Vêtements de peu, de tous les jours, usés jusqu’à la corde, rapiécés avec plus ou moins de bonheur et hissés au rang de modèles de haute couture. V êtements de rien : c’était en janvier dernier, au Théâtre de l’Odéon, un drôle de défilé imaginé, écrit, présenté, lu à haute et intelligible voix par Olivier Saillard, historien de la mode et reponsable des expositions mode au musée des Arts décoratifs à Paris. Un joli ballet surréaliste de lambeaux de fringues qui côtoyèrent, il y a longtemps déjà, au siècle dernier, le genre humain. Un chapelet de pièces numérotées et appelées savoureusement, férocement parfois,  » À fleur de ma peau perdue « ,  » Yohji m’a vu « ,  » Blouse bal des machines « ,  » Scène de ménage de Coco à Rei  » ou  » Écume rose en veste de vieille fille « . Cela n’avait rien d’un exercice, tout d’un cri d’amour, avec fossettes en coin, un  » manifeste poétique contre la surproduction de la mode « . Une histoire idéale de la mode contemporaine, en somme.

Et soudain, on s’est dit qu’elle avait un léger accent belge, cette Leçon de haute couture printemps-été 2010. Elle jouait avec élégance, mais pas en sourdine, cette petite musique particulière, on l’a reconnue. Ce goût certain pour l’irrévérence, le no logo, l’anti show-off, les sentiers pas battus, le lustre des vêtements, le trompe-l’£il, la déconstruction et la rupture de ton. Une profession de foi partagée par les créateurs de l’école du Nord – vue de Paris, la Belgique copine avec le Cercle polaire, n’est-ce pas ? Même si cette école n’en est pas une. Car tous, du duo A.F. Vandevorst à Véronique Leroy, en passant par Ann Demeulemeester, Annemie Verbeke, Bruno Pieters, Cathy Pill, Christian Wijnants, Dries Van Noten, Jean Paul Knott, Kris Van Assche, Maison Martin Margiela, Sandrina Fasoli ou Tim Van Steenbergen (lire aussi en pages 20 à 40), tous, ils ont la particularité de ne jamais ressembler aux autres, de n’avoir pas de chapelle, de poursuivre leur voie, royale.

Le renouvellement saisonnier envoie valdinguer ce que l’on adorait hier. Pas avec les Belges. Chacun creuse un sillon, le sien, dans des silhouettes qui cartographient l’époque, la devancent parfois. Ces collections printemps-été 2010 marqueront-elles un point de départ ou de non-retour ? Serviront-elles de phare à la décennie qui éclot ou de clôture à celle qui s’évanouit ? Seront-elles le manifeste d’un xxie siècle qui aime la mode pour ce qu’elle est, pas pour ce qu’elle génère ? On verra ça plus tard, quand sera venu le temps des musées.

Anne-Françoise Moyson

« Ce goût certain pour l’irrévérence. »

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