Tout est désormais aligné. Hedi Slimane, à la tête de Saint Laurent Paris, a investi un hôtel particulier pour que sa couture y prenne ses aises, dans un décor où rien n’est laissé au hasard. Treize ans après la dernière collection du genre dessinée par le fondateur de la griffe, une renaissance très luxe et très intime, c’est synonyme.

24, RUE DE L’UNIVERSITÉ

Depuis juin dernier, Hedi Slimane est dans ses meubles à l’Hôtel de Sénecterre, Saint-Germain-des-Prés, où il a installé la nouvelle maison de couture Yves Saint Laurent, après trois ans de travaux. Avec, en guise de décoration, du mobilier moderniste, Art déco ou XVIIIe issu de sa collection privée, quelques touches d’art contemporain, un diptyque noir et blanc de Garth Weiser, une oeuvre de Daniel Buren et d’Ad Reinhardt et le fantôme d’Yves Mathieu-Saint-Laurent, incarné par son bureau années 30, griffé Eyre de Lanux. Le salon d’essayage a trouvé place au deuxième étage, les ateliers Flou et Tailleur au troisième et quatrième. Où l’on apprend que depuis 2012, Hedi Slimane bâtissait ce rêve-là de réformer totalement la maison, à 360°, que tout soit parfaitement  » aligné « , du design à la communication, avec la couture comme clé de voûte. Dix ans plus tôt, elle était morte de sa belle mort, la couture, monsieur Saint Laurent annonçant sa retraite en mettant un point final à  » cette merveilleuse aventure dédiée au service des femmes  » et confessant en tremblant :  » Je suis passé par bien des angoisses, bien des enfers. J’ai connu la peur et la terrible solitude. Les faux amis que sont les tranquillisants et les stupéfiants. De tout cela, un jour, je suis sorti, ébloui mais dégrisé.  » Les temps ont changé, on ne verra guère Hedi Slimane dans cet état, lui qui a fait profession de foi de sobriété, ne fume ni ne boit – sa différence, il la cultive. Raison de plus pour ne pas faire de la couture comme les autres. Ses ateliers se consacreront donc à réaliser du cousu main unique,  » destiné aux stars de cinéma et aux musiciens que nous connaissons « . Dans la maison, on prévient que  » Hedi S. détermine quelles pièces porteront le label Yves Saint Laurent de ses ateliers couture. Les Ateliers conservent une fiche stricte de toutes les pièces couture dans un livre monogrammé d’or.  »

1er OCTOBRE 2012

Grand Palais, Paris, le jour J, celui du premier défilé H. S. pour YSL. Depuis une semaine, la sphère fashion répète en boucle son prénom, Hedi, qui signifie  » le guide  » en arabe – un prénom, cela vous forge, d’autant plus qu’il est désormais accolé aux trois lettres mythiques. Car depuis le printemps 2012, Hedi Slimane est le nouveau directeur artistique de la maison fondée par Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, ce show devrait faire date. Presque en secret, l’héritier a travaillé à ce printemps-été 2013 qui fait courir toute la planète mode, surtout qu’il s’est empressé de faire enlever le Yves, sacrilège, a revu le logo dessiné par Cassandre et modifié le design des boutiques, sans plus d’explications, l’homme est réputé timide, exigeant, control freak. Au premier rang, Kate Moss, Azzedine Alaïa, Riccardo Tisci, Alber Elbaz et les gardiens du temple, Pierre Bergé (à qui le défilé est dédié), Betty Catroux, Loulou de la Falaise, Catherine Deneuve. Avec une certaine morgue, déboulent des filles en robe saharienne en veau velours, en smoking avec chemise à cravate foulard et en robe de mousseline évanescente, le tout affûté par le fameux oeil slimanien et ses obsessions désormais ancrées en Californie, puisqu’il vit et travaille à Los Angeles. Il n’y aura pas d’autre discours, ses vêtements ont parlé pour lui et son allure aussi, nerveuse, androgyne. On aura beau crier au scandale, un journaliste du New York Times en tête qui lâchera un commentaire sans appel :  » Bohème chic et chapeaux mous pour l’été, robes baby-doll grunge pour l’hiver.  » Hedi Slimane n’en a cure, rayant les grincheux de la liste des invités, faisant s’affoler le compteur avec 2,7 millions de pages vues sur le Net, soit la deuxième place des défilés les plus regardés, derrière Chanel et devant Dior et boostant les ventes – avec, derniers chiffres, une augmentation de 27 % au deuxième trimestre 2015. Pari(s) tenu.

11 ANS

L’âge de la révélation, la photo comme premier terrain d’expérimentation. Soit l’apprentissage en autodidacte du cadre, de la profondeur de champ, de la composition, de l’équilibre entre les masses, du jeu de l’ombre et la lumière, bref, toute la syntaxe photographique qu’Hedi Slimane traduira ensuite dans sa mode et son travail personnel qu’il publie, expose et partage sur son fashiondiary, son blog photo, dès 2006. Il est né en 1968, l’année où un certain Yves Saint Laurent, qui avait déjà réinventé le smoking et la saharienne, libérait les femmes en leur offrant des robes en mousseline transparente qui découvraient subtilement ces seins que l’on ne saurait voir. Hedi se rêve alors journaliste et reporter – il lui en restera un temps une houppette à la Tintin. Il n’a alors pas encore pris la mesure que, chez lui, la mode est atavique : il y avait des tailleurs dans sa famille et sa mère a toujours cousu, son approche ultérieure sera donc  » logique, évidente, naturelle « . Mais pour l’heure, le jeune homme, d’abord inscrit en hypokhâgne, change de cap, surprend tout le monde et opte pour l’école du Louvre. Il pense qu’il a un oeil, il se verrait bien directeur artistique de la photo. C’est compter sans le hasard et les rencontres déterminantes. Jean-Jacques Picart, alors consultant chez Vuitton, lui met le pied à l’étrier en le faisant travailler à repositionner l’image de New Man et à penser le projet du centenaire de la toile Monogram de Vuitton – en lui, il sent le  » perfectionniste obsédé par la notion de qualité « . La vie ne viendra pas le démentir.

1996

Hedi Slimane a rencontré Pierre Bergé, ils sont tombés en amour, le second lui offre les clés de Saint Laurent Rive gauche, version Homme, et alors sinistré. En cinq saisons à succès, il invente un vocabulaire vestimentaire qui annonce le XXIe siècle, lequel sera  » Hedi Slim Man « . Ses inspirations portent déjà indistinctement la patte d’Eric Rohmer et André Téchiné, des vieux magazines Rock & Folk, Best ou NME, du dandy George Brummell, de David Bowie et son album David Live, à l’origine de toute son esthétique et de ses silhouettes référencées définitivement post-contemporaines.

XXIe SIÈCLE

A ausculter les silhouettes masculines que le créateur aiguise chez Dior Homme, de 2000 à 2007, personne ne réfutera son impact dans l’histoire de la mode. Il travaille sur l’élongation de la silhouette, l’épure des volumes et joue avec une certaine notion de  » minets de luxe « , qu’il avoue aimer –  » cette manière très française qu’ont parfois les hommes d’être un peu trop habillés  » – mais qu’il détourne intuitivement, naturellement. Rien à voir avec l’envie de défier quiconque, juste d’opter pour une attitude, qui lui est propre et qui s’inscrit dans son époque. Sûr qu’il fait mouche. Même Karl Lagerfeld s’échinera à perdre 40 kilos pour se glisser dans ses costumes  » slim  » qui s’accommodent d’une cravate ficelle et d’une bande-son passée en boucle où l’on reconnaîtra The Strokes, The Libertines ou Daft Punk. Depuis, sa haute couture labellisée Yves Saint Laurent sied à merveille à Ariel Pink et Marilyn Manson ou aux jumeaux Fletcher et Wyatt, le premier étant le chanteur et le batteur des Fletcher Shears, qui portent avec désinvolture le rouge à lèvres, défilent et s’affichent en muse pour la campagne de l’Homme Saint Laurent, version automne 2013.  » Fashion = music + youth + sex « , Hedi a dit.

PAR ANNE-FRANÇOISE MOYSON

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