Le créateur irlandais est le chouchou du moment. Non content de faire asseoir Anna Wintour au premier rang de ses shows londoniens, il a marqué un sans-faute pour son premier défilé chez Loewe. Portrait d’un ambitieux aux nerfs d’acier.

Avec ses cheveux en bataille, ses grands yeux bleus et son look d’éternel adolescent – jeans délavé et tee-shirt blanc dépassant du petit pull Céline -, qui le font ressembler à James Dean, son idole, on lui donnerait presque le bon Dieu sans confession. Surtout quand il nous apparaît nimbé de soleil dans les nouveaux bureaux parisiens de Loewe, rue Bonaparte, avec l’église Saint-Sulpice en toile de fond. Quelques minutes plus tôt, pourtant, on avait hésité à pousser la porte de ce même bureau rugissant au son du heavy metal… Petite bouffée d’oxygène dans un agenda ultrachronométré ? Car, à 30 ans, Jonathan William Anderson est un jeune homme très occupé. Outre les six collections qu’il dessine pour son propre label, boosté en 2013 par un investissement massif venu de LVMH, le créateur irlandais a été chargé de dépoussiérer l’une des belles endormies du groupe de luxe : Loewe, vénérable maison espagnole spécialisée dans le cuir et fondée en 1846. Un échange de bons procédés, en somme.

Heureusement, ce petit prodige, qui s’est fait remarquer sur la scène londonienne par sa vision avant-gardiste et transgenre de la mode, possède une volonté de fer dans un corps de teen-ager.  » Je suis du signe de la Vierge, donc totalement « control freak », avoue-t-il en riant. Mais, quand je trouve des gens en qui j’ai vraiment confiance, je leur laisse toute liberté.  » Le styliste français Benjamin Bruno (Vogue Paris), le jeune photographe britannique Jamie Hawkesworth et le duo star de graphistes parisiens M/M l’ont ainsi aidé à construire, en une saison à peine, la nouvelle image, sensible et ultramoderne, de Loewe. Un  » paysage culturel « , comme il l’appelle, peuplé de jeunes gens en slip de bain s’ennuyant à la plage (reprise d’une série de Steven Meisel pour Vogue Italia, datant de 1997), de marins androgynes et de sacs – le nouveau Puzzle – shootés simplement, en gros plan.

Il faut dire que J.W. Anderson a été à bonne école, celle de la rigueur. Né à Magherafelt, en Irlande du Nord, il est le fils d’une prof d’anglais et de l’ex-capitaine de l’équipe nationale de rugby. Et, même s’il est le seul de la fratrie à ne pas manier le ballon ovale, il aime jouer – et surtout gagner – à sa manière. Son répertoire, c’est plutôt le chant, le théâtre, qu’il apprend au Conservatoire de la ville. Après le bac, il part suivre des cours d’art dramatique aux Etats-Unis, mais revient sans diplôme et sans le sou.  » J’ai compris que je n’allais jamais être un très bon comédien, mais cette formation m’a beaucoup servi par la suite, car, dans mon secteur, il faut savoir aussi se créer un personnage « , raconte-t-il avec un éclair de candeur. Le sien, il l’a construit pas à pas, par hasard aussi. Car, excepté un grand-père directeur de la création d’une firme de textile, rien dans son environnement campagnard ne le prédestinait à la sphère fashion.

Porosité des genres

C’est à l’adolescence qu’il commence à s’intéresser à la mode. Jonathan découpe et colle sur les murs de sa chambre des pubs de Gucci période Tom Ford, déniche dans un TK Maxx de Dublin, caverne d’Ali Baba des invendus griffés, ses premières pièces – dont un jeans en fausse fourrure de Jean Paul Gaultier resté à l’état de trophée -, s’enflamme pour Calvin Klein, Versace… Son expérience malheureuse d’acteur servira de détonateur. Obligé de rembourser ses parents, il trouve un job à Dublin au département homme du grand magasin Brown Thomas. C’est là qu’il est repéré par l’équipe de Prada. A Londres, Manuela Pavesi, bras droit de Miuccia Prada, le prend sous son aile. Tandis qu’il réalise le merchandising visuel des boutiques, elle l’initie à l’oeuvre de Pasolini et l’aide à faire naître le créateur qui sommeille en lui.

En 2008, J.W. Anderson lance sa marque de prêt-à-porter homme, à 24 ans. Son style ? Une touche de punk greffée dans le vestiaire masculin à coups de pulls en maille bizarres, de chemises à imprimés cachemire et col en caoutchouc, de jupes et d’autres emprunts à la garde-robe féminine, l’une de ses grandes obsessions.  » Pour moi, la véritable question a toujours été : qu’y a-t-il de plus moderne chez un homme ou une femme, sans considération de genre ? Nous avons été élevés avec l’idée que les vêtements ou les tissus avaient un sexe, comment peut-on encore penser comme cela ? Ma mode cherche à faire bouger ces repères « , explique ce grand admirateur de Christine Lagarde, directrice générale du FMI.

La porosité entre les genres est aussi à l’oeuvre chez Loewe, même si le nouveau DA n’oublie pas le cadre plus étroit de l’artisanat et du savoir-faire. Elle s’exprime à travers une silhouette plus simple, plus déstructurée et confortable, avec des jeans bruts à larges revers et des marinières en foulard de soie, bref des  » choses plus basiques mais pas toujours rassurantes  » pour les garçons. Et, pour les femmes, des pantalons oversize en cuir ceinturés à la taille, des robes en lin brut à liens coulissants en corde et des patchworks de peaux de couleurs, aussi visuels que des mobiles de Miró, aperçus lors de son premier défilé, présenté en septembre 2014 dans la cour de l’Unesco. Un paysage minéral et lumineux qui rappelait Ibiza, île inspiratrice où le jeune homme a longtemps passé ses vacances quand il était enfant.  » Il était urgent de moderniser le cuir, de le rendre plus aérien, explique-t-il. L’Espagne évoque pour moi la légèreté, la simplicité, une allure plus relax, loin des robes de flamenco ! Je travaille pour une marque de luxe et non pas pour un guide touristique.  »

Un travail d’équipe

J.W. Anderson ne parle pas un mot d’espagnol, malgré ses nombreux séjours dans la patrie de Don Quichotte. Mais, comme tout bon citoyen de la mode, il voyage aux quatre coins de la planète. Entre Londres, pour sa marque, Madrid, pour les usines de Loewe, l’Irlande et Paris, où se situe le siège de la maison. En attendant de trouver un appartement dans la capitale française, il vit Rive gauche, dans l’hôtel où son compatriote Oscar Wilde a fini ses jours… Même s’il adore la littérature, le créateur n’a pas vraiment l’étoffe du poète maudit. Le sens de l’image et du produit, oui.  » Pour moi, un sac est comme un meuble. Il doit vivre dans un certain environnement mais sa fonction demeure essentielle « , martèle-t-il. Et peu importe qu’Anderson ne sache pas coudre.  » Je ne suis pas un designer, mon rôle, c’est de donner la bonne direction artistique. Heureusement, je suis entouré de gens très talentueux, qui savent concevoir des vêtements et des accessoires. Ma force, ce sont mes équipes « , admet-il. Et une capacité de compiler, de digérer des images tous azimuts, en bon représentant de la génération d’Instagram.

 » Loewe, poursuit-il, a vécu et accompagné la révolution des transports, à la fin du xixe siècle. Aujourd’hui, à l’heure des réseaux sociaux, la véritable révolution, c’est l’individu et sa capacité de s’exprimer.  » Toutes les campagnes du label ne parlent que de cela. La dernière en date – deux garçons, presque des clones, s’embrassant tendrement – n’est autre qu’un selfie, avant l’heure, shooté par le photographe Steven Meisel jeune. Un message en faveur de la tolérance et de la liberté d’expression ?  » Les campagnes de Benetton m’ont beaucoup frappé quand j’étais ado, se souvient-il. On ne mesure pas à quel point leurs images étaient fortes et annonciatrices d’une nouvelle forme de communication, qui dépassait le cadre de la marque elle-même. C’est ce que j’aimerais faire moi aussi à mon tour.  »

En marge de l’ouverture d’une boutique, ce printemps, à Miami, le créateur a aussi signé une collection de sacs et de draps de bain avec le designer textile britannique John Allen. Sous les pavés… la plage, d’Ibiza ?

Par Charlotte Brunel

 » Un sac est comme un meuble. Il doit vivre dans un certain environnement mais sa fonction demeure essentielle.  »

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