C’est le mot d’ordre du psychiatre Laurent Schmitt, qui publie un passionnant ouvrage où il rappelle ce besoin essentiel : retrouver son  » temps intime « , celui que l’on consacre à soi-même et non pas aux autres ou aux exigences du travail.

Avec Du temps pour soi. Conquérir son temps intime (*), le psychiatre français Laurent Schmitt – il coordonne le pôle de psychiatrie des hôpitaux de Toulouse et dirige une équipe de recherche sur le stress et le traumatisme – se livre à une analyse pointue de notre rapport au temps… Tout en nous proposant des pistes pour reconnaître notre propre rythme, nous mettre à l’écoute de notre  » temps intime « . Interview.

Comment sommes-nous passés d’un rythme un peu bousculé au tempo effréné qui domine nos vies aujourd’hui ?

En un demi-siècle, nous avons complètement changé de temporalité. D’un temps binaire, alternant travail et repos, nuit et jour, semaine et week-end, nous avons glissé vers un temps unique, où tout se mélange. Autre aspect nouveau : l’immédiateté. Ainsi, de la lettre, à laquelle on devait consacrer un peu de temps, sommes-nous passés, grâce aux nouvelles technologies, à la correspondance instantanée. Nous sommes désormais tenus par une  » laisse électronique « . Pas moyen de s’en défaire ; personne ne comprendrait que l’on réponde à un SMS trois jours après l’avoir reçu. Nous nous sommes donc adaptés. La preuve : notre entretien a lieu un samedi, ni vous ni moi n’y trouvons à redire ! Les nouvelles technologies engendrent de nouvelles obligations. Cette rapidité obligée nous impose de multiplier les contacts et, donc, les activités. Un e-mail envoyé conjointement en un quart de seconde à dix personnes entraîne la réaction de ces dix destinataires, qui devront répondre rapidement, l’envoyer en pièce jointe à dix autres personnes, qui formulent à leur tour des remarques, ce qui finit par susciter une réunion. La rapidité ne supprime pas les contraintes, elle les crée. Tout devient urgent.

Le temps est-il donc aussi un produit qu’il faut rentabiliser ?

On voit des touristes multiplier frénétiquement les visites, des mères accumuler les activités culturelles et sportives dans l’emploi du temps des enfants, des couples gérer des agendas sociaux qui donnent le tournis. Nous avons  » chosifié  » le temps au point de le concevoir désormais comme un bien matériel. L’obligation d’en faire toujours davantage – cause de stress et de burn-out – nous pousse à avoir une approche consumériste du temps. Nous en sommes devenus des dévoreurs compulsifs. On le gagne, on le comptabilise, on le rentabilise, au point que le corps finit par demander grâce. Résultat d’une pensée sans cesse contrainte ? Migraines, infarctus et cancer sont en augmentation constante.

On oublierait de penser à soi ?

À force d’être disponible pour tous – patron, famille, clients, amis -, on a oublié de l’être pour soi. Les femmes sont les plus touchées ; elles travaillent la semaine, font le taxi pour les enfants, gèrent la maison. Elles courent à la danse, coincent la poterie ou le yoga à l’heure du déjeuner et font de la gym le soir. Dans la bataille, elles ont perdu leur jardin secret. La prise de conscience se fait souvent lors d’un arrêt obligatoire – maladie, période de chômage, divorce, retraite -, qui provoque une cassure et oblige à reconsidérer toute l’organisation de l’existence. Se font alors ressentir le besoin et le désir de retrouver une sorte d' » hygiène  » dans le rapport au temps.

Comment définir ce temps pour soi ?

La vraie question est la suivante :  » Quels sont mes rythmes propres ?  » L’enjeu est de savoir les différencier de ses rythmes imposés. Pour jouir de son temps, il ne faut ni se laisser envahir par l’activité ni se faire piéger par un fantasme d’éternité à coups de  » Vivement la retraite, ou les vacances, que je n’aie plus rien du tout à faire « . Car, à se dégager beaucoup de temps, le risque est celui de la monotonie et, donc, de l’ennui.

Qui peut nous guider dans cette recherche ?

Il n’y a pas de recette miracle. Pas de coachs, pas de stage, bien que certains psychanalystes prônent des  » cures d’ennui « . Il faut de la vigilance, de la détermination, de l’envie et beaucoup d’écoute de soi. D’autant plus que nos rythmes et notre perception du temps varient au cours de notre existence. Prendre du temps pour soi à l’adolescence, quand on est jeune adulte avec des enfants ou quand on devient plus âgé ne va pas se réaliser de la même manière. Mais quel que soit le choix, il doit être librement consenti. C’est un temps pour se faire plaisir, pour se ressourcer.

En clair, comment faire ?

Il faut se ménager des jachères ; des espaces non cultivés qui vont permettre de se retrouver. Certains font du sport ou se lancent dans une activité artistique, d’autres vont se faire masser. Il faut que cette activité – qui doit être unique et non pas une accumulation d’activités – soit librement choisie. Je constate que l’on retourne volontiers à des choses simples. Je connais des marcheurs qui partent, chaque année, quelques jours sur le chemin de Compostelle. Ils font un break pour pouvoir enfin se parler à eux-mêmes. Dans le même ordre d’idées, la méditation est en plein boom. Mais les pauses peuvent être bien plus courtes également. Un chirurgien canadien me racontait qu’entre deux interventions il aimait plaisanter avec son staff. S’arrêter quelques minutes, laisser filer un peu de temps pour le plaisir, histoire de tenir le stress à distance et de reprendre la main. Tout cela n’est pas pour autant une  » non-activité « . Quand on n’est plus dans le  » faire « , on conçoit des espaces d’imagination. En bref, on est plus intelligent.

(*) Du temps pour soi. Conquérir son temps intime, par Laurent Schmitt, Odile Jacob, 270 pages.

PAR MARIE-CHRISTINE DEPRUND

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