Nous en raffolons… mais nous le connaissons encore mal. Ce plat est pourtant l’un des plus subtils, des plus savoureux et des plus emblématiques du patrimoine culinaire italien.

Un risotto… des risotti. Nous ignorons souvent tout du risotto : le riz, la méthode, le geste… et jusqu’à son pluriel, que les Robert, Larousse et autres glossaires évacuent en  » risottos  » alors que  » risotti  » est évident pour le connaisseur transalpin. L’absence de risotti dans la littérature consacrée de la gastronomie à la française montre un grand dédain des papilles gauloises pour la chose risottée. Quelques lignes dans Gautier, chez Mérimée (un souvenir dans un compte rendu de voyage), quant à Dumas, à Brillat-Savarin et ces parangons de becs fins du xixe siècle, aucun ne mentionne de recette de risotto dans ses £uvres. Les Alpes ont bien joué leur rôle de frontière naturelle et culturelle, permettant ainsi, des siècles durant, à l’Italie de garder jalousement son secret. Ce n’est que depuis une vingtaine d’années, avec l’internationalisation du goût et l’avènement de la cuisine du monde ou fusion food – un style gastronomique mêlant dans l’assiette produits et techniques en provenance de pays différents – que les risotti firent leur apparition un peu partout. Preuve de cette ouverture, le guide de la maison italienne Gallo, premier producteur mondial de riz à risotto, qui a recueilli les recettes réalisées par 100 grands chefs dans le monde. Cet ouvrage, qui en est à sa septième édition (1), traduit en plusieurs langues, nous transporte de Milan à Paris, à Buenos Aires, en passant par Dubaï, New York, Chypre et Singapour. Avec la nouvelle cuisine, dans les années 1980, le risotto s’est révélé être un exercice de style chez les grands chefs étoilés.

Histoire de riz… On se souviendra de  » Riz amer  » (1949), monument torride du cinéma italien de l’après-guerre, où Silvana Mangano interprète, avec une grande sensualité, une mondine, travailleuse saisonnière des rizières du Piémont. Témoignage sur le rôle des femmes dans la reconstruction du pays, le film nous entraîne dans la plaine du Pô, où s’est développée depuis le xve siècle la culture de la Japonica, sous-variété d’Oryza sativa, riz asiatique le plus répandu dans le monde. A partir de cette souche, les riziculteurs italiens ont sélectionné des types de riz spécifiques, fins et extrafins, pour la préparation des risotti. Là où la chose se complique, c’est que, parmi ceux-là, on trouve encore des variétés différentes, chacune correspondant à un tout petit terroir : Ariete, Arborio, Carnaroli, Redi, Ribe, Ringo, Vialone Nano, Veneria, Zenit…

S’y reconnaître revient à maîtriser une science complexe. On trouve, certes, dans les livres quelques recettes de virtuoses sur le Veneria ou encore sur le Sant’Andrea, mais le néophyte se contentera de grands classiques, tels Arborio, Carnaroli ou Vialone Nano. Comme les vins et les fromages, les riz sont affinés. Les meilleurs sèchent doucement durant une année.

Ainsi que l’explique le chef Toni Vianello dans son ouvrage sur ce plat (2), le risotto peut être plus ou moins crémeux ou liquide. Les Vénitiens l’apprécient particulièrement sous cette dernière forme :  » all’onda  » (comme une onde, une vague). Parfait avec des truffes, du parmesan, des volailles ou des crustacés. On donnera alors toute l’attention au bouillon. Fumet de poisson, bouillon de volaille, de veau ou de légumes viennent  » mouiller  » un riz revenu doucement dans un fond d’huile d’olive jusqu’à absorption. Si la qualité du riz est au rendez-vous, celui-ci devient alors transparent. Le bouillon se verse délicatement dans le poêlon jusqu’à son absorption complète. C’est lors de cet épisode qu’entre en jeu toute la dextérité du cuisinier. Il lui faut  » mantecare  » le riz : le remuer énergiquement avec une cuillère en bois. Le geste est alors l’un des ingrédients majeurs de la recette, comme pour l’aligot ou la brandade. Incorporez, selon l’humeur et le projet de repas, légumes verts pour le risotto primavera, fromage pour le parmigiana, safran pour celui alla milanese, la finition de ces plats se fait au beurre et confère toute l’onctuosité à la préparation. Le risotto doit être exécuté dans l’instant, il ne peut en aucun cas être préparé au préalable puis réchauffé, sous peine de le voir se transformer en une infâme bouillie. A l’Osteria, son ancien restaurant parisien, Toni Vianello, pour qui le risotto est une forme d’art martial, demandait à ses clients de patienter une vingtaine de minutes. Il le réalisait pour deux personnes au minimum. Il est question de temps pour le risotto, de patience, et ce autant pour le cuisinier qui le prépare que pour le mangeur qui l’attend avec impatience. Mais le temps nous manque à tous, pour cuisiner, puis manger, dès lors l’industrie agroalimentaire tente l’impossible. Même la maison Gallo, qui vient de fêter ses 150 ans d’existence, produit désormais des risotti à réchauffer au micro-ondes. Joli challenge, quand on connaît toute la philosophie du risotto…

(1)  » Guida Gallo 2006 « , 100 risotti des plus grands restaurants du monde, Ed. Gribaudo.

(2)  » Risotto « , par Toni Vianello, Flammarion.

Gilles Stassart

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