Dix ans que le créateur Rupert Sanderson imagine et fabrique escarpins,

sandales et derbies, mêlant artisanat italien et design avant-gardiste. Less is more est son credo. Un talent indéniable, dans la nouvelle génération de chausseurs britanniques.

Lima, Hydra, Gambit, Parasol, Léonie, Estelle ou Fabia. Ne cherchez pas inutilement d’où pourraient bien venir les appellations que Rupert Sanderson donne chaque saison à ses créations. Celles-ci arborent toutes le nom d’une jonquille. Délicatesse et humour so british, isn’t it ?  » Je suis un jour tombé sur un vieux recueil, qui compile les différentes espèces de ces fleurs jaunes existant de par le monde, détaille le créateur britannique. C’est depuis une source inépuisable de dénominations, toutes plus ravissantes les unes que les autres ! « 

En visite dernièrement à Luxembourg pour l’inauguration de la boutique d’accessoires Cape Cod, qui vend sa collection en exclusivité, Rupert Sanderson ne perd jamais son flegme anglais. Le chauffeur qui doit venir le chercher à l’aéroport a du retard ? Il boira un café en l’attendant, et l’accueillera sans se départir de son sourire. Le business lunch est mené au pas de course, parce qu’il doit ensuite rencontrer la presse ? No stress, deux secondes lui suffisent pour s’extasier devant les macarons, en goûter un au passage, et se laisser guider ailleurs sans broncher, en plaçant même subtilement un bon mot, à gauche et à droite. L’homme est tranquille, aux antipodes du mythe de la star torturée. Bottillons en daim Clarks aux pieds, veste noire et chemise blanche enfilées classiquement sur un jeans. Le look est sans effet de manche.  » J’ai bien essayé de porter des baskets, mais je me trouvais ridicule « , confie celui qui se compare à un moine, tellement il possède peu de chaussures ou de créations de designers.

Il faut dire que rien ne prédestinait ce Londonien à devenir un jour chausseur.  » C’est assez inexplicable, car aucun élément de mon passé ou de mon histoire familiale peut justifier cette passion… qui m’a trouvé d’une bien étrange façon.  » Rupert Sanderson tente désespérément de s’épanouir en faisant carrière dans le monde de la pub, quand il décide de tout plaquer pour s’inscrire au Cordwainers College, et apprendre à fabriquer des chaussures.  » J’ai réfléchi à ce que je voulais faire de ma vie. Cela tournait autour de l’idée de l’artisanat, des matériaux. De créer un produit simple, vrai, et pas du tout commercial, comme peut l’être la bière ou une photocopieuse, par exemple. Au départ, je voulais seulement couper le cuir, le piquer, réaliser des modèles, concevoir un soulier de mes propres mains. Je ne m’imaginais pas travailler dans ce secteur ou lancer ma marque. Jusqu’à ce que je me rende compte à quel point cela me plaisait. « 

MADE IN ITALIA

Durant ses vacances scolaires, Rupert Sanderson enfourche une moto, qui l’emmène en Italie. Il y visite ateliers, manufactures et tanneries, rencontre des artisans locaux, noue de premiers contacts commerciaux…  » C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que si quelque chose devait se passer, ce serait dans ce pays.  » Il est embauché comme stagiaire par Sergio Rossi, puis Bruno Magli, et ce bien avant que ces derniers ne soient rachetés par d’importants groupes de luxe. L’occasion parfaite pour l’apprenti créateur, qui ne parle pourtant pas un mot d’italien, de perfectionner son art.

Quand le Britannique lance, en 2001, sa propre griffe –  » pour une question de liberté, de contrôle de destinée, du plaisir de créer, mais aussi sans doute de reconnaissance  » -, c’est à nouveau vers l’Italie qu’il se tourne.  » Ses artisans sont les meilleurs qui soient, et je ne me voyais pas agir autrement. Le côté artisanal me plaît par-dessus tout, même si cela implique un prix de vente élevé. Je ne m’imaginais pas me rendre en Chine, pour que quelqu’un me montre une paire de chaussures produite à la chaîne.  » Au fil de ses collections, Rupert Sanderson se taille une solide réputation, basée sur le principe du  » less is more « . Le designer recherche la ligne parfaite, une cambrure sensuelle. Il privilégie un travail sur les matériaux et les volumes, pour atteindre, au final, l’équilibre absolu. Chaque création est méticuleusement réalisée à la main, dans son atelier près de Bologne, et mêle subtilement artisanat traditionnel italien et design avant-gardiste.

LES ANNÉES 70, CET ÉTÉ

Les sources d’inspiration de ce quarantenaire sont diverses.  » Mes yeux peuvent tout aussi bien capter une technique particulière, être influencés par les imprimés de l’artiste Bridget Riley ou s’arrêter sur une pochette de CD, comme celle du légendaire album Aladdin Sane de David Bowie, qui transparaît cet été à travers la plate-forme Lightning, aux accents très seventies.  »

Sa collection estivale recèle de nombreuses paires aux talons vertigineux. De quoi rendre la femme plus séduisante que jamais ?  » Pas nécessairement. Cela dépend surtout de la façon dont chacune est habillée et de sa personnalité. Mais c’est un fait qu’une femme se sent immédiatement plus sexy en talons hauts. C’est de l’ordre de la perception. Inconsciemment, sa posture change. Cela la transforme. « 

DIX ANS DÉJÀ

L’année 2011 aura une saveur toute particulière pour le Londonien, puisque cela fait dix ans que sa griffe existe.  » C’est tellement peu, face à des maisons centenaires comme Hermès ou LouisVuitton.  » Pourtant, le chemin parcouru est notable : collaboration avec Karl Lagerfeld pour ses chaussures de défilé, prix de l’Accessory Designer de l’année aux British Fashion Awards en 2008, ouverture l’an dernier d’une boutique à Paris et à Hongkong, déménagement de ses bureaux dans un plus grand espace, dont le showroom accueille de temps à autre expos et manifestations d’artistes…  » Cela devient de plus en plus dur de se lancer comme chausseur. Ce n’est pas comme quelqu’un qui fabrique des vêtements et peut le faire depuis chez lui. Il faut collaborer avec une manufacture, et réitérer l’exploit chaque saison. Même le plus talentueux des designers a besoin de dix ans pour s’en sortir et réaliser de belles chaussures.  » Fort de ce constat, Rupert Sanderson a fondé l’association Fashion Fringe Shoes, avec le fashion editor Colin McDowell. Objectif : découvrir et encourager les jeunes talents du secteur. Histoire qu’eux aussi connaissent un parcours aussi heureux que le sien. n

Carnet d’adresses en page 96.

PAR CATHERINE PLEECK

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