Un loft gigantesque, flanqué d’un atelier XXL dans un quartier industriel de Bruxelles. Après de multiples vagabondages, le designer a trouvé un espace à la mesure de son talent et de ses rêves. Visite guidée.

Ici, il est vraiment chez lui. Dans son royaume, peuplé de toutes ses créations. On admire, bien mis en évidence, son dernier  » bébé  » : une imposante bibliothèque, constituée d’éléments modulables en forme d’un H à deux barres. Réalisée en Corian, son matériau de prédilection depuis 2005 dont il ne se lasse pas d’explorer le potentiel, les caractéristiques et les qualités. Les dimensions ont été soigneusement étudiées (25 cm de profondeur, 25 cm de largeur et 65 cm de hauteur) pour accueillir les bouquins, bien sûr, mais aussi les CD, les DVD, les classeurs et les livres d’art. Le concept se rapproche de celui du Lego. On peut utiliser les éléments verticalement ou horizontalement, construire une bibliothèque bien droite ou ondulante, rectangulaire ou triangulaire. On peut la placer contre un mur, elle peut servir également de cloison ou de paravent.

 » Le Corian permet des collages invisibles et offre des possibilités de montage infinies, en hauteur ou en largeur, s’enthousiasme Pol. L’autre avantage et pas le moindre, c’est la stabilité. Plus la bibliothèque contient de livres et plus elle est stable.  »  » H  » n’est pas la seule nouveauté de ce talent prolifique. Il nous montre ses luminaires aériens équipés de leds : des rubans de Corian blanc, plantés sur des socles noir brillant, déclinés en lampadaire, en lampe de bureau ou de lecture, diffusant une agréable lumière blanche et, aussi, très économiques. Puis il y a aussi la chaise Stack, découpée dans une feuille de Corian et formée à chaud, empilable, que l’on peut utiliser aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Enfin, Pol nous annonce un rendez-vous important. Du 17 au 23 juin prochain, dans la prestigieuse galerie de Pierre Bergé & Associés, à Bruxelles, Épreuves d’artiste, une exposition rétrospective portant sur ces quatre dernières années, réunira 50 prototypes et pièces rares ou uniques. Un catalogue de 80 pages reprenant sa vision et sa philosophie du design sera disponible et la vente aura lieu le 23 juin.

Le chemin parcouru par le créateur est impressionnant. Pol naît à Uccle, dans une famille bourgeoise. Petit, il s’accroche aux pas de son père.  » Il était industriel, ingénieur, inventeur et manuel. Il travaillait des matériaux composites et fabriquait des plaques minéralogiques pour toute la Belgique, ainsi que des portes, des cloisons et des balcons en polyester. Le contact avec ces nouveaux matériaux me fascinait, je suivais mon père dans l’usine pour apprendre.  » L’apprentissage sur le tas s’accompagne de passions intellectuelles. Pendant ses humanités artistiques, Pol fait le plein de culture, en arpentant les musées, en dévorant les livres de philosophes, Michel Serres, Roland Barthes, Nietzsche ou Gilles Deleuze, en découvrant les musiques nouvelles de Philip Glass ou de Steve Reich. À 18 ans, il arrête ses études et se lance dans la restauration de voitures anciennes. Dix ans plus tard, son  » côté intello  » le rattrape. Désormais, il a envie d’allier les deux, la création et la réalisation. Le design lui semble répondre parfaitement à ce désir.  » La création est intéressante quand elle apporte un changement, quand elle vient d’un désaccord, d’une révolte. Elle doit être un acte fort et politique. Créer pour créer ne m’intéresse pas. C’est pourquoi il est aussi important de réaliser l’objet soi-même, dans un atelier. « 

Sa carrière de designer démarre d’une façon assez anecdotique. En mangeant un sandwich, il  » croque  » sur un carton de bière une chaise en tubes d’acier. Un ami lui conseille de montrer le croquis à la boutique Théorèmes, le  » temple  » du design, à Bruxelles, en cette année 1985. Bingo ! La chaise est éditée. Deux ans plus tard, Pol dessine une étagère à CD, dont la première version sera réalisée en métal peint et en tubes d’aluminium, le tout agrémenté de boulons chromés. Le CD est à ses débuts et personne n’a encore pensé à mettre au point un rangement destiné aux futurs collectionneurs. L’idée fait donc mouche. La boutique Ligne, dans la Galerie de la Reine à Bruxelles, en vend, dès les premières semaines, des centaines d’exemplaires.

Le succès est tel que Jan Poels et Michel Simon, les patrons de Ligne conseillent au designer de structurer la distribution et l’envoient chez Jean-Louis La Haye, le patron de Tradix. Suivra une longue collaboration complice de quinze ans. Tradix distribue l’étagère à CD en France, en Allemagne et aux Pays-Bas (au total, environ 100 000 exemplaires seront écoulés !), puis les autres hits de Pol : la  » béquille  » en bois et alu, permettant de fabriquer sa propre table, le porte-clés sous forme de plaque aimantée sur laquelle on jette les clés, le porte-manteau Barcelona, en bois tourné agrémenté de  » gouttes  » en aluminium, la chaise CO6 en carbone, la plus légère de la planète (1 kg), vendue à 2 000 exemplaires, sans oublier toute une panoplie de luminaires sortant, tous, des sentiers battus.

 » Dans les années 90, le design était à son apogée, ce qui avait de bons et de mauvais côtés. Souvenez-vous de l’explosion de quelques designers stars : Philippe Starck ou Ingo Maurer. Ces réussites insolentes ont fasciné les jeunes et tout le monde a voulu faire du design. Un exemple : Roberto Alessi recevait 10 000 projets par an ! La concurrence est devenue terrible. De surcroît, Ikea a démocratisé le design, en attirant toute une nouvelle clientèle dont j’avais besoin. À la veille du IIIe millénaire, l’offre est devenue trop abondante.  » Pour réfléchir à la suite de sa carrière et faire le point, le designer sous-traite toute sa production en Italie et part, lui-même, en 2000, à Milan. Son chemin croise celui de Carlo Giordanetti, directeur artistique du groupe Swatch qui le met devant un nouveau défi : le design des montres. Très abouti, le projet ne se concrétisera jamais. Peu importe. Milan, la capitale  » fashion  » lui donne d’autres idées comme, par exemple, la Strada, cette chaussure féminine, une sandale de 10 cm de hauteur mais sans talon, en fibre de carbone, vendue en deux saisons à 2 000 exemplaires.

De retour à Bruxelles, sa vie prend un nouvel essor lorsqu’il découvre le Corian, un matériau composite ultraléger, résistant, légèrement transparent que l’on peut animer de couleurs acidulées. Bref, un matériau performant qui se plie à toutes les esthétiques. Désormais, Pol privilégie des créations sur mesure ou en petites séries. Pour un ami, il réalise l’aménagement d’une boîte de nuit en Corian rose, expose à la galerie parisienne Pierre Passebon et se fait remarquer par Pierre Bergé qui deviendra un ami, collabore avec le décorateur parisien Jacques Grange pour qui il conçoit des pièces uniques, destinées aux  » gens exigeants « . Et continue à faire du design en série qu’il commercialise via sa propre société de production OVO.

Depuis trois ans, tous ses projets naissent, ici, dans son immense atelier de plus de 300 m2, situé au rez-de-chaussée d’une usine réhabilitée. Très vite, il s’est senti en phase, en symbiose avec l’endroit. Alors, il a décidé de réunir sa vie professionnelle et sa vie privée sous le même toit et a loué le loft au-dessus, aussi grand que l’atelier.  » C’était un rectangle vide avec huit mètres de hauteur sous plafond, bordé par des murs en briques.  » Il a fallu aménager la cuisine, la salle de bains et les toilettes. Le parti pris chromatique s’est imposé avec évidence : du blanc sur les murs, du noir sur le sol, une chape de béton d’origine. Côté déco, Pol applique les mêmes principes que dans son travail : pas de chichis, pas de fioritures. La fonctionnalité, l’utilité et l’ergonomie avant tout.

Pol vit en compagnie de ses propres meubles et luminaires. Il y a ajouté des canapés d’aéroport en cuir noir des années 60 et un prototype de table de Christian Ghion, jeune designer français dont il trouve le travail intéressant. Pas d’objets.  » Moins il y en a, mieux je me sens.  » La musique, en revanche, est omniprésente, mais triée sur le volet.  » J’écoute du rock de David Sylviane, de la musique contemporaine d’Alfred Schnittke et, surtout, du Bach. J’aime la musique du cerveau et pas celle du ventre, comme le jazz ou le blues. J’aime que la musique me fasse réfléchir et pas danser. J’adore Bach, il nous transporte dans un univers sans raconter une histoire précise.  » En guise de conclusion ?  » Je ne veux plus vivre en appartement. Je veux vivre seul, dans la solitude, et dans la concentration. Ici, c’est un havre de paix, une cathédrale. Je suis un fanatique de Batman et je vis comme Batman. « 

Carnet d’adresses en page 128.

PAR BARBARA WITKOWSKA / PHOTOS : RENAUD CALLEBAUT

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content