Lorsque le défenseur d’une haute couture  » à la belge  » rencontre la papesse des variétés  » à la française « , les souvenirs foisonnent et l’élégance triomphe. Top à Gerald et Maritie!

Né dans les années 1960, Gerald Watelet garde de son enfance namuroise des souvenirs télévisés émus où les soirées du samedi ressemblaient à de grandes fêtes musicales et pailletées. A l’époque, les émissions de variétés telles que  » Top à…  » et autres  » Numéro Un  » triomphaient allègrement sur le petit écran cathodique dans un esprit de franche camaraderie et d’élégance subtile que le couturier belge n’a certes pas oublié. C’est dire si Gerald Watelet fut touchée par l’invitation de Weekend Le Vif/L’Express à rencontrer le pôle féminin du tandem Maritie et Gilbert Carpentier, producteurs émérites de ces shows mémorables. De passage en Belgique pour nous parler de son récent livre de souvenirs  » Merci les artistes!  » (paru aux éditions Anne Carrière), Maritie Carpentier a gentiment relevé le défi d’un entretien inattendu avec le digne représentant d’une haute couture  » made in Belgium « , histoire de confronter les points de vue sur ces années de strass et de chansons. Coup de projecteur sur un après-midi tout en douceur…

Gerald Watelet : Ce qui est bien dans votre livre, c’est que l’on connaît tout le monde! Je viens d’une famille très  » variétés  » où l’on jouait beaucoup d’accordéon et comme je regardais aussi vos émissions, j’y ai retrouvé tout un univers que j’ai adoré et que j’adore encore. Mais ce qui m’a surtout frappé dans votre témoignage, c’est la grande gentillesse et le grand esprit collectif qu’il y a tout au long de ces pages. Chacun avait envie que cela marche. Bon, de temps en temps, il y avait un emmerdeur qui passait, mais en règle générale, tout le monde s’y mettait : le producteur, vous, les techniciens, les chanteurs… Aujourd’hui, je pense que cet esprit collectif doit avoir plutôt disparu.

Maritie Carpentier : Oui, c’est vrai.

G.W. : Parce que le but était, finalement, d’arriver à faire une émission sublime. Et d’ailleurs, c’était bien plus qu’une émission, c’était un spectacle…

M.C. : Oui, bien sûr, avec des sketchs, des danses, et tout et tout! Cela foisonnait d’artistes doués qui étaient non seulement des bons chanteurs et des bons comédiens, mais qui étaient, en plus, des bons  » entertainers « . C’est ça qui était formidable.

G.W. : Et chacun passait d’un rôle à un autre.

M.C. : Oui, c’était ça, l’idée : montrer qu’ils étaient polyvalents.

G.W. : C’était génial!

M.C. : Il faut dire que, quand j’étais petite, j’allais souvent au cinéma avec mon père le dimanche et comme il avait peur que je voie des scènes qui n’étaient pas très morales, il évitait les films français du style  » Quai des Brumes  » qui ne faisaient pas bon genre. Donc, il m’emmenait voir des comédies musicales avec Fred Astaire parce que lui, il ne couchait jamais ( rires)! Il était très convenable…

G.W. : Mais dans vos émissions, vous vous faisiez non seulement plaisir, mais vous faisiez surtout plaisir aux artistes. Vous réalisiez tous leurs fantasmes…

M.C. : Ah oui, car pour nous, décevoir un artiste, c’était la honte!

G.W. : Et c’est en leur faisant ce plaisir fou d’accepter tous leurs caprices que vous faisiez des émissions exceptionnelles.

M.C. : C’était une façon de les intéresser vraiment à la nouvelle télévision.

G.W. : C’est logique. En fait, c’était un peu leur bac à sable. Ils s’amusaient un peu…

M.C. : Ils s’amusaient beaucoup! C’était extraordinaire! En tout cas, ils montraient quelque chose qu’on n’avait pas vu ailleurs. Et c’était amusant même si cela n’était pas parfait. D’ailleurs, on n’hésitait pas à mettre la main à la pâte. J’ai même recousu des bas de pantalons de chanteurs dont celui de Michael Jackson lorsqu’il était enfant à l’époque des Jackson’s Five.

G.W. : Woaw!

M.C. : Je revendique cet exploit! Nous avons donc un tout petit point commun vous et moi…

G.W. : Si on veut, oui ( rires)! Un ourlet! Mais pas n’importe quel ourlet ( rires)! Et encore une fois, c’est ce qui me touche le plus tout au long du livre, c’est précisément ce côté volonté collective de bien faire. Du style :  » Ah, il y a un tel qui ne sait pas venir ce soir, tu ne veux pas le remplacer?  » Aujourd’hui, ce sont des choses inconcevables. Il faudrait passer par je ne sais combien d’agents avant d’avoir un accord de l’artiste.

M.C. : Exactement! Mais, dites-moi, vous racontez mon livre dix fois mieux que moi ( rires)!

G.W. : En fait, il s’agissait d’émissions très élégantes et pas prétentieuses du tout, ce qui n’est pas la même chose. Les gens confondent très souvent le côté élégant et classieux avec quelque chose de snob et puant. C’est tout à fait faux. On peut être très simple tout en ayant beaucoup d’élégance. Johnny Hallyday en smoking, c’est quelque chose que l’on ne verra plus jamais…

M.C. : Il était magnifique.

G.W. : Aujourd’hui, vous voyez de très jolies jeunes chanteuses qui s’habillent, comment dire…

M.C. : Oui, on a l’impression qu’elles s’habillent comme pour aller au marché!

G.W. : Alors que si on leur mettait une belle robe, je ne dis pas nécessairement de haute couture, je pense qu’elles donneraient une autre image au public.

M.C. : Avec nos émissions, on voulait être chic et populaire. C’est-à-dire qu’on ne voulait surtout pas être snob, mais on ne voulait pas non plus être bas de gamme. L’idée était de donner du rêve en étant élégant. D’ailleurs, j’ai rencontré un jour un jeune homme qui m’a raconté que, lorsqu’il était petit, on lui mettait un noeud papillon et un costume pour regarder les émissions de  » Numéro Un  » pour voir des gens beaux et élégants. Et ce petit garçon est devenu aujourd’hui assistant en télévision parce qu’il a pris goût à cela et qu’il voulait être dans le décor. Pour moi, c’est un plaisir extraordinaire parce que c’est exactement ce qu’on voulait. On n’a pas été snobs mais on a été raffinés.

G.W. : Moi, je viens d’un milieu populaire mais ma grand-mère ne serait jamais sortie sans avoir des chaussures cirées et sans mettre un chapeau et des gants. Il y avait des règles. Quand on sortait, c’était toute une histoire…

M.C. : Cela devait être une fête.

G.W. : Aujourd’hui, quand les gens reçoivent un carton d’invitation, ils se disent :  » Oh, il faudra encore devoir s’habiller.  » Je trouve cela vraiment triste.

M.C. : Oh, les gens ne sont absolument plus habillés! On ne sait plus ce qu’est une cravate.

G.W. : Je le regrette. Vous savez, on peut aussi manger dans une assiette en carton et puis décider un jour de ne plus manger dans une assiette du tout! Moi, je trouve que c’est mieux de dresser une belle table pour recevoir des gens bien habillés autour. C’est quand même plus joli. Vous savez, j’ai fait au départ l’école hôtelière. J’ai travaillé pendant huit ans uniquement dans des restaurants deux étoiles et trois étoiles. Et dans ces établissements, si les Messieurs ne portaient pas une veste et une cravate, on ne les laissait pas entrer. Je trouve que ce sont des règles qu’il ne faut pas transgresser.

M.C. : En ce moment, je fais une cure de films en noir et blanc sur les chaînes câblées. Je vois toutes ces femmes merveileuses comme Ava Gardner, Marlene Dietrich, Lauren Bacall… Elles me font rêver. Mais qu’elles étaient élégantes!

G.W. : Et avec beaucoup moins de choix que ce que les femmes ont aujourd’hui! Elles avaient souvent juste une robe ou un tailleur bien coupé, elles étaient bien coiffées et portaient les boucles d’oreille qui convenaient, un petit escarpin…

M.C. : Un épaulage merveilleux, une taille fine, des jolies jambes…

G.W. : Les vêtements étaient faits pour embellir. Aujourd’hui, on intellectualise beaucoup trop le vêtement. On crie au génie devant la grande masturbation intellectuelle de certains créateurs qui réalisent des robes que personne ne pourra jamais mettre et qui peuvent déjà aller au musée. Personnellement, je trouve qu’une robe qui passe directement du podium au musée n’a rien d’intéressant.

M.C. : Non, effectivement.

G.W. : En fait, c’est parce que l’enjeu financier est énorme. Moi, je pense que lorsqu’un couturier meurt, la maison devrait s’arrêter. On n’a pas peint après Picasso sous le nom de Picasso. On n’a pas écrit du Beethoven après la mort de Beethoven. Donc pourquoi doit-on continuer à faire des robes sous le nom d’un couturier disparu? Si on veut vraiment considérer cela comme un art, il faut que cela s’arrête avec le couturier, quel que soit l’enjeu financier qu’il y a derrière. Mais cela ne se fera jamais et je peux le comprendre parce qu’il y a justement tout ce volet financier. Il y a aussi des gens qui travaillent et qu’on ne peut pas renvoyer comme cela. Mais, alors, il faut garder la couture pour ce qu’elle est : un vêtement qui rend beau, qu’on achète, qu’on use, qu’on jette ou qu’on garde dans une malle parce qu’on l’adore. Mais malheureusement, aujourd’hui, le vêtement est devenu purement un phénomène de consommation.

M.C. : J’adore la mode et je partage votre avis : j’aime la mode classique, la mode très élégante, mais je n’aime pas les inventions qui font ressembler les femmes à des clowns. Cela m’énerve. Je ne citerai personne, mais les défilés où rien n’est portable, je trouve cela odieux. Vous savez, ce qui dirige un peu ma conception des choses, c’est de faire rêver les gens. C’est pour ça que j’aime bien l’élégance. Cela ne veut pas dire pour autant que j’aime les choses alambiquées ou qui font nouveaux riches ou snobinards. Ce que j’aime, c’est vraiment apporter de l’élégance et que les spectateurs se disent :  » Ah, mon Dieu, cela existe! Que c’est beau, que je suis bien.  » Moi, j’ai reçu des lettres de femmes dans des hôpitaux qui étaient vraiment à pleurer et qui disaient :  » Je viens de voir votre émission et j’ai oublié, pendant une heure, que je souffrais le martyre parce que tous ces gens étaient si beaux et avaient l’air si heureux.  » C’est une récompense formidable. Cela m’a touché énormément. Vous aussi, lorsque vous donnez une belle robe à une femme…

G.W. : Ah oui, j’ai eu un jour comme cliente une dame qui est devenue une très bonne amie. Elle a un tour de poitrine de plus de 130…

M.C. : C’est costaud! Vous l’appelez Pamela ( sourire)?

G.W. : On pourrait, oui! La première fois qu’elle est venue chez moi, je lui ai fait un tailleur noir sans pinces visibles. Je lui ai aussi suggéré de changer plein de petits détails dans ses bijoux, ses accessoires… enfin, je vous épargne le côté technique. Et lorsqu’elle s’est habillée la première fois comme cela, son chauffeur lui a dit :  » Madame, je sais que je ne devrais pas vous dire cela mais comme je vous connais depuis vingt ans, je me permets quand même de vous dire que je ne vous ai jamais vue aussi belle qu’aujourd’hui.  »

M.C. : Formidable!

G.W. : Dès qu’elle est arrivée au bureau, elle m’a téléphoné pour me faire part du compliment. Mais le problème, c’est qu’il y a aussi beaucoup de gens qui s’arrêtent à un certain âge. Comment vous dire…

M.C. : Je comprends. Vous voulez dire comme Brigitte Bardot qui a indéfiniment la même coiffure et qui s’habille toujours de la même façon…

G.W. : Voilà! Je trouve qu’il y a un moment donné où il faut savoir bien vieillir. C’est un peu comme les chignons. Une femme peut se le permettre jusqu’à 40 ans parce que, de 40 à 65 ans, elle va prendre vingt ans! Tandis qu’à 70 ans, elle pourra refaire un chignon.

M.C. : Vous en savez des choses!

G.W. : Non, je ne crois pas. J’aime bien les gens et j’adore m’occuper d’eux.

M.C. : Oui, je vois. Moi aussi, j’aime bien les gens.

G.W. : Vous êtes de quel signe?

M.C. : Sagittaire.

G.W. : Ah moi aussi!

M.C. : C’est vrai?

G.W. : A quelle date êtes-vous née?

M.C. : Le 12 décembre.

G.W. : Moi le 11 ( rires)!

M.C. : Oh non, sans blague!

G.W. : C’est trop comique!

M.C. : C’est très drôle. Les Sagittaires sont, en général, des personnes qui aiment la vie et qui aiment les gens.

G.W. : Oui. Ma grand-mère était Sagittaire et tout ce que j’aime en matière de spectacle ou de mise en scène, même dans la vie de tous les jours, vient de là.

M.C. : Moi, par contre, mon mari était Poissons et on nous avait dit :  » Poissons et Sagittaire, cela ne marchera pas.  » Cela a quand même duré plus de cinquante ans…

G.W. : Ce n’est pas mal pour quelque chose qui était censé ne pas durer ( rires)!

Propos recueillis par Frédéric Brébant Photos : Jean-Michel Clajot/Reporters

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