Fidèle à sa vision organique, le grand artiste autrichien Hundertwasser a harmonieusement inséré la cave viticole Quixote entre vignobles et collines de la Napa Valley. Entre oliviers et herbes folles se profilent désormais les merveilleuses couleurs d’une architecture humaniste.

 » De mon bureau, j’observe les gens emprunter le sentier d’accès. Je vois naître un sourire amusé sur leur visage. C’est là toute l’idée. Peu m’importe les détracteurs de ce projet, ceux qui trouvent que c’est la chose la plus idiote qu’il leur ait été donné de voir…  » Carl Doumani, le propriétaire du vignoble Quixote ne s’embarrasse pas de ce que pensent les gens. Dans le monde du vin californien, il est connu comme  » a great character  » (une forte personnalité). Et à 74 ans, l’homme n’a plus rien a prouver.

 » L’architecture de notre cave par Hundertwasser est explicite, commente Carl Doumani sur son site Internet. Nous sommes ici pour donner du plaisir. Avec le Don Quichotte de Cervantès comme muse, permettez-nous d’explorer la différence entre les apparences et la réalité et nous lancer dans les nobles poursuites d’un chevalier errant.  »

Chapeau, l’artiste !

Né Friedrich Stowasser, Friedensreich Hundertwasser (1928-2000) élabore son nom d’artiste à partir des mots Frieden  » paix  » et Reich,  » royaume « . Hundert est la traduction allemande du mot tchèque Sto  » cent  » et wasser signifie  » eau « . Mis bout à bout, ils signifient donc  » Le royaume de la paix (aux) cent eaux « .

Artiste inclassable, Hundertwasser commence par une £uvre picturale qui annonce son architecture. Formes organiques et brillance des couleurs en sont les signes distinctifs, avec l’or, inspiré par le baroque rococo. Lors d’un entretien qu’il avait accordé à Weekend Le Vif/L’Express en vue de la préparation de Europalia Autriche 1987, Hundertwasser avait ouvert les portes de son appartement et de toute la Hundertwasserhaus, à Vienne, un immeuble où il a  » explosé  » les limites de sa vision de l’habitat, en créant, notamment, des sols ondulants. Si la Quixote Winery est la seule réalisation américaine de Hundertwasser, on lui doit, entre autres, deux douzaines d’édifices importants dans son pays et en Allemagne.

Une belle histoire

Installé dans la Napa Valley depuis le début des années 1970, Carl Doumani a écrit une partie de la grande histoire du vin californien, aujourd’hui réputé dans le monde entier, tout comme d’autres figures mythiques : Robert Mondavi ou Bill Harlan. Non sans détachement, il raconte son arrivée dans la région :  » Nous avions invité un couple d’amis jeunes mariés à passer un week-end à la campagne et nous sommes tombés sous le charme de la Napa Valley. Mon épouse et moi étions d’accord pour trouver un terrain où construire une petite maison de vacances, entre 2 et 4 ha au maximum. L’agent immobilier est revenu avec une propriété de plus de 200 ha de collines, de bois et de vignes.  »

Après de longs mois de réflexion, Carl Doumani, qui travaille dans l’immobilier et possède plusieurs restaurants, décide de mettre en veilleuse ses activités à Los Angeles pour se transformer en viticulteur. Ainsi commence l’histoire de Stag’s Leap, le vignoble qu’il mènera à des sommets de reconnaissance.

En 1997, Carl Doumani vend la majeure partie de son domaine à la maison Behringer et conserve 70 ha, essentiellement composés de collines et de bois, et un petit vignoble de 12 ha qu’il cultive de façon biologique.  » Dans la perspective de cette nouvelle activité autonome, il me fallait construire une cave, poursuit notre interlocuteur. J’avais reçu plusieurs esquisses, jusqu’au jour où j’ai aperçu un calendrier accroché au mur des bureaux de mon architecte. Il était consacré à Hundertwasser. J’ai donc décidé de prendre contact avec son agent en lui envoyant trois bouteilles de notre petite syrah.  »

Le contact établi, Carl Doumani et son épouse se rendent chez Hundertwasser, à Vienne, à la fin des années 1980.  » Depuis notre première rencontre jusqu’à l’achèvement des travaux, en 1999, il faudra dix ans. Mon grand regret est que Friedrich, décédé quelques mois plus tard en 2000, ne verra jamais son £uvre comme elle l’est aujourd’hui avec le jardin qui l’entoure.  »

Empruntant Silverado Trail, une des routes de légende de la Napa Valley, on ne distingue ni les vignobles de Quixote, ni la cave, adossés contre les premiers escarpements. Le premier élément distinctif s’annonce par ses reflets brillants. Il s’agit du bulbe doré – à l’image des églises orthodoxes -, une signature que Hundertwasser a aussi placée au-dessus du bureau de Carl Doumani. Plus on s’approche, plus la couleur terre rouge des murs apparaît entre les feuillages, émaillée ici et là de céramiques très colorées.  » Friedrich voulait que tout le bâtiment en soit recouvert, souligne Carl Doumani. Il a accepté que nous laissions des parties simplement enduites.  »

Une architecture humaniste

Les visions de l’artiste et du maître d’ouvrage ont parfois donné lieu à de singulières passes d’armes.  » Lorsque les céramiques sont arrivées sur le chantier, Friedrich est venu pour organiser leur placement, se souvient Carl Doumani. Je l’ai vu prendre un marteau et en réduire certaines en pièces, parce que son £uvre est ainsi faite de mosaïques et non de dessins réguliers.  »

La plus belle partie de l’aventure reste cependant l’élaboration du projet. N’étant pas architecte, Hundertwasser ne livrait pas de plans métrés : il transformait en maquettes les premières esquisses et apportait les modifications en trois dimensions sur ces échelles réduites.  » Je lui ai tout simplement communiqué nos desiderata, sourit Carl Doumani : dimension de la salle des barriques, hauteur des cuves de fermentation, superficie des bureaux, de la salle à manger…  » Lorsque le premier projet arrive, le bâtiment est entièrement enterré !  » J’ai appelé Hundertwasser et je lui ai dit en substance : Friedrich, nous sommes en Californie. Il y a du soleil et nous voulons en profiter.  »

Fidèle à ses principes d’architecture organique, Hundertwasser prévoit un toit entièrement végétal. Outre qu’ils offrent un confort thermique important, les 60 cm d’épaisseur de terre nécessaires à cet aménagement permettent de faire pousser des graminées et des oliviers. A distance, la cave viticole se fond ainsi parfaitement au c£ur du jardin et la nature environnante ne semble pas s’interrompre entre la vallée et les collines.

 » Mais le côté fascinant de notre projet, ce fut ce que nous a apporté Friedrich, conclut Carl Doumani. Son architecture est humaniste, dans le sens qu’elle vous fait vous sentir bien, mieux. On a observé, par exemple, que dans l’hôpital qu’il a construit, à Graz en Autriche, l’absentéisme au travail a chuté considérablement. Pour notre part, nous avons remarqué combien les corps de métiers se sont enthousiasmés à son contact.  »

Reportage : Jean-Pierre Gabriel

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