Époque de dingue, histoire de dingue. Lisez plutôt. Nous en sommes en 1969. On peut alors avoir une formation d’ajusteur fraiseur tourneur et décider de devenir photographe sur un coup de tête, moyennant un minimum de patience avec les modes d’emploi, de la passion pour le médium, une véritable fascination pour les joies du labo. C’est le cas d’Alain Loison, il a 24 ans et vient de se faire embaucher par l’agence de presse Apis sur la base des clichés de concerts qu’il écume à Paris pour  » se faire un book « . Frank Zappa, Jimi Hendrix, Otis Redding, les monstres sacrés se laissent encore approcher. Une autre époque, on vous dit. Bref. Un samedi soir, il trouve une note à la rédaction :  » Steve McQueen débarque à Orly demain matin. C’est pour toi.  » Jour du Seigneur, le jeune gandin prend la route pour l’aéroport avec ses bobines. Comme prévu, clic, clac Kodak, la fourmilière de paparazzis shoote la descente d’avion de l’acteur américain. La rumeur prétend que ce dernier file ensuite au Georges V. Branle-bas de combat, tous aux Champs-Élysées. Sauf Loison. Dans la précipitation, il a ouvert son boîtier et brûlé sa bobine. Stress. Petit stress : un journaliste allemand sait que McQueen ne va nullement à Paris, mais directement au Mans, où il doit faire les repérages pour son film éponyme. Il n’a pas de photographe. Alain Loison voudrait-il bien l’accompagner, il possède une BMW sport 3 litres 5 V8. Le jeune Français aime la vitesse, il prend le bolide en main. Devant, c’est le blond de La Grande Évasion qui est au volant d’une berline Mercedes. Course-poursuite sur la Nationale 10. Sur le chemin, l’équipe du film fait une pause. Le directeur de la production s’avance vers le duo qui les suit depuis Paris :  » Monsieur McQueen demande que vous déposiez votre appareil.  » Silence.  » Il vous invite à déjeuner.  » À table, ça papote bagnole, le contact passe, Alain Loison se voit offrir trois jours d’exclusivité sur le circuit du Mans. C’en sera finalement huit, 24 heures sur 24 aux basques de McQueen. Mieux : celui-ci voit les premiers tirages et propose à Loison de devenir son photographe attitré. Bingo ? Non. Il refuse. Si, il refuse.  » Il me proposait cinquante fois mon salaire. J’ai cru qu’il se foutait de moi.  » Il sera finalement photographe de plateau entre autres sur les films de Christian Fechner jusque dans les années 80, puis ingénieur du son. Pas de regrets. Sauf d’avoir perdu une grosse partie de ses négatifs dans une inondation monstre. Jusqu’à ce qu’un ami dégote, il y a un an et demi par l’intermédiaire d’une archiviste de l’AFP, une partie des planches qu’il pensait perdues à jamais. Elles sont chez Corbis qui a entre-temps récupéré les archives d’Apis :  » J’avais changé de vie, je m’étais brouillé avec les mecs de cette agence. Plus tard ils ont mis la clé sous le paillasson, ils avaient perdu ma trace. Aujourd’hui, j’ai récupéré mes droits sur ces images, c’est fou. Quarante ans après, le passé a resurgi. J’ai eu une bouffée de nostalgie en revoyant ces huit jours magiques passés avec Steve McQueen.  » La galerie parisienne Polka, qui a eu vent de cette jolie histoire, publie alors un portfolio de ces images dans son magazine et expose une d’entre elles dans le cadre de l’expo itinérante On Set/Off Set sur les coulisses du cinéma qui se tient dans les hôtels Sofitel. Alain Loison pensait prendre sa retraite, il a dépoussiéré ses vieux boîtiers.  » Je vais m’y remettre tout doucement, j’ai encore quelques contacts dans le monde du show-biz « . On the road again.

Exposition On Set/Off Set, des instants de cinéma. Photographies d’Alain Loison, Derek Hudson, Stefano De Luigi et Emmanuel Scorcelletti, à voir à Bruxelles, au Sofitel Le Louise, jusqu’au 19 mai prochain. À Amsterdam, du 3 juin au 15 août prochain. Ensuite, à Londres, Rome et Munich.

BAUDOUIN GALLER

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