Sa région, Nicolas Buissart veut qu’on la regarde, pour ce qu’elle est. Pas toujours belle à voir. Mais enjôleuse à sa manière. Ses trekkings sur terrils la révèlent autrement. Visite coup-de-poing. Sous le crachin.

Il paraît que quand on aime pour de vrai, on arrête de se mentir sur celui que l’on a en face de soi. On le prend pour ce qu’il est, défauts compris. Et on fait avec. Sûr que la passion qui lie Nicolas Buissart et Charleroi en est à ce stade-là. Sa ville, il l’aime dans toute sa laideur objective.  » Le moche parfois, c’est tellement intense, que ça en devient beau « , affirme le trublion de 29 ans. Alors quand cet agitateur public s’improvise guide touristique, le circuit, on s’en doute, ne fait pas dans la dentelle. A bord d’une camionnette aux couleurs du célèbre zèbre carolo – la mascotte du Sporting, l’équipe de foot locale de 1re division -, les touristes d’un jour vêtus d’un tee-shirt affichant bravement  » Ik hou van Charleroi  » s’embarquent avec lui pour un safari urbain à la découverte de la rue la plus déprimante du monde, des rames du métro fantôme et les chancres industriels pourrissant sur pied.

C’est en s’inscrivant comme étudiant à l’Académie des beaux-arts d’Anvers que Nicolas Buissart a eu l’idée de ces trekkings sur terrils.  » Quand je suis arrivé là-bas, tout le monde connaissait Charleroi, Ryanair et tout ça, rappelle-t-il. Mais très peu de Flamands y avaient déjà mis les pieds. A leurs yeux, j’étais aussi exotique qu’un Japonais ou une Espagnole.  » La première expédition tient de la farce. Mais le buzz prend, la presse débarque, de loin même parfois – la BBC, France 2 entre autres -, attirée par les détours les plus glauques du circuit promettant, selon le site Internet de Charleroi Aventure, une vue imprenable sur  » l’endroit où la mère de Magritte s’est suicidée et la maison tristement célèbre de Marc Dutroux « .

Le voilà, le sujet qui fâche. Et qui fait froid dans le dos.  » Mais on ne s’arrête pas, insiste Nicolas Buissart. Et on ne passe que si les gens le demandent. Eh oui, il y en a qui demandent.  » Quand on lui rétorque que ce sightseeing sordide n’était peut-être pas indispensable pour présenter la région, il réplique :  » Parce que vous croyez que sans cela on aurait parlé de nous ?  » Et c’est bien le but de la man£uvre. Nicolas Buissart ne s’en cache pas : s’il est aussi remuant, c’est pour s’attirer la lumière des projecteurs. Point barre. Designer de formation – il est aussi diplômé de Saint-Luc à Tournai – cet artiste-performeur dans l’âme compte bien se faire un nom. A coups de Unes de journaux. Comme les safaris ne suffisent pas, il plante aussi des  » cabanes de barakis  » à Anvers, à Mons, ou à Bruxelles dans le parc d’Egmont.  » Celle-là, je l’ai fabriquée entièrement avec matériaux de récup dont l’Iselp (Institut supérieur pour l’étude du langage plastique) ne voulait plus, rappelle le pro de la provoc. Mais bon, ce n’est pas une démarche écolo, parce que ce discours-là, ça me saoule. Ce serait plutôt écono. La preuve qu’on peut faire du beau avec rien. « 

Son utopie à lui, ce serait de pouvoir investir les hangars inoccupés qui jouxtent l’Académie des beaux-arts de Châtelet.  » Y installer une cafet, un magasin où l’on vendrait mes objets loufoques « , plaide-t-il. Un bracelet à mayonnaise, un portemanteau bricolé avec des vieux isolateurs électriques, des portes de garage bidon qu’on pose sur un mur pour se réserver une place de parkingà Tous décalés, limite potache, avec un petit côté survivor tout de mêmeà  » Je voudrais produirer cela ici, dans la région, en petites quantités, avec des petites vieilles du coin, précise Nicolas Buissart. Un vrai projet intergénérationnel quoi.  » Upgrader l’Académie, aussi.  » Vous ne pensez pas que si c’est si moche, ici, c’est parce qu’il n’y a pas d’université, pas d’enseignement artistique de niveau supérieur ? s’insurge-t-il. Vous savez, je ne me moque pas des gens, je veux qu’on parle de la région, qu’on la regarde. Cette ville, en réalité, c’est un tas de petits villages agglutinés les uns aux autres. C’est féodal. Au Moyen Âge, il y avait le bouffon du roi. C’est ce que je suis, moi.  » Le fou de Charleroi.

Face à nous, sous un crachin sale encore assombri par l’essuie-glace côté passager qui a décidé de faire la gueule, une chaussée triste étale ses enseignes publicitaires bricolées et hideuses. Comme dans toutes les moches rues commerçantes du monde, finalementà  » On me demande souvent ce qui me retient ici, ajoute Nicolas Buissart. Je sais que pour être un jour reconnu, il faudrait que je passe par Londres ou Paris. Je le ferai sans doute mais pour mieux revenir.  » Pointant du doigt une perspective de hangars déglingués, il assure.  » Un jour ici, ça va lofter à mort. La misère ça conserve. Charleroi, ça pourrait être le Bruges de 2200.  » Si ce n’est pas de l’amour, çaà

www.nicolasbuissart.be

Par Isabelle Willot

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