Nommé, en 2013, créateur des parfums, le fils du célèbre nez de la maison Chanel signe aujourd’hui son premier Exclusif. Un jus vibrant, poudré, hommage à la rencontre de Coco et Misia.

Il est des vies de roman pétries d’aventures presque trop belles et trop tristes à la fois pour être vraies. Celle de Gabrielle Chanel est de celles-là, ses ami(e)s, ses amants, ses goûts tranchés frisant l’obsession, ses superstitions même ne cessant d’ailleurs d’inspirer la maison éponyme. La pianiste Misia, née Godebska, devenue Natanson, Edwards puis Sert propulsa littéralement Coco dans une autre dimension. Une rencontre pivot qui méritait bien qu’on lui consacre un parfum. Ce jus merveilleusement poudré – le 15e Exclusif, du nom de ces fragrances d’exception vendues seulement dans les boutiques de la griffe – raconte l’effervescence des coulisses de l’Opéra Garnier, à Paris, sous le règne des Ballets russes, le bois des parquets qui craque, l’odeur de violette des fards d’antan et la douceur duveteuse du velours grenat du lourd rideau de scène. Ce lieu magique, Olivier Polge le connaît bien. Il n’est pas rare de l’y croiser, conduit par cette passion pour la musique classique qui le happera, adolescent, et ne le lâchera plus jamais.  » Je fais peut-être le même métier que mon père, mais la musique, ça a toujours été mon affaire « , note-t-il. Le piano surtout dont il joue –  » très mal  » – les mélodies des autres. Ses partitions à lui, c’est devant l’orgue à parfums qu’il les écrit.  » Tout se passe dans la tête, confesse-t-il. Le nez n’est qu’un outil de contrôle. Il n’est pas question pour un parfumeur de percevoir ce que personne d’autre ne sent, mais de maîtriser ce sens que notre culture a tendance à laisser un peu à l’abandon.  » Ceux qui s’imaginent qu’il s’y est mis dès l’enfance – il a tout juste 4 ans lorsque son père, Jacques Polge, est nommé créateur des parfums Chanel – auront tout faux.  » Comme tous les gamins, j’ai eu ma phase : Tout sauf ça !  » rappelle-t-il. Il entreprend d’abord des études d’histoire de l’art  » de manière un peu dilettante « . Pour tuer le temps, l’été, il accepte un stage, comme le ferait n’importe quel jeune de son âge, dans la boîte où officie son papa. Sans agenda caché. De pesée d’essences et d’absolues en décorticage de formules, son regard sur le job change.  » Ce qui m’a séduit, c’est cette dichotomie entre le caractère complètement immatériel du parfum, la force aussi que peut avoir une chose aussi impalpable, et le côté très terre-à-terre, artisanal, des ingrédients.  » Loin de chercher à le dissuader, Jacques Polge lui ouvre son carnet d’adresses. Il apprend son art sur le tas, chez Charabot d’abord, où il découvre une à une les matières premières. A l’usine, on lui fait broyer la vanille, arroser des mousses sèches de Yougoslavie. Viennent ensuite deux années d’initiation à la composition, dans une petite société genevoise.  » J’y ai disséqué mes premiers accords, les structures types, les chyprés, les fougères un peu comme on ferait ses gammes « , ajoute-t-il. Il entre alors chez IFF, spécialiste du secteur, qui l’envoie tout de suite à New York –  » être à 5 000 kilomètres de ses parents, cela fait du bien de temps en temps « , ironise-t-il. Il restera là-bas cinq ans. Très vite il sort de l’ombre, signe des jus aux tempéraments aussi différents que Dior Homme, Flowerbomb, La Vie est Belle, Valentino et plus récemment le premier opus de Repetto, une histoire de danseurs, déjà. Jamais la crainte d’avoir à se faire un prénom ne le fera douter de son choix.  » Avant de travailler dans ce milieu, je n’avais aucune mesure de la notoriété de mon père, avoue-t-il. Et c’est tant mieux parce qu’elle ne m’a du coup jamais gêné. Nous n’avons d’ailleurs pas bossé ensemble jusqu’à aujourd’hui.  »

En octobre 2013, Chanel lui propose de reprendre la tête des laboratoires où tout a commencé pour lui. Il accepte sans hésiter.  » Bien sûr, par le passé, j’ai montré que je savais gagner des contrats, mais je n’ai pas l’âme guerrière et mercantile, assure-t-il. Ce qui me plaît vraiment chez Chanel, c’est d’avoir le temps de penser les choses en profondeur. Avant, je prenais la parole sur une fragrance. Ici, nous construisons des parfums tout en veillant à leur équilibre les uns par rapport aux autres.  » C’est à lui que reviendra aussi la charge de faire vivre les légendes de la maison, le N°5 bien sûr mais aussi tous les autres. Une responsabilité qui ne lui pèse pas mais qu’il voit plutôt  » comme une force « . Avec Misia, il ouvre à son tour un nouveau chapitre de l’héritage de la griffe aux deux C…

PAR ISABELLE WILLOT

 » Comme tous les gamins, j’ai eu ma phase : Tout sauf ça ! « 

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