Avec Une initiation à la cuisine du champignon, Philippe Emanuelli bouscule les clichés liés à ce produit culte. 5 bons plans pour devenir un chasseur-cueilleur urbain.

Cela fait un peu plus de dix ans que Philippe Emanuelli traque le champignon. Ce sommelier hors pair s’est pris de passion pour ce végétal qui ne connaît pas la chlorophylle le jour où il a poussé la porte de Champignac, une petite épicerie fine ouverte par Pierre Lefèvre à Saint-Gilles. Curieux et créatifs, les deux foodies ont d’emblée parlé la même langue. Ensemble, ils ont alors voulu explorer tout le potentiel de ce produit méconnu et réputé difficile à travailler. Pour ce faire, ils se sont associés afin d’ouvrir un lieu unique, le Café des spores, juste en face de l’épicerie en question devenue aujourd’hui La Buvette de Nicolas Scheidt. Particularité de ce café ? Du champignon, rien que du champignon, de l’entrée au dessert, préparé en live et avec un minimum d’infrastructure. Avec le recul, on peut dire que cette ancienne quincaillerie reconvertie a lancé la tendance bistronomie à Bruxelles. Depuis, l’eau a coulé sous les ponts ; Pierre Lefèvre est retourné à ses premières amours, les livres, qu’il vend à la pelle au Bozarshop, à Bruxelles. Après avoir longtemps fait perdurer l’esprit du Café des spores, aujourd’hui repris par Nicolas Scheidt, et l’avoir même importé sur les marchés, Philippe Emanuelli donne maintenant un nouvel élan à sa carrière par le biais d’Une initiation à la cuisine du champignon. Cet ouvrage dépoussière le genre dans la mesure où la littérature abordait jusqu’à présent le sujet comme si tout le monde disposait d’une forêt magique au bout de son jardin. La maison d’édition française qui a accepté de publier cette somme – Marabout – ne s’y est pas trompée. Elle a dit oui immédiatement en découvrant la maquette que l’ancien patron du Café des spores avait bidouillée en compagnie du photographe Frédéric Raevens. Au sommaire de cette brique très digeste qui a pour particularité de présenter des recettes composées uniquement de champignons achetés en ville, une nouvelle approche d’un produit fragile qui est intimement lié avec son environnement et qui, du coup, interroge nos modes de consommation. En exclusivité pour Le Vif Weekend, Philippe Emanuelli nous explique comment s’approprier le champignon dans un contexte résolument urbain.

1. S’affranchir du folklore. Pas besoin de courir les bois pour dénicher de bons champignons. D’ailleurs, mieux vaut éviter la cueillette pour plusieurs raisons. D’abord, parce que les endroits où l’on peut cueillir sont de plus en plus restreints et qu’une gestion des ressources s’impose. Ensuite, plus grave, parce que les champignons sont des éponges : ils ont donc tendance à capter certains polluants… Mieux vaut être certain de la qualité du sol où l’on ramasse.  » Beaucoup de champignons sauvages prolifèrent dans des biotopes peu protégés, souvent ils bordent des champs en culture conventionnelle, ce n’est pas l’idéal en raison de l’usage intensif des pesticides « , explique Emanuelli.

2. Ne pas mépriser les champignons de culture. Les champignons de culture – de type champignons de Paris – sont regardés de haut. Erreur grossière.  » À l’heure de la pollution généralisée et de la raréfaction de certaines espèces, la culture représente l’avenir du champignon. Il existe des champignons de culture bio et locaux issus de carrières travaillant de façon traditionnelle. C’est la garantie d’une qualité difficile à obtenir quand on fait de la cueillette sauvage « , analyse le spécialiste. Autre avantage du champignon de culture, il est disponible en toute saison. Un élément important en ville car les consommateurs sont habitués à avoir à disposition une grande variété de légumes tout au long de l’année. Sans compter qu’il ne doit quasiment pas être nettoyé, d’où un gain de temps précieux.

3. Penser et cuisiner séché.  » Les champignons séchés ont mauvaise presse. Or il s’agit d’un vrai plus. C’est flagrant pour la cuisson, l’une des étapes les plus difficiles à maîtriser en raison de l’eau contenue dans les champignons. Avec les champignons séchés, on dose l’eau soi-même par adjonction pleinement maîtrisée. Sans aucune perte gustative, le procédé de déshydratation concentrant au contraire les arômes.  » Le séchage possède un autre atout : en raison de la raréfaction des champignons, il faut aller les chercher de plus en plus loin. Le procédé – qui divise le poids d’un champignon par vingt – permet de réduire la facture énergétique. Autre avantage, le séchage autorise la mise sur le marché de champignons comme le coprin chevelu ou la coulemelle qui doivent en principe être consommés dans l’heure qui suit la cueillette. Totalement convaincu par les champignons séchés, Philippe Emanuelli a créé Supersec, une marque de champignons séchés  » zéro pollution  » glanés en Grèce dans un parc naturel situé du côté de la Macédoine.

4. Connaître les bonnes adresses. Il est important de pouvoir se fier à son maraîcher ( voir nos suggestions en page 54). Pour tous ceux qui habitent le sud du pays, Philippe Emanuelli recommande de sillonner les marchés locaux dans les Ardennes – seule véritable zone de cueillette – au moment de la récolte.

5. Faire preuve de bon sens. Si l’on veut du champignon frais et sauvage, il faut tenir compte du moment de l’année et arrêter d’associer champignon et automne. Et bien sûr, pas question de chercher à obtenir des cèpes en hiver ou des truffes en été.  » La truffe constitue un cas d’école à elle toute seule, confie Emanuelli. Tout le monde se rue dessus au moment des fêtes de fin d’année, alors qu’elle est loin d’être à pleine maturité. La demande fait grimper les prix jusqu’à 2 500 euros le kilo. Deux mois plus tard, en février, plus personne n’en veut alors qu’elle est parfaite et ne coûte plus que 600 euros maximum.  » Dernière recommandation, il est impératif de gérer les quantités. Il faut compter entre 100 et 150 grammes de champignons par personne. Pour un plat à la truffe, en revanche, 10 à 30 grammes par personne sont suffisants.

PAR MICHEL VERLINDEN

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