éblouissante, festive, spirituelle grâce à son institut tibétain, cette ville à la beauté tranquille n’en cultive pas moins la référence au passé. Le 12 juillet 2003, lors du deuxième Samedi Vif, Huy sera une destination de choix.

U n doux soleil éclaire la Grand-Place. Des façades adorables, des bistrots animés, des antiquaires, de l’élégance, du chic : voilà ce qu’on y trouve. Au centre, li Bassinia, cette fontaine spectaculaire, ouvragée et ciselée comme un bijou en 1406. Sa beauté lui a valu le titre de l’une des quatre merveilles de la ville. Les trois autres ? Li Tchestia, l’ancien château fort, li Pontia, l’élégant pont au-dessus de la Meuse et, enfin, li Rondia, la rosace (la plus grande de Belgique) qui orne la tour de la Collégiale Notre-Dame. Pour l’instant, cette dernière ne dévoile ses charmes qu’à moitié. Les Hutois offrent en effet à l’impressionnante bâtisse du XIVe siècle une profonde cure de jouvence. De grandes bâches recouvrent donc la grande tour et le célèbre portail de Bethléem. Mais on peut jeter un coup d’£il à l’intérieur. Une verticalité majestueuse et grandiose, rythmée par un jeu de lumière de toute beauté, très joyeux. Le gothique rayonnant du XIVe siècle, admirablement enrichi par le gothique flamboyant du XVe siècle, s’offre dans toute sa splendeur. On admire les plafonds du XVIe siècle, puis on se dirige vers le trésor. Il a pour écrin une ancienne crypte romane, découverte par hasard en 1906, lors de l’installation du chauffage. Les chefs-d’£uvre de l’art sacré sont nombreux, mais on fait surtout une halte prolongée devant les quatre châsses datant des XIIe et XIIIe siècles, le clou du programme. Il y a d’abord celle de saint Domitien, l’évêque de Tongres. Il aurait évangélisé Huy dès le VIe siècle et les habitants l’ont choisi comme un des patrons de la ville. Puis, la châsse de saint Mengold. Il s’agirait, selon la légende, d’un prince anglais, devenu neuvième comte de Huy et second patron de la ville, après son assassinat en 909. Il y a aussi des châsses de saint Marc et de la Vierge Marie. De l’or, de l’éclat, des pierres, de la magnificence, un travail d’orfèvre époustouflant, et très impressionnant !

Le fort et des impressions fortes

On quitte le sous-sol de la Collégiale pour entamer une lente ascension de la colline voisine. Toute forteresse se mérite. Il faut donc du souffle et une marche de quinze minutes parmi une végétation dense aux parfums intenses, pour franchir les grilles du fort, l’imposant remplaçant du Tchestia, la dernière merveille de Huy, aujourd’hui disparue.

Les témoignages de tous les chroniqueurs sont unanimes : li Tchestia ou le château fort qui surplombait la ville était vraiment magnifique. Aménagé avec un goût exquis, il offrait aux princes liégeois une résidence superbe et enviable. On pouvait y vivre en autarcie, grâce à un puits à ciel ouvert (d’une profondeur de 90 mètres !), taillé à la main dans le roc dès le XIIe siècle et perfectionné sous le règne du prince-évêque Erard de la Marck (1506-1538). Dressé sur un promontoire rocheux, li Tchestia savait aussi défendre la population lors de multiples conflits, car il était vraiment imprenable. Au début du XVIIIe siècle, les hostilités se calment et la paix revient, confirmée par le traité de la Barrière, signé en 1715. Celui-ci ordonne le démantèlement des places fortes. Du coup, on décide de détruire la forteresse. Deux ans plus tard, il ne reste donc plus rien, pas la moindre trace de ce chef-d’£uvre d’architecture militaire. Pendant cent ans, la colline reste nue. Puis, l’histoire s’emballe, une fois de plus. Le traité de Vienne rattache la région aux Pays-Bas. Les Hollandais craignent un éventuel retour des Français, organisent la défense et décident la construction du fort actuel. Le 6 avril 1818, le prince Frédéric d’Orange pose la première pierre. Long et massif, le vaisseau est élevé avec les pierres calcaires de la colline. Sa façade principale fait face à la Meuse. Pour guetter les Français, environ 600 hommes dont 100 canonniers s’installent dans la garnison. Tout cela pour rien car, militairement parlant, le fort ne servira pas ! Après la création de l’Etat belge, il reçoit, occasionnellement, des prisonniers. Dans les années 1930, il est proposé comme… attraction touristique. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le fort se rend tristement célèbre pour son camp de détention allemand. Civils belges et français, opposants politiques et résistants, environ 7 000 personnes auront séjourné dans des cachots lugubres. Pour nombre d’entre eux, le fort est une première étape vers les camps de concentration. En 1973, la ville de Huy rachète le fort pour un franc symbolique. Des associations patriotiques, en collaboration avec les services communaux y ont aménagé le musée de la Résistance et des camps de concentration. Panneaux didactiques, vitrines, une bibliothèque riche de centaines d’ouvrages et une salle de projection nourrissent excellemment ce lieu de mémoire incontournable.

Souvenirs, souvenirs…

Mais on doit aussi se souvenir de l’histoire plus ancienne. Le c£ur de l’industrie commence à battre très tôt à Huy. Dès le Moyen Age, des tailleurs de corne et d’os, des fondeurs de bronze s’installent au centre-ville, rejoints plus tard par des tanneurs, chaudronniers, menuisiers. Le quartier Batta s’anime dès potron-minet, résonne de vigoureux coups de marteaux, dégage des odeurs puissantes. Les corporations d’artisans sont fortes, bien structurées et, très vite, conscientes de leurs droits. Dès 1066, le prince-évêque Théoduin de Bavière leur octroie une charte de libertés, la première du genre en Europe du Nord. La passion de l’artisanat poursuit son épanouissement. Au XIIe siècle, la ville se rend célèbre par ses batteries de cuisine. Les récipients en cuivre, en laiton et en étain de Huy surpassent tous les autres. Plus tard, ce sont les drapiers qui tiennent la vedette. Le drap hutois est célèbre jusqu’en Russie et en Scandinavie. S’y ajouteront la papeterie, l’orfèvrerie et la métallurgie du fer. Sans oublier, dans un tout autre domaine, la production… du vin, principalement abondante au XVIe et dans la première moitié du XVIIe siècle. Le  » vin de Huy  » trône sur toutes les bonnes tables de la Principauté de Liège et des régions voisines. Au XIXe siècle, le sort de Huy était joué. Ses activités florissantes allaient en faire l’une des plus puissantes communautés urbaines de Belgique et lui ont valu l’étiquette de la  » ville aux millionnaires « . Mais quelques décennies plus tard, Huy a du mal à résister à l’écrasante concurrence du grand bassin liégeois. L’artisanat s’éteint petit à petit, à l’exception du travail de l’étain. Souples et dotés d’une grande faculté d’adaptation, les habitants se convertissent alors dans le commerce. C’est donc une ville très vivante et animée qui accueille toujours le visiteur.

Un art de la table raffiné

Entre Huy et l’étain, c’est une longue histoire d’amour qui, comme toutes les histoires d’amour connaît des hauts et des bas. Tout au long du Moyen Age et jusqu’au siècle des Lumières, plateaux, gobelets et cruches travaillés avec amour par des artisans hutois ornaient les tables des princes et des bourgeois. Le XVIIIe siècle lance de nouvelles tendances qui privilégient la faïence et le verre. L’étain s’éclipse momentanément, pour mieux sortir de l’ombre au début du XXe siècle et surtout après la Seconde Guerre mondiale. Gaston Fallais crée, en 1949, ses ateliers et reprend la dénomination ancienne des  » Potstainiers Hutois « , autrement dit des potiers du  » stain  » ou de l’étain. Son successeur, entouré de quelques artisans têtus, perpétue la tradition pure, à savoir une qualité de haut niveau, exempte de plomb. L’étain, ou cassitérite, est un minerai originaire de Chine. Facile à travailler, il est relativement fragile et a besoin d’être solidifié. A Huy, on utilise de l’antimoine (6 %) qui ne présente aucun danger pour la santé. Dans la salle d’exposition, on admire les modèles classiques : plats, soupières, calices, ainsi que les nouvelles collections, associant le cristal de Bohème. Les verres à vin, par exemple, sont ravissants. Les nostalgiques aimeront des objets de décoration et des luminaires inspirés de l’Art nouveau et d’Art déco. Les bestsellers ? Tous les articles pour les amateurs de bons vins : décanteurs, verres et carafes. Si toute l’Europe s’enthousiasme pour l’étain hutois, il est particulièrement apprécié par les princes en Arabie Saoudite et dans les Emirats.

La mémoire de Huy

On emprunte d’adorables et paisibles venelles, pour visiter le couvent des Frères mineurs. Ils s’établissent à Huy en 1225. La silhouette de style Renaissance mosane de leur monastère, tel qu’on le voit encore aujourd’hui, date de 1662 et est due à l’architecte hutois Servais de Harre. Les moines y ont vécu simplement et paisiblement, pendant de longs siècles. Ils priaient dans l’église attenante dont il ne reste quasiment aucune trace. Dommage, car les chroniqueurs anciens la décrivaient comme l’une des plus belles du pays. La Révolution française met, comme partout, un terme à la vie monacale. Le Couvent des Frères mineurs entame alors une carrière laïque, abrite les services communaux et le dépôt des Archives de l’Etat. Il y a bien longtemps, quelques personnalités hutoises proposent d’y aménager un musée retraçant l’histoire de la ville. L’idée n’aboutira définitivement que dans les années 1960. La collection, riche et exhaustive, offre un formidable tour d’horizon de l’évolution de la ville. On visite sans hâte les nombreuses salles, on s’arrête devant la charte de libertés, des collections de monnaies et des témoignages de l’art religieux qui expliquent la ferveur de jadis. D’autres salles font admirer les plus beaux spécimens de l’artisanat, des étains et du mobilier.

Place à la méditation

A un jet de pierre de la ville, on pénètre au c£ur du bois de Tihange, le  » poumon  » de Huy. Une magnifique drève, plantée de marronniers nous mène au domaine du château du Fond l’Evêque, reconverti en Institut tibétain Yeunten Ling ( » jardin des grandes qualités « ). Ici, on bascule dans un autre monde. L’ambiance, solennelle et silencieuse, est pourtant très légère, l’accueil simple et chaleureux. C’est une poignée de Belges, passionnés par le bouddhisme, qui sont à l’origine de cette initiative, concrétisée en 1983. Il leur a fallu trois ans pour dénicher ce petit paradis, propice au recueillement et à la méditation, situé dans un lieu facile d’accès. L’institut Yeunten Ling est dirigé par trois lamas. Ce n’est ni un monastère ni une communauté, mais plutôt un centre culturel où l’on peut étudier le bouddhisme, apprendre à méditer, effectuer, éventuellement, une retraite. Les lamas aiment à souligner que l’institut appartient  » à ceux qui le fréquentent « . Il est donc ouvert à tous, hommes et femmes, et à toutes les confessions. L’affluence est importante, entre 8 000 et 10 000 personnes par an et ne cesse de progresser. Le Dalaï Lama y est déjà venu à trois reprises.

Une ville qui bouge

Huy cultive sa mémoire, Huy s’ouvre à la spiritualité, Huy vit au rythme d’aujourd’hui. De retour en ville, on fait du lèche-vitrines. Le prêt-à-porter, la déco, l’art de la table : les boutiques sont à la pointe des tendances. On passe devant l’église Saint-Mengold, désacralisée, qui abrite le centre culturel et accueille en été de nombreuses expositions. On fait une pause goûter dans les superbes jardins de la maison Batta, ancien refuge de l’abbaye du Val Saint-Lambert du XVIe siècle, transformé, en partie, en restaurant. On ira encore goûter le délicat  » vin de Huy « . En effet, l’architecte hutois Charles Legot, passionné de vin, a relancé sa production en 1963, donnant une formidable impulsion à la renaissance du vignoble mosan. Décidément, la ville de Huy entame le troisième millénaire avec un solide appétit.

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