Nouvelle icône des podiums parisiens, Hedi Slimane n’a pas seulement réussi le pari de relancer Dior Homme. A 35 ans, ce créateur visionnaire est surtout le porte-drapeau d’une nouvelle mode masculine qui se veut à la fois fragile mais intelligente, audacieuse mais portable. Rencontre exclusive avec un être modeste qui fait rimer talent et discernement.

Hedi Slimane est un être résolument à part sur la planète du style. Posé, modeste et droit, il est à des années-lumière de la caricature facile que l’on prête volontiers aux couturiers et qui consiste généralement à les transformer en personnalités arrogantes et excentriques. Hasard ou pas, Hedi veut dire sagesse en arabe et ce prénom lui sied à merveille.

Né de mère italienne et de père tunisien, ce Parisien diplômé de l’Ecole du Louvre en 1989 est devenu l’âme créatrice de Dior Homme en l’an 2000, rejoignant ainsi John Galliano, le talentueux directeur artistique de la ligne Femme, au sein de l’honorable maison française. Depuis ce choix stratégique qui place désormais Dior parmi les marques les plus courues de la planète, la cote de Hedi Slimane n’a cessé de grimper. De Brad Pitt à David Bowie, en passant par Tom Cruise, Mick Jagger ou encore Etienne Daho, on ne compte plus les personnalités fans des silhouettes de Slimane. Paradoxalement, même la gent féminine se passionne pour ses vêtements masculins, telles Madonna, Nicole Kidman ou encore Penelope Cruz qui n’hésitent pas à porter des costumes noirs estampillés Dior Homme. Le Parisien séduit et ses pairs applaudissent : en 2002, Hedi Slimane fut d’ailleurs nommé meilleur créateur international par le Council Fashion Designers of America…

Retour à Paris. Au premier étage du mythique café Le Flore, Weekend Le Vif/L’Express a rencontré la nouvelle star des podiums masculins pour un entretien exclusif autour de la mode, de la photo, de la musique et des envies simples.

Weekend Le Vif/L’Express : Vous êtes un créateur pluridisciplinaire : vous touchez au design, à la photo, à l’architecture, à la musique… Mais artistiquement parlant, la priorité est donnée au vêtement, n’est-ce pas ?

Hedi Slimane : Oui, il n’y a aucune ambiguïté là-dessus. J’aime bien l’idée d’une définition qui serait stricto sensu sur la mode parce que j’adore ça. Mais à côté, il y a plein de choses qui me passionnent. En fait, j’aime bien le design de manière générale. Dessiner une veste ou une boutique, cela reste une mise en proportions ou en volumes. C’est un propos de matières. C’est une interprétation de lignes. Quelque part, le principe est le même. Mais c’est vrai que je reste malgré tout très focalisé sur la mode…

La photo fut toutefois votre premier terrain d’expérimentation artistique…

Oui, j’ai commencé à 11 ans.

En quoi la photo a-t-elle précisément influencé votre travail de créateur de mode ?

Il y a d’abord les notions de cadre et de profondeur de champ. En fait, toute la syntaxe photographique peut être transposée en matière de mode : les idées de composition, d’équilibre entre les masses, de jeu entre l’ombre et la lumière… D’ailleurs, pour la direction artistique des défilés, je fonctionne complètement de cette façon. J’ajouterais aussi que je n’archive aucun vêtement en tant que tel lorsque je termine une collection. En revanche, tous les vêtements sont archivés photographiquement. Tous les essayages sont capturés.

Mais pourriez-vous définir ce qui vous pousse finalement à créer des vêtements ?

C’est très naturel. L’envie est très spontanée, très intuitive, même si j’agis ensuite de manière très cartésienne lorsque le processus est lancé. Je ne suis pas du tout narratif dans mes collections. Je n’arrive pas dans mon atelier avec une histoire à raconter. C’est impossible. Il n’y a pas de narration. Il n’y a pas de thème.

Mais il y a tout de même un message, un sentiment à faire passer…

Il n’y a jamais vraiment de message. Je ne travaille pas trop de cette façon. Ma démarche est assez naturelle. Pour cette collection de l’été 2004, il s’agit d’une allure. C’est plutôt une collection ombrée, assez scénique, très ornée, très couture. L’idée selon laquelle il faut que ça soit blanc en été m’énerve. Donc, on peut parler de collection de réaction.

Cela vous a valu d’ailleurs vos premiers coups de griffe dans la presse…

C’est tout à fait normal et je trouve même surprenant de ne pas les avoir eus plus tôt ! Moi, je ne fais pas des vêtements pour plaire particulièrement. Alors, c’est vrai qu’en juillet on s’attend à une certaine fraîcheur et que mes silhouettes ne correspondaient pas du tout à cela. Elles étaient très dures. Et puis, il faut dire aussi que cette collection a été présentée il y a neuf mois. A l’époque, on sortait de la guerre en Irak, il y avait une espèce de frilosité et je sentais que toutes les collections allaient être très classiques. Moi, je n’aime pas l’idée selon laquelle la mode doit être forcément au pas par rapport à une actualité. Donc, je ne suis pas entré dans cette atmosphère qui était assez  » planquée sous le tapis « . En revanche, ce que je trouve vraiment très passionnant aujourd’hui par rapport au masculin, c’est l’émergence d’une nouvelle scène rock métal. Créativement parlant, c’est ce qu’il y a de plus intéressant et c’est donc vers cela que j’ai plutôt eu envie de me diriger. Personnellement, que cela soit l’été ou l’hiver, ce n’est pas trop mon propos. Avec cette collection, je savais que je serais en décalage avec l’esprit ambiant et j’avais d’ailleurs prévenu mon équipe qu’on allait m’égratigner. Il ne fallait surtout pas faire de vagues, mais moi, je n’avais pas envie de me ranger…

Aujourd’hui, on qualifie volontiers l’homme moderne de  » metrosexual « , à savoir un homme qui est résolument hétéro, mais qui s’approprie des codes gay en prenant soin de lui et de ses vêtements. N’avez-vous pas contribué à cette évolution des mentalités ?

Je ne pense pas trop à ce genre de choses. Tout ce que je fais vient assez naturellement. Pour moi, l’idée du masculin n’est pas forcément celle des  » tablettes de chocolat « . Elle ne doit pas se trouver dans la revendication du pouvoir ou du muscle. Cette vision-là ne veut plus rien dire. Aujourd’hui, tout peut être masculin. Alors, il y a effectivement une évolution des mentalités et elle est peut-être perceptible dans ce que vous appelez les metrosexuals. Cette définition semble correspondre à ce mouvement, mais personnellement, je ne me suis jamais posé la question. Je n’ai aucune revendication à exprimer, même si j’ai toujours été agacé par tous les poncifs exprimés sur le masculin. En fait, j’ai toujours été agacé par le prisme très réduit de la mode masculine…

Cela dit, vos silhouettes expriment malgré tout une certaine retenue. On voit mal un homme Dior s’afficher avec la femme Dior telle qu’elle est imaginée par John Galliano…

Ce n’est peut-être pas nécessaire. Dans une marque comme Dior, vous avez un prisme suffisamment large pour pouvoir finalement obtenir l’adhésion d’une clientèle très différente, voire complètement contradictoire. Dans les années 1990, tout le monde était à fond dans le principe d’une marque globale comme Prada, Gucci, etc. Il fallait que les univers masculin et féminin se répondent parfaitement. Quand je suis arrivé chez Dior, il était évident que je n’allais pas m’inscrire dans cette lignée. Stratégiquement, l’idée a donc été de développer deux axes et, finalement, cela a été très positif en termes de chiffres. Le pari était d’ouvrir la marque sur deux perspectives différentes et de faire en sorte que le nom englobe des contradictions. Le pari a été relevé. Les résultats sont là.

Mais n’avez-vous jamais eu l’envie de créer personnellement une ligne Femme ?

C’est à l’ordre du jour. Cela fait déjà pas mal d’années que je fais du masculin et que j’adore ça, mais il serait naturel que je commence maintenant à penser à la Femme. Le problème, c’est qu’il y a plein de possibilités : je pourrais le faire pour d’autres maisons, le faire pour moi… Parce que, aujourd’hui, je suis free-lance. J’ai renouvelé mon contrat chez Dior jusqu’en 2006 mais de façon non exclusive. J’ai donc le champ libre pour d’autres collaborations éventuelles. Mais je reste très prudent sur l’idée de créer une ligne Femme. Car j’ai vraiment envie de faire le bon choix. Je ne veux pas me précipiter. Il faut que cela soit très honnête et pas du tout opportuniste. Et puis, il faut surtout s’entourer des bonnes personnes, trouver les bonnes équipes, avoir une vraie idée de développement… C’est un univers à part entière et il y a tellement d’implications en jeu !

Quels sont vos autres projets artistiques ?

J’en ai beaucoup ! Pour Dior Homme, il y a de nombreuses ouvertures de boutiques au programme où il m’arrive parfois de concevoir les lieux quand on me le demande. J’ai aussi quelques projets au niveau des parfums. Désormais, je gère cet aspect de la marque dans une réflexion globale que l’on mène actuellement sur le masculin. Et puis, il y a les projets plus personnels comme le design de meubles par exemple. Je travaille aussi actuellement sur la couverture d’un disque pour le groupe Ph£nix et je suis surtout en train de préparer un livre sur la scène rock. Cela fait trois ans maintenant que je prends des photos sur ce thème. En fait, j’ai eu la chance d’habiller beaucoup de personnes de cette scène-là et c’est comme ça que tout a commencé. Le livre devrait probablement sortir en septembre.

Ce choix musical est assez étonnant de votre part : on vous a toujours catalogué  » musique électronique « …

Je n’écoute plus de musique électronique depuis un an. Cela ne m’intéresse plus. Je n’écoute aujourd’hui que de la musique acoustique et surtout beaucoup de rock : The White Stripes, The Libertine’s… Je suis également ami des membres de Ph£nix qui ont d’ailleurs composé la musique originale de mon dernier défilé pour l’hiver 04-05. Je suis plutôt branché là-dessus actuellement…

Il paraît que vous tâtez même de la batterie !

Oui, j’essaie de me mettre à la batterie. J’adore ça ! Mais ce n’est pas une réelle envie de m’exprimer musicalement. C’est plus un effet d’énergie, un truc très jouissif dans l’idée pure de me défouler. J’aime bien l’idée du rythme, mais faire de la musique ne m’intéresse pas du tout. En revanche, j’aime bien commissionner des gens pour la musique de mes défilés, comme je l’ai fait récemment avec Ph£nix. Ce qui me fait avancer aujourd’hui, ce n’est pas tant les nouveaux projets que les gens avec qui je peux les faire…

Quand vous regardez le parcours que vous avez accompli jusqu’ici, quel sentiment éprouvez-vous ?

Je me dis que j’ai eu beaucoup de chance, surtout au niveau des interactions. J’ai eu la chance de faire des rencontres déterminantes qui ont motivé à la fois ma vocation et mes projets annexes. Mon moteur, ce sont les gens. Mais vous savez, les choses se font très naturellement. Je ne me pose pas beaucoup de questions. En plus, je suis très fataliste. Donc, je me dis que les choses arrivent comme ça et qu’elles peuvent repartir tout aussi vite. C’est un peu la roulette russe…

Mais ne vous prenez-vous jamais la tête par rapport à l’industrie du luxe au point de dire  » J’en ai assez, ce monde m’éc£ure, je plaque tout  » ?

Non, parce que j’aime bien ça. Je ne passe pas non plus forcément toute ma vie dans ce milieu. Il est vrai que j’ai de très bons amis dans ce métier, qu’il règne plutôt un bon esprit autour de moi et qu’il m’arrive effectivement d’éprouver parfois quelques difficultés d’incommunicabilité. C’est normal. Ce métier a parfois certains travers, mais ça fait partie du jeu. Donc, je ne vais pas cracher dans la soupe, parce que c’est une attitude qui m’exaspère. Je ne vais pas non plus bouder mon plaisir en disant que c’est difficile et que la critique est facile. Non, ce métier me plaît. L’un dans l’autre, je suis plutôt heureux de le faire. En fait, j’adore ça.

Quelle est votre devise au quotidien ?

C’est d’éviter de perdre mon envie. C’est pour ça que je suis parti un moment à Berlin. Je ne voulais pas tomber dans une espèce de lassitude. En fait, je n’ai pas envie de m’installer dans quoi que ce soit, de me scléroser et de penser que tout est gagné. J’ai pris conscience dès le départ que les choses peuvent être  » up and down « . Cela fait partie du jeu et c’est pour cette raison que j’essaie constamment de garder l’envie et la curiosité.

On sait que vous êtes croyant. Si vous rencontriez Dieu demain, que lui diriez-vous ?

Oui, je suis très croyant, mais je ne peux pas imaginer qu’Il se manifeste à moi. Ce serait très présomptueux de ma part ! Cela dit, ce serait sans doute très apaisant. Mais faudrait-il vraiment communiquer ? En fait, je ne pourrais rien dire qu’Il ne sait déjà.

Propos recueillis par Frédéric Brébant

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