Tandis qu’une expo à Londres célèbre ses métamorphoses les plus extravagantes à travers les âges, le couvre-chef reprend sa place dans la mode du printemps-été. Un grand coup de chapeau !

Canotier chez Marc Jacobs, borsalino chez Gucci, Stetson chez Hermès, capeline chez Burberry Prorsum, et même panier garni chez Junya Watanabeà Cette saison, les créateurs nous font bel et bien porter le chapeau. Une petite révolution dans le monde des accessoires, longtemps voué aux seuls dieux sac et soulier. Autre preuve de ce regain d’intérêt, le Victoria and Albert Museum, à Londres, consacre au couvre-chef une exposition magistrale, atavisme chapelier oblige (*). Conçue par l’un de ses orfèvres d’outre-Manche, Stephen Jones, cette anthologie essentielle (près de 3 000 pièces sont présentées) dresse un panorama extraordinaire du chapeau à travers les âges, d’un masque égyptien du dieu Anubis aux mobiles contemporains en plumes de l’Anglais Noel Stewart, en passant par les bibis new-look de Mitza Bricard pour Christian Dior. Une richesse d’expression dont on avait perdu la mesure, tant cet accessoire est devenu, ces dernières décennies, l’apanage des excentriques ou des mariages endimanchés.

Pourtant, jusque dans les années 1960, les femmes  » comme il faut  » ne sortaient pas  » en cheveux « , signe de séduction provocante.  » Depuis l’Antiquité, le couvre-chef est une pièce vestimentaire majeure, car elle sert à protéger et à orner la partie la plus noble du corps, à savoir la tête. En même temps, elle exprime souvent une fonction ou une autorité dans la fonction, comme la couronne des rois ou le képi du policier, mais aussi, pour les femmes, la position sociale de leur mari « , explique Eliane Bolomier, coauteur de L’Encyclopédie du couvre-chef (Samedi midi éditions). Plus qu’un simple accessoire, le chapeau est aussi un support de message. A l’époque de Marie-Antoinette, et sous l’influence de sa modiste star, Rose Bertin, les  » poufs aux sentiments  » s’ornent de frégates pour saluer une victoire de la marine royale. Et, en 1945, les turbans prennent les couleurs de la France libérée. Symbole d’une mode d’un autre âge, contraignante et empesée, le chapeau verra son déclin dans les sixties, à la faveur des volumineuses coiffures du moment, choucroutes à la BB et crinières façon Vidal Sassoon. Distance oblige, la nouvelle génération semble aujourd’hui le trouver à son goût, arborant crânement la chapka ou le trilby, un feutre d’homme à petit bord popularisé par le chanteur Pete Doherty.

 » On a vu revenir le chapeau il y a quatre ans, avec la tendance vintage, mais il lui a fallu autant de temps pour vraiment descendre dans la rue. Le fait que les stars l’ont adopté a contribué au phénomène, on a beaucoup vu Sienna Miller et son melon, Lou Doillon et ses casquettes, Mischa Barton et ses bandeaux. Porter un chapeau, cela donne du caractère, de la personnalité « , analyse Dauphine de Jerphanion, styliste accessoires au Bon Marché, à Paris. Même la première dame de France s’y est mise, optant pour l’élégance sage d’un pillbox de Dior très Jackie Kennedy lors de sa rencontre avec la reine d’Angleterre, réputée pour ses extravagances chapelières. Il faut dire qu’outre- Manche on sait porter le couvre-chef avec un flegme inégalé.  » Je ne peux m’imaginer sortir de chez moi sans chapeau. Sans cela, comment un look pourrait-il être complet ? De la casquette au turban, le chapeau est l’accent, le point d’exclamation, la note finale qui ponctue la silhouette dans son ensemble « , écrit John Galliano dans sa préface du catalogue de l’exposition du V & A.

Dans le sillage des Anglais Stephen Jones et Philip Treacy, du Belge Elvis Pompilio ou de la Française Marie Mercier, qui ont contribué dans les années 1980 à son retour, de nouvelles têtes à chapeau font parler d’elles. En 2006, Laetitia Crahay, responsable des accessoires chez Chanel, est devenue la directrice artistique du chapelier Michel, propriété de la griffe au double C. C’est chez elle que les people viennent se fournir, Pete Doherty en trilbys, les s£urs Olsen en bandeaux à plumes.  » L’idée était de se servir du savoir-faire traditionnel de la maison pour créer une ligne plus jeune et moderne. Pas de grands volumes autour de la tête, mais plutôt de petites choses que l’on puisse porter au quotidien, comme des serre-tête ou des minimelons en patchwork « , explique-t-elle. Une forme très Swinging London, que Sonia Rykiel a contribué à féminiser l’hiver dernier avec ses modèles aux couleurs pop. Car le chapeau nouvelle génération est moins conceptuel qu’amusant.

Un retour à l’élégance

 » Il m’a permis de revenir à quelque chose de plus artisanal, de plus humain aussi, car il tient dans la main comme un objet. Je le travaille davantage comme un accessoire de tête avec des bibis d’inspiration rétro que j’adore, de petits décors en suspension auxquels j’ajoute des fleurs, des plumes, des voilettes « , explique Benoît Missolin, qui se consacre exclusivement aux chapeaux depuis trois ans. Un terrain d’expression qui ne cesse d’attirer les créateurs, qui, des gants aux bijoux, n’en finissent pas de ressusciter les raffinements des années dorées de la couture. Peut-être aussi pour apporter une touche fantaisiste à des vêtements qui le sont moinsà  » L’engouement pour les chapeaux coïncide aussi avec un retour à l’élégance dans les collections, à un hommage à Yves Saint Laurent, qui les aimait tant, des chapkas du défilé russe à ses petits canotiers fétiches, que Marc Jacobs a revisités ce printemps « , poursuit Dauphine de Jerphanion. Et le phénomène n’est pas près de s’arrêter, puisque l’hiver prochain s’annonce sous le signe des capelines molles à la Yoko Ono ou des petits bibis géométriques à la Grace Jones. En attendant qu’une tendance capillaire décoiffante vienne le chasser de son piédestal, le chapeau garde la tête bien au chaud.

(*) Chapeau : an Anthology by Stephen Jones, Victoria and Albert Museum, jusqu’au 31 mai prochain.

Charlotte Brunel

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