Peintre, musicien, compositeur, designer, cartooniste, photographe… Le réalisateur de  » Mulholland Drive  » et  » INLAND EMPIRE  » est tout cela à la fois. Pour l’exposition phare que lui consacre la Fondation Cartier, à Paris, il est même devenu scénographe. Et gourou.

Quand on demande à David Lynch ce qui est le plus important dans un film, l’histoire ou les personnages, il répond de sa voix lente, après un long blanc :  » Tout est important dans un film.  » Obsessionnel comme personne, à 61 ans, le cinéaste de  » Elephant Man  » (1980),  » Sailor et Lula  » (Palme d’Or à Cannes en 1990) et  » Mulholland Drive  » (2001) a tenu à assurer lui-même la scénographie de la vaste rétrospective XXL que lui dédie la Fondation Cartier, à Paris, jusqu’au 27 mai prochain. Quinze jours avant l’inauguration, l’Américain est arrivé dans la Ville lumière pour suivre pas à pas l’assemblage des installations dans les vastes espaces vitrés du boulevard Raspail. Histoire d’ajuster les grands rideaux rouges qui servent de fond à ses peintures, de vérifier la pose de la moquette du  » faux  » living-room – reconstitué à partir d’un de ses dessins -, ou de tester la qualité de projection de la salle obscure temporaire, où seront diffusés, entre autres, ses courts-métrages d’animation.

Des lourdes tentures grenat ? Un salon  » midlle class « , inquiétant de banalité ? Un cinéma de quartier ? Les amateurs auront vite reconnu quelques-uns des décors qui peuplent de manière angoissante les films de celui que l’on surnomme l’homme labyrinthe. Le titre même de l’exposition parisienne,  » The Air is on Fire « , renvoie à son cinéma incandescent où les maisons s’enflamment, les téléphones brûlent et les têtes implosent.  » Fire Walk with Me  » n’était-il pas le sous-titre de  » Twin Peaks  » (1990/1991), le film ?  » La fumée, l’électricité, c’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup, confiait récemment Lynch à une radio française. La fumée est toujours en mouvement, cela donne des ombres extraordinaires ; comme le feu, elle est une invitation à la rêverie.  » Des rêves qui ont souvent des allures de cauchemars dans l’imaginaire de David. Et pas seulement au cinéma comme le montre l’expo foisonnante de la Fondation Cartier.

îuvres sur Post-It

 » The Air is on Fire  » révèle, en effet, pour la première fois, une large sélection de ses aquarelles, peintures et dessins, soit près de 400 £uvres, pour la plupart non datées, mais dont certaines remontent à l’époque où Lynch était jeune étudiant. En 1965, à l’âge de 19 ans, après une enfance passée dans le Montana, il rejoint l’Academy of Fine Arts de Philadelphie. Il aime déjà le surréalisme et la violence expressive des tableaux de Francis Bacon. C’est dans cette école des beaux-arts qu’il a la révélation de l’image en mouvement…

Lynch aime préciser que c’est en voyant une brise légère déplacer doucement les objets collés sur la toile à laquelle il travaillait, qu’est née son envie de cinéma… Affabulation ou vérité ? C’est toutefois en 1976, qu’il réalise, après divers courts-métrages expérimentaux,  » Eraserhead « , son premier et retentissant long-métrage. Neuf autres suivront mais aussi quatre séries télés ( » Twin Peaks « ,  » On the Air « ,  » Hotel Room  » et  » American Chronicles « ), une £uvre musicale ( » Industrial Symphony N°1 « ), un CD ( » Blue Bob « , un album mi-folk, mi-métal avec son ami John Neff) et une poignée de cartoons ( » Dumbland « ), sans pour cela jamais délaisser son travail pictural.

 » Il se sert de tous les supports imaginables pour étancher son inspiration, soulignent les organisateurs de l’exposition. Les  » binders  » qu’il n’avait jamais montrées, sont des vignettes dessinées par l’auteur sur des Post-It, des boîtes d’allumettes, des serviettes en papier ou… des sachets hygiéniques pour passagers d’avion ! Cela ressemble à ces croquis que l’on fait par distraction quand on est au téléphone. à la seule différence que lui les range précieusement dans des classeurs depuis vingt-cinq ans. Il les consulte régulièrement.  » Scènes de meurtre et de sexe, corps disloqués ou figures abstraites : l’inconscient de l’artiste couché sur toile ou sur papier ressemble à s’y méprendre à ce qu’il imprime sur pellicule.

 » The Air is on Fire  » présente également le travail photographique de l’artiste. Des paysages urbains décatis ou des sites industriels désaffectés à l’atmosphère ténébreuse. Pas vraiment plus apaisés, ses nus féminins aux allures de femmes fatales, sont un écho lointain de l’âge d’or de Hollywood ; cette période qui, des années 1930 à la fin des fifties, marqua l’apogée de la Paramount et des autres grands studios de cinéma. Coïncidence ou mimétisme fabriqué : l’un des modèles photographiques de Lynch est un clone de l’actrice Janet Leigh dans  » Psychose  » (1960), le film de Alfred Hitchcock, l’un de ses metteurs en scène préférés.  » Encore aujourd’hui à Los Angeles, vous pouvez capter dans l’air ce que fut cette période unique du cinéma même si les choses ont bien changé « , dit-il. Ce Los Angeles dont il n’est pas natif mais dont il aime tant la lumière qui lui donne, selon lui,  » un sentiment de liberté « . Lynch vit depuis longtemps sur les hauteurs de Hollywood, en contrebas de… Mulholland Drive, dans une maison qui ressemble à un bunker, dessinée en 1962 par Frank Lloyd Wright Jr, le fils de l’architecte star Frank Lloyd Wright (1867-1959) auteur du Musée Guggenheim à New York.

Design et météo du jour

Esthète protéiforme, Lynch imagine aussi du mobilier pour son propre usage dont plusieurs pièces (table à café, secrétaire…) sont commercialisées depuis quelques années au compte-gouttes par une firme suisse (www.casanostra.com). A l’occasion du grand flash-back de la Fondation Cartier, Lynch a même conçu un mini-service de table, édité, on s’en doute, en nombre limité et à un prix conséquent.

Conscient de son statut d’artiste  » culte « , Lynch est en effet passé maître dans la gestion de son image, qu’il exploite parfois avec humour. En novembre dernier, il a ainsi imaginé un étrange happening sur les trottoirs de Hollywood Boulevard accompagné d’une vache (vidéo sur www.youtube.com) et d’une image géante de Laura Dern, l’interprète de  » INLAND EMPIRE « . Le cinéaste tenait à sensibiliser de manière peu conventionnelle l’académie des Oscars à la performance de son interprète féminine.

Pour ceux qui ne pourraient se rendre à Paris, il faut pointer le très riche catalogue de l’exposition et l’étonnant site officiel du cinéaste (www.davidlynch.com), complément indispensable à la visite. On y trouve une sélection d’£uvres picturales, de courts-métrages et de séquences inédites de l’auteur, à condition d’être membre. Une cotisation annuelle de 99 dollars (75,30 euros) ouvre la voie à des bonus décalés, comme ce bulletin météo délivré tous les matins (ou presque…) par Lynch derrière sa webcam ou la possibilité de gagner, par tirage au sort, un lunch avec la star !

Accessible à tous, en revanche, la petite boutique virtuelle permet d’acheter des fonds d’écran  » made in Lynch « , des sonneries de portables à glacer le sang ou des produits alimentaires à son effigie. Comme Paul Newman et ses vinaigrettes, David Lynch a en effet prêté depuis peu son image à une gamme de café organique….

Le lien avec son maître spirituel, Mahesh Yogi, nous rappelle par la même occasion que Lynch est un adepte, depuis une trentaine d’années, de la méditation transcendantale.  » Je médite deux fois une demi-heure par jour, confiait-il un jour à un magazine américain. Une fois le matin, une fois le soir. Je n’ai jamais raté une seule séance. C’est une manière de nettoyer le système nerveux qui est le fondement de la conscience, d’être moins touché par les mauvaises choses et de vous permettre de garder les pieds sur terre. Mal maîtr sé, le succès peut être encore plus dangereux que l’échec.  »

Carnet d’adresses en page 78.

Antoine Moreno

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