thé.  » Il n’y a jamais plus de quatre clientes ici, souligne Eric Roman. On se sent comme chez soi, ou comme chez des amis.  »

Avant d’en arriver là, à ce concept de  » nouveau luxe « , Eric Roman a fait le tour de toutes les facettes de la profession. Lyonnais, il est devenu coiffeur par la passion de la  » matière.  » Sa vocation est née, en touchant les cheveux. Il opte pour une formation sur le tas,  » la meilleure école « .  » La coiffure, c’est du ressenti, il y a peu de théorie dans ce métier, souligne-t-il. Ce qui m’intéresse, c’est une coiffure qui embellit et met en valeur et pas la prouesse technique. La technique, c’est un support. Puis on fait appel à son regard et au feeling.  » A la fin des années 1980, Eric Roman s’offre une parenthèse branchée, à Saint-Tropez. Dans cet endroit  » festif « , il maîtrise à la perfection les coiffures chiffonnées-froissées, très estivales. Curieux et titillé par les envies de savoir ce qui se passe ailleurs, il s’expatrie ensuite, pendant deux ans, à Los Angeles où il travaille aux côtés de José Eber,  » coiffeur du Tout-Hollywood « . Mais l’élégance et le chic français, l’art de vivre et l’esprit latin, lui manquent beaucoup. Retour à Paris. Des responsabilités plus  » solides  » l’attendent chez Jacques Dessange. Il y assume la direction artistique, la formation des franchisés, les shows et le travail de studio. Il coiffe pour les magazines, pour la pub, pour les défilés. Vient un moment où il faut tirer les conclusions de ces expériences éclectiques.  » Je suis un homme de contact, martèle Eric Roman. J’aime bien le travail de studio, on est seul avec le mannequin. Le rapport est amical, intimiste. J’ai donc eu l’idée de reproduire les mêmes conditions de travail dans un salon. Les femmes n’aiment plus les grandes chaînes, elles ont envie de rapports plus personnalisés et plus humains, surtout dans les grandes villes.  »

Barbara Witkowska

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