Elle travaille ses tissus et ses modèles comme un maître coq mitonne ses petits plats. Avec gourmandise et sincérité. Elle a un nom d’homme et c’est une (belle) femme. Nathalie Garçon a sa marque dans la mode, une patte certaine pour illustrer sa griffe et des rêves sans illusions hâtives.

(1)  » Fashion Daily News  » du 17 janvier 2003.

Carnet d’adresses en page 147.

A utour de la table de la mode, ils et elles sont peu à s’asseoir avec autant de franchise. Ils et elles sont encore moins nombreux à montrer leur amour pour les plaisirs sains, sensuels, voire normaux de l’existence. Nathalie Garçon (43 ans) appartient à ce tout petit aréopage : épicurienne, elle aime ses enfants (deux fils qui lui donnent de temps à autre du fil à retordre), l’homme de sa vie, le bien manger et le bon boire, les couleurs de l’existence et la chatoyance des matières… De plus, elle habille le beau sexe avec grâce et sans contraintes. Bref, dame Garçon fait figure de martienne dans cet univers où papillonnent des blondes anorexiques, sans âge défini et immanquablement corsetées de noir.

 » Je suis très compulsive et assez excessive, en fait, avoue la créatrice. Mais n’ayez crainte, cela s’arrange avec l’âge ( sourires). Bon, c’est vrai que je suis un peu atypique dans le milieu de la mode. Pour moi, le vêtement représente un bel outil d’expression, qui devrait être utilisé comme tel. C’est un vecteur de communication qui traduit soit notre soif de discrétion (tons neutres, allure discrète…) soit notre envie d’exubérance. Vous savez, la mode ne m’intéresse pas tellement parce que l’on oblige les gens à se glisser û généralement malgré eux û, dans des tiroirs, des catégories inamovibles. Quand on est adolescent, ce phénomène s’avère compréhensible puisque l’on a besoin de se référer à des codes, de rejoindre des groupes précis. Gamine, j’agissais moi-même de la sorte : je portais des trucs excentriques à la fois pour me protéger et m’affirmer face aux autres et au monde. A l’âge adulte, par contre, on devrait prendre de la distance, acquérir une liberté suffisante par rapport aux diktats vestimentaires et au stérile snobisme des marques. Surtout qu’en Europe on bénéficie d’un choix immense en la matière « …

Face au phénomène d’idolâtrie, par le public tant féminin que masculin à l’adresse de méga-labels mondialisés à l’excès, et dont l’image a définitivement pris le pas sur l’esprit d’élégance, Nathalie Garçon propose d’autres manières d’envisager l’allure. Sous l’objectif de sa complice la photographe Carole Bellaiche ( NDLR : cette artiste qui travaille depuis près de vingt ans avec Nathalie est spécialisée dans les portraits d’acteurs), elle met donc en scène des femmes qui lui ressemblent : très féminines, fragiles uniquement en apparence, séduisantes sans devoir être agressives… Cette saison, elle a privilégié des tissus simples comme le crépon, la mousseline et l’organza qu’elle a travaillés de manière luxueuse (broderies dignes de la haute couture, superpositions subtiles, patchworks raffinés, détails à haute valeur artisanale ajoutée, etc.) tout en misant sur ses motifs fétiches, les rayures et les fleurs, et son grand classique toujours renouvelé : la robe. C’est d’ailleurs une petite robe en crêpe de soie, sympa et sans chichis, qui a servi de moteur à la première collection de Nathalie, en 1989.

 » Lorsque j’ai débuté dans la mode après un passage au Studio Berçot ( NDLR : la brune artiste travaillera entre autres pour Cacharel via la fameuse photographe Sarah Moon, pour Guy Laroche, Rodier…), j’étais fascinée par les défilés, les mannequins, cette beauté quasi extraterrestre. Plus tard, j’ai raisonné très différemment : j’apprécie autant les défauts que les qualités, j’aime la fragilité, l’incertitude, une certaine gaucherie chez mes semblables. Cela m’inspire davantage aujourd’hui qu’une vision idéalisée de la femme ou de l’homme « , raconte celle qui admire le travail de notre compatriote Dries Van Noten ou encore l’£uvre d’un Christian Lacroix et d’un Romeo Gigli.  » Pour dissimuler quelque chose que l’on n’aime pas chez soi, on est capable de construire, d’inventer des choses extraordinaires. C’est bien plus stimulant !  »

Ce type de réflexion engage Nathalie à mettre un terme aux défilés en 1998. Marre de cette faune modeuse et creuse. Marre de cette frénésie où les collections se bousculent et déboulent devant les yeux las des journalistes.  » J’avoue que là, on m’a vite oubliée ; j’ai eu quelques années où j’ai mangé mon pain noir. Plusieurs collections n’ont pas convaincu, j’ai failli plusieurs fois déposer le bilan… Mais cela fait partie de l’existence et pouvoir surmonter ces moments pénibles vous donne un regain inattendu. Je savais que j’étais toujours capable d’exercer ma profession, j’adore bosser et j’ai suffisamment appris chez les autres pour disposer ensuite d’un savoir-faire technique probant. Selon moi, l’astuce qui permet de garder la tête hors de l’eau repose sur le fait de pouvoir s’imposer sur la durée.  »

Sans oublier la fidélité des détaillants et des clientes. Nathalie, née sous le bleu ciel de Cannes, la cité du 7e art, compte en effet une belle brochette d’actrices parmi ses fans. Sa mère, championne de tennis de la Côte d’Azur, frappait la balle avec des pointures comme Rita Hayworth ou Sophia Loren tandis que dans les vestiaires du Carlton, là où se trouvait le club, les robes du soir de ces dames attendaient sagement.  » J’ai baigné très tôt dans cet univers de glamour, de chic absolu.  » Du coup, Mathilde Seigner, Arielle Dombasle, Aurore Clément, Catherine Jacob, Agnès Jaoui, etc. sont des ambassadrices, des muses et surtout, des amies qui l’ont toujours soutenue, même quand son business battait de l’aile.

Forte aujourd’hui de 350 points de vente, Nathalie Garçon a d’ailleurs augmenté son chiffres d’affaires de 65 % entre l’hiver 2001 et l’hiver 2002 (1).  » Quand j’étais dans la mouise, j’ai cherché des gens vers qui me rapprocher. J’ai vu des banquiers, des Japonais, des gros et moyens groupes… chaque fois, je tournais les talons. Et soudain, miracle : j’ai rencontré des interlocuteurs capables de travailler à l’instinct, sur le produit, sans vouloir me voler mon nom ni tout sacrifier au marketing.  »

Depuis 1999, la créatrice s’est en effet associée au groupe industriel français Garella, fondé dans les années 1970.  » Ils m’ont laissé carte blanche, m’encourageant à faire ce que j’aimais et à conserver ma niche. C’est rare, j’ai eu énormément de chance de tomber sur eux. A la limite, je dois les freiner parce qu’ils veulent investir sans cesse dans le développement de mon label. Gag, non ? »

Nathalie est décidément une personne qui a de l’étoffe. Avec le soutien de Garella, elle ouvre, en l’an 2000, sa première boutique éponyme Galerie Vivienne ( NDLR : datant de la première moitié du xixe siècle, ladite galerie exhale un charme à la fois désuet et intemporel), à Paris. Plutôt que d’en confier l’aménagement à tel ou tel architecte en vogue, elle a préféré chiner des pièces anciennes pour habiller son lieu. Résultat ? Des meubles coup de c£ur et une déco intimiste qui invitent le chaland à s’affaler dans d’immenses canapés en sirotant une tasse de thé.  » Aujourd’hui, la plupart des boutiques ressemblent à des McDonald’s de luxe. Moi, je n’ai jamais eu envie d’avoir deux magasins semblables en tout point. J’estime que chaque ville possède des spécificités, des richesses et une identité propre. Alors, quand je vois cette uniformisation galopante des marques et de leur environnement, je deviens dingue.  »

Joignant l’acte à la parole, Nathalie Garçon s’apprête à ouvrir rue Bonaparte sur la rive gauche. Là, l’esprit boudoir prédomine, vu l’étroitesse du lieu. Et l’identitaire primera sur la répétition et la redondance. Parce que chez Nathalie Garçon, on s’habille d’abord pour soi, pour se faire plaisir ou, à la limite, se mettre en scène.

Marianne Hublet n

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content