Barbara Witkowska Journaliste

Très applaudie par les professionnels de la mode, la première collection du jeune styliste belge célèbre l’union de l’élégance intemporelle et des codes les plus bruts de l’univers masculin. Très convaincant.

Carnet d’adresses en page 126.

D’un nouveau créateur, on attend des idées neuves, de l’originalité et des surprises. Le premier défilé de Kris Van Assche, en janvier dernier (collection automne-hiver 05-06), a comblé ces attentes, en soulevant des montagnes d’enthousiasme et en annonçant la naissance d’un futur grand. Ex-assistant d’Hedi Slimane, Kris a quitté Dior Homme en septembre 2004. Le projet ? Créer sa propre griffe.

 » Quand on regarde les magazines, explique Kris, on voit des mannequins de 13-14 ans, habillés de costumes trois-pièces. Bien entendu, on n’y croit pas. Aujourd’hui, dans la mode masculine, on observe deux extrêmes, soit un style très classique, soit le carnaval. Je voulais choisir le juste milieu.  » Cela dit, c’est un exercice délicat, car on peut vite tomber dans le ridicule. Sa solution ? Une synthèse  » juste  » et subtile entre la tradition tailoring et divers thèmes de l’univers masculin où se côtoient voitures, garages, bleus de travail et bricolage. L’autre source d’inspiration ? Une étude  » sociologique  » des comportements vestimentaires chez l’homme et chez la femme.

Kris a constaté que la femme passe beaucoup de temps à mettre ses vêtements en place, lisser les plis, fermer méticuleusement tous les boutons, cacher tout ce qui déborde et coordonner les accessoires. L’homme, en revanche, s’habille en deux minutes, sans se regarder dans un miroir. Il enfile les vêtements à la va-vite, boutonne ses chemises de travers, met ses pulls à l’envers, retrousse ses manches, noue sa chemise… D’où l’idée d’accentuer ses  » défauts  » et les transformer en un clin d’£il viril et sympa. Quelques exemples ? Une chemise dont la moitié du col se retourne vers l’intérieur. Une chemise claire avec une cravate foncée, appliquée en trompe-l’£il sur le devant, comme si on l’avait défaite et qu’elle serait prête à s’envoler. Ou encore ces chemises avec manches préretroussées au coude, à porter éventuellement avec un tee-shirt à manches longues.

L’idée du trompe-l’£il est récurrente. On épingle aussi cette écharpe incrustée dans la veste, comme si l’homme l’y avait posée négligemment.  » Ce côté nonchalant était tellement réussi que, pendant le défilé, le public croyait vraiment qu’il s’agissait de vêtements basiques, mal enfilés par les mannequins « , s’amuse Kris. L’autre point fort de la collection ? Convaincre les jeunes de s’abonner de nouveau aux costumes. Certes, pas les costumes de leur père, mais des ensembles plus punchy, à l’esprit  » mix’n’match « , allant du style couture à une allure plus casual.

Chez Kris Van Assche, une vraie créativité souffle sur les vestes et les pantalons. Ces derniers s’inscrivent dans l’air du temps : la jambe est longue et fluide, la forme est baggy, mais le tout est taillé dans une étoffe de très belle qualité. Les vestes, souples et nonchalantes, multiplient des détails inédits, tels les pochettes ou les écharpes incrustées ou encore les bas-volets, empruntés au trench, incontournable classique de la garde-robe masculine. Le plus souvent, un gilet les accompagne. Les vestes et les gilets sont même livrés avec un stylo à bille, griffé Kris Van Assche, car  » que l’on soit médecin ou chauffeur de taxi, on a toujours un stylo dans la poche « .

Les audacieux n’hésiteront pas à mixer deux univers contradictoires : un pantalon baggy avec un gilet de camionneur en laine et une veste sur les épaules ou encore un bleu de travail avec un trench élégant. A l’heure des loisirs, on adopte un bleu de travail, décliné en cuir, en velours ou en coton ou un blouson à l’esprit motard, doublé de tissu sweatshirt pour plus de confort. Des soufflets en dessous des bras et au niveau des épaules assurent plus de liberté aux mouvements. Côté maille, les pulls et les tee-shirts au petit décolleté en V, conjuguent manches longues et manches courtes, et se déclinent en blanc, en noir et dans un beau camaïeu de gris. Leur point commun ? La lisière du décolleté est comme décousue ou déchirée, puis retournée, comme si on avait enfilé le pull ou le tee-shirt trop vite. Ce détail, déjà classique (il est reconduit dans la collection printemps-été 2006) est devenu la  » marque de fabrique  » du jeune créateur. Côté couleurs et motifs, pas d’extravagances. Les gris, les noirs et les blancs, les carreaux, les rayures ou le motif prince-de-galles, reflètent bien l’élégance classique et intemporelle.

Enfant unique, Kris a grandi à Londerzeel au sein d’une  » famille traditionnelle « . Sa grand-mère, pour qui  » se faire belle était essentiel « , lui inculque le goût pour la mode. Grand fan de Madonna, Kris est bluffé par ses tenues de scène, dessinées par Jean Paul Gaultier. La mode devient alors une vraie passion. A l’âge de 12 ans (très précisément !), il découvre que le stylisme est un métier.  » A partir de ce moment j’ai été très assidu à l’école, sourit-il. A aucun prix, je ne voulais doubler. Pendant six ans, je n’ai attendu qu’une seule chose : entrer à l’Académie d’Anvers !  » Il y débarque à 18 ans. Il est le plus jeune, mais sans doute le plus motivé et le plus enthousiaste, obsédé par une idée : terminer rapidement ses études et lancer sa propre marque.  » A l’époque, je songeais à la femme, je trouvais la mode masculine ennuyeuse et sans intérêt, confie-t-il. A l’Académie, mes collections étaient proches de ce que je fais aujourd’hui, masculines, sobres et réalistes. Je n’ai jamais été extravagant.  »

Après Anvers, où Kris apprend, notamment, à être passionné et à persévérer, son parcours le mènera à Paris, chez Yves Saint Laurent, au département Homme. Sans grand enthousiasme, au départ. Il ne parle pas le français et pense partager le sort de tous les stagiaires en dessinant, par exemple, des cravates pendant quatre mois. En arrivant, une agréable surprise l’attend pourtant. Nous sommes en 1998. Hedi Slimane est en train de révolutionner, chez Yves Saint Laurent, la mode masculine. Le courant entre le talentueux directeur artistique et le stagiaire passe bien. Kris s’intègre rapidement au sein de la petite équipe. Au bout de quatre mois, son stage est prolongé de six mois. Finalement, il assistera Hedi Slimane… pendant six ans. En 2000, il le suit chez Dior. Impliqué à fond, il touche à tout : recherche et choix de tissus, travail de l’atelier, défilés, casting de mannequins, invitations, musiques…  » Bien entendu, c’était très excitant, mais au bout de six ans, aussi très frustrant, souffle Kris. Chez Yves Saint Laurent régnait une ambiance sympathique, pleine de fraîcheur et de naïveté. Nous pratiquions un art sans prétention. Chez Dior, en revanche, c’est une grande machine de business qui s’est emballée.  »

Kris décide alors de voler de ses propres ailes. Il a un riche bagage, il est temps d’évoluer vers d’autres horizons. Sa personnalité s’est bien affirmée, ses objectifs se sont cristallisés. Il a eu l’occasion d’apprendre le fonctionnement d’une grande maison de mode sur le bout des doigts. En septembre 2004, il s’établit définitivement à Paris et pas n’importe où. Il installe son showroom à l’hôtel de Retz, un prestigieux hôtel particulier du xviie siècle, situé dans le Marais, près du Centre Beaubourg. Il a pour voisins une galerie d’art contemporain, des stylistes, des avocats et des artisans haut de gamme. Des collaborateurs triés sur le volet le secondent efficacement. Sa griffe démarre sur les chapeaux de roue. On trouvera d’ailleurs sa première collection automne-hiver 05-06 dans les boutiques les plus pointues à Paris (Colette et L’Espionne) et en Belgique (Stijl à Bruxelles, Verso à Anvers et Handsome à Hasselt). Il est très bien distribué aux Etats-Unis et au Japon. Son ambition ?  » Que cela tourne de mieux en mieux.  »

La collection de prêt-à-porter s’enrichit d’une collection de bijoux, objets ultimes de la masculinité. Témoignage de son univers tout en contradiction, ce pendentif en forme d’écrou, en argent gravé de la signature du créateur. Suivront, pour le printemps 2006, des pendentifs en forme de décapsuleur et de capsule, ainsi que les bijoux porte-bonheur des latinos : un trèfle à quatre feuilles, cousu à l’intérieur des vêtements et un collier avec une médaille représentant la Madone, objet fétiche de tous les toreros. Pour peaufiner le look de manière décontractée, Kris a dessiné des espadrilles en cuir (un morceau de toile est placé au niveau du talon pour ne pas blesser le pied) et des chapeaux, tous réalisés dans les règles de l’art par des artisans spécialisés, car  » c’est génial de travailler avec des gens qui s’accrochent à l’art « .  » Je n’exclus pas l’idée de relancer un jour la mode féminine. Je sais ce que j’aime et ce que je n’aime pas. Ce sera une suite logique de mon travail sur l’homme « , conclut le jeune styliste de 29 ans, étonnamment mûr et déterminé pour son âge.

Barbara Witkowska

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