On la voit cet hiver, dans la campagne du parfum Sí de Giorgio Armani. Son rôle dans Carol, en salle actuellement, pourrait lui valoir plusieurs récompenses prestigieuses. 2016 démarre en force pour Cate Blanchett…

Dans Carol, vous jouez une femme mariée, éprise d’une jeune photographe, dans l’Amérique des années 50… Après Elizabeth, Charlotte Gray, Veronica Guerin, Blue Jasmine, etc., c’est la huitième fois que vous tenez un rôle-titre…

Ah oui ? Je n’y avais pas pensé. Je vous assure que je n’y suis pour rien. Sinon, j’aurais demandé qu’on change le titre de Cendrillon, où j’incarnais la marâtre, pour  » Belle-mère « , cela aurait fait neuf films ! Plus sérieusement, pour Carol, c’est un pur hasard. A l’origine, le livre dont est tiré le scénario s’intitulait The Price of Salt (Le prix du sel). Il est sorti en 1952, sous la signature de Claire Morgan, qui n’est autre que le pseudonyme de Patricia Highsmith (L’inconnu du Nord-Express). Le roman a fait scandale, et il a fallu quelque temps pour qu’il reparaisse sous un nouveau nom, Carol. Il aurait pu aussi s’appeler  » Therese « , le prénom de la jeune fille dont Carol tombe amoureuse (interprétée par Rooney Mara). En effet, la scénariste a changé le point de vue de l’histoire, de manière qu’on cerne mieux les deux femmes.

Le réalisateur Sydney Pollack (Out of Africa) aimait répéter que tout était politique, même une rencontre amoureuse. Dans ce cas, Carol, qui est un plaidoyer pour la tolérance et la cause féminine, est-il un film politique ?

Ce n’est pas de l’agit-prop non plus ! C’est très cynique de voir de la politique partout. Mais Sydney aimait bien provoquer le débat. Carol, c’est avant tout une histoire d’amour entre deux personnes isolées, marginalisées, mais volcaniques. Leur relation évolue dans un contexte social particulier, celui des années 50, où une liaison homosexuelle, a fortiori quand elle engageait une mère de famille, provoquait des remous catastrophiques. Le film ne joue pas la carte politique, mais expose les options qu’ont Carol et Therese, et souligne le courage de Carol pour assumer ses sentiments. C’est après la projection que peut naître le débat d’idées. Pendant, tout est fondé sur une élégance, une légèreté, une musicalité, plus présentes qu’un sous-texte politique.

L’élégance, justement, frise ici l’obsession tant tout est millimétré, jusque dans vos moindres gestes, votre port de tête, ou quand vous faites l’amour pour la première fois avec Therese – Rooney Mara…

Je voulais qu’on ressente chaque mouvement du personnage. Que Carol soit à la fois accessible et mystérieuse. Elle devait être fluide et inatteignable, afin qu’on ait envie de la connaître. Et, pour la fameuse scène que vous évoquez avec Rooney, il n’y a eu aucune gêne. Todd Haynes est d’une telle délicatesse ! Comme tout créateur, il est très méticuleux, mais pas précieux. Il a un grand sens de la beauté, de l’esthétique, mais il est aussi très rock’n’roll et sauvage. Son tact et son esprit libre-penseur créent une texture unique sur le plateau qui définit son travail, cela se ressent à l’écran. Regardez ses films précédents : Safe, Velvet Goldmine… C’est impertinent, cru, beau. Carol a ceci de plus que Todd s’adresse à un public plus large, tout en gardant son intégrité.

Vous parlez d’intégrité, mais n’y a-t-il pas des longs-métrages dans votre filmographie que vous avez acceptés juste pour le chèque ?

Pour cela, il aurait fallu qu’on me le propose, ce gros chèque – car je suppose que la somme doit être conséquente pour qu’on accepte de faire une chose qui ne nous plaît pas ! Vous allez être déçu : non. Je ne regrette absolument rien et j’assume toute ma filmographie.

Vous évoquiez Cendrillon. Avouez qu’on ne vous attendait pas là…

Et c’est justement pour cette raison que je l’ai accepté ! Par exemple, quand on m’a proposé le rôle de Galadriel dans Le seigneur des anneaux, mon agent m’a dit que je n’étais pas obligée, avec une pointe de mépris dans la voix. Je l’ai traité de malade et j’ai foncé – et, comme je prends mes propres décisions, j’ai des relations disons  » costaudes  » avec lui ! Je me tue à lui expliquer que tout est risqué, qu’on peut avoir les meilleurs éléments à la base et se retrouver avec un ratage à l’arrivée. C’est souvent l’imprévu qui apporte la grâce. J’en reviens à Cendrillon : le budget costumier, maquilleur et coiffeur prévu sur Carol était si petit qu’on économisait tout ce qu’on pouvait. C’est ainsi que les essayages de Carol se sont déroulés sur le plateau de Cendrillon.

Un gros film vous permet donc de soutenir des projets plus modestes ?

Oui, mais ce n’est pas pour cela que j’accepte le gros film. Je m’intéresse autant aux blockbusters qu’à des oeuvres obscures de la Chine du Nord ou du Kazakhstan ! Je n’ai pas d’oeillères. Woody Allen dit qu’un mauvais film demande autant d’efforts qu’un bon. On doit juste être conscient de ce que l’on fait. Il y aura toujours des compromis et des contraintes, mais cela fait partie du contrat. Il faut en être conscient avant. Je suis fière de Carol, un petit film indépendant dont le scénario circule depuis longtemps – il a été écrit il y a une quinzaine d’années – et auquel je suis attachée depuis six ans. Le montage financier a été compromis, la distribution a failli être annulée, la production a franchi divers obstacles sans s’éloigner du projet initial. Qu’il ait du succès ou non, qu’il soit récompensé ou non, on s’en moque. C’est le film qu’on voulait faire.

L’oscar remporté pour Blue Jasmine de Woody Allen a-t-il changé votre vie ?

Non. Je me suis juste remise à croire à une carrière dans le cinéma. J’avais commencé à en faire le deuil, sans grands regrets, car je travaillais beaucoup par ailleurs, notamment avec une troupe de théâtre en Australie. Et puis j’avais mes enfants, dont je m’occupais davantage. Cet oscar m’a permis de me rappeler au bon souvenir de la profession et du public.

Vous venez d’adopter une petite fille, et vous aviez déjà trois enfants. Comment gérez-vous votre vie de famille ?

Ma petite dernière m’accompagne dans mes déplacements promotionnels. En revanche, pour un tournage, j’essaie dans la mesure du possible de rester près de chez moi. Surtout que l’aîné traverse une période difficile, le cadet a des examens, le troisième attend qu’on ne soit pas à la maison pour faire la fête… L’année dernière, j’avais un script formidable, mais j’ai dit que je le ferais à condition que le tournage ait lieu en Australie. Les producteurs ont évalué le budget, se sont aperçus qu’on pouvait filmer en décors… Du coup, ils ont accepté. Mais cela ne me dérange pas de refuser des films. Personne n’est indispensable, et il faut laisser du travail aux autres. Mon mari a une carrière, on a de quoi vivre, tout va bien.

On chuchote que vous avez rencontré votre mari à une partie de poker. C’est vrai ?

Oui ! Je joue aussi, mais pas très bien. J’ai rencontré Andrew lors d’une partie, on s’est embrassés et, trois semaines plus tard, on s’est mariés !

Et vous jouez encore ?

Lui, surtout. Il se débrouille bien. J’aime le poker : c’est une leçon de vie et on apprend sur soi.

Votre carrière a décollé en même temps que celle de Kate Winslet. Elle avec Titanic, vous avec Elizabeth. On vous confond toujours toutes les deux ?

Mais oui ! Combien de fois ne m’a-t-on pas félicitée pour Titanic ! Je ne m’en lasse pas. Je ne démens pas et je dis merci. Il y a une semaine encore, quelqu’un m’a arrêtée et lancé :  » Etes-vous qui je pense ? » J’ai répondu :  » C’est-à-dire ? » –  » Kate Winslet ! » La personne était si contente… J’ai récolté les compliments et j’ai continué mon chemin. Et vous ne connaissez pas la meilleure ? Kate et moi avons le même agent !

Lisez-vous ce qu’on raconte sur vous sur Internet ?

Les réseaux sociaux sont un outil très pratique, mais c’est comme les toilettes : les graffitis sur les murs ne sont jamais très utiles. C’est parfois drôle, on peut dénicher un brin de poésie, mais cela demande de lire 1001 choses inutiles ou méchantes pour en trouver une notable… Je ne suis inscrite ni sur Twitter ni sur Facebook. Je préfère faire les choses que les commenter.

PAR CHRISTOPHE CARRIERE

 » JE VOULAIS QU’ON RESSENTE CHAQUE MOUVEMENT DU PERSONNAGE. QUE CAROL SOIT À LA FOIS ACCESSIBLE ET MYSTÉRIEUSE. ELLE DEVAIT ÊTRE FLUIDE ET INATTEIGNABLE, AFIN QU’ON AIT ENVIE DE LA CONNAÎTRE. « 

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