Il revient en force après un siècle de mise à l’index. Sans constriction ni contrition, le corset devient la nouvelle icône du pouvoir féminin.

Un mot suranné se murmure à présent dans les cabines d’essayage :  » corset « … Cet appareil d’un autre temps, que toutes les petites filles ont rêvé de porter pour ressembler à la tumultueuse Scarlett O’Hara dans  » Autant en emporte le vent « , revient pour le bonheur des fashionistas. Après son apparition sur les podiums des défilés de haute couture, le corset a conquis la rue. Il se décline en ceinture de cuir, façon serre-taille à la Bagagerie, en robe du soir Dolce & Gabana, chez Chloé. Il a même trouvé sa place sur les cintres des chaînes populaires comme Morgan et H&M, qui proposent, à petit prix, des ersatz du genre bustier à baleines. De la bague  » Corset  » en diamants signée Lorenz Bäumer, aux escarpins à rubans évocateurs d’Azzedine Alaïa : le laçage est dans l’air. Une réhabilitation qui ravit Hubert Barrère, Sylviane Nuffer et les héritiers d’Alice Cadolle, grands maîtres corsetiers à Paris. Tous conçoivent depuis peu des lignes contemporaines, afin que les citoyennes de ce siècle arborent des gorges magnifiques surmontant des tailles de guêpe. Mais le corset new-look, qui s’exhibe le plus souvent, n’a rien à voir avec l’instrument constricteur dans lequel les élégantes s’enserraient à la fin du XIXe siècle : certes, leur taille rétrécissait, mais au prix d’une déformation du squelette, d’une descente d’organes, d’une compression de la cage thoracique qui provoquait des évanouissements. Heureusement, les matières actuelles améliorent le confort, et, surtout, il n’est plus question de s’asphyxier à la première émotion. Cependant, le corset est toujours conçu dans un tissu assez rigide soutenu par des baleines, et épouse étroitement le buste. Parfois, une lame de métal, appelée busc, est rajoutée devant afin d’aplatir le ventre.

Ce sont d’abord les grands couturiers qui ont sorti cette lingerie de sa quarantaine. Personne n’a oublié le provocant corset doré de Madonna, réalisé par Jean Paul Gaultier, pour sa tournée en France, en 1990. Mugler, Lacroix, Ungaro, John Galliano pour Dior, Alexander McQueen pour Givenchy, Stella McCartney pour Chloé et, depuis deux ans, presque tous les autres créateurs l’introduisent dans leurs collections souvent comme tenue de soirée.  » Il rejoint la famille de ces dessous délaissés qui, n’étant plus utilisés comme tels et ayant donc perdu leur charge érotique, peuvent changer d’identité et accéder dans les garde-robes à une visibilité de bon aloi, sans violer un tabou « , analyse Farid Chenoune, auteur du livre  » Les Dessous de la féminité  » (1).

Poupie Cadolle, héritière de quatre générations de corsetières, tient au respect de l’architecture classique du corset. Elle a ressuscité cet objet que son aïeule, Herminie, avait banni afin de libérer les femmes, en le remplaçant par le  » corselet-gorge « , l’ancêtre du soutien-gorge dont elle avait déposé le brevet en 1889. Elle a dû se plonger dans les archives pour retrouver les techniques anciennes oubliées. Aujourd’hui, cette spécialiste réalise des pièces sur mesure (de 914,69 euros à 1 219,59 euros) et sa collection diffusion comprend 120 modèles (à partir de 457,35 euros).  » Cette année, c’est le boom total, affirme-t-elle. Pour la sortie du film « Moulin Rouge » en Allemagne, les boutiques voulaient toutes exposer des corsets en vitrine.  » Ce retour après un siècle de proscription ne surprend par les créatrices Sylviane Nuffer.  » Les femmes ont envie d’exprimer leur féminité après la mode androgyne des années 1980, explique-t-elle. Et le corset sublime si bien le corps féminin ! »

Dans sa boutique, des jeunes filles craquent pour une pièce en jean (à partir de 228,67 euros), qu’elles portent ostensiblement comme un débardeur alors que leurs mères préfèrent un modèle en agneau plongé et en renard pour le soir. Catherine Mogenet, corsetière pour le théâtre, travaille de plus en plus pour de futures mariées. Madonna – encore elle – a dit  » oui  » dans une création d’Hubert Barrère pour Stella McCartney. Et l’ex-Spice Girl Victoria Beckham a fait appel à Mr Pearl, un fou de corsets (il en porte un lui-même jour et nuit). Il évolue dans le monde souterrain du fétichisme, dont se démarquent la plupart des créateurs français.

Pourtant, porter ce  » dessous-dessus  » glamour n’est pas tout à fait anodin.  » Il est évident que beaucoup de femmes tirent une sensation de pouvoir du fait de revêtir quelque chose d’aussi ouvertement sexuel « , explique Caroline Cox, dans son ouvrage  » Lingerie  » (2). Spécialiste de l’histoire culturelle de la mode, elle considère que cet ancien symbole de l’oppression des femmes est devenu, dans la culture populaire,  » une icône du pouvoir féminin « . Une analyse que partage le couturier Hubert Barrère :  » Décider de porter quelque chose qui représentait l’enfermement de la femme est un acte fort, c’est s’affirmer.  » Tout en travaillant pour les plus grands (Lacroix, Gaultier, Galliano, McCartney, McQueen…), Barrère a lancé sa ligne de prêt-à-porter en 1996 et a créé, cet hiver, sa première collection haute couture de corsets colorés, perlés, brodés, expression de liberté. Il parie sur le fait que ce vêtement va s’installer en tant qu’accessoire.  » En quatre siècles, il a été porté dans toutes les couches sociales et n’a connu qu’une éclipse de cent ans « , note-t-il. Mais, surtout, si le corset retrouve un second souffle, c’est que les femmes, elles, ne manquent pas d’air.

Carnet d’adresses en page 83.

(1)  » Les Dessous de la féminité. Un siècle de lingerie « , Farid Chenoune, Assouline.

(2)  » Lingerie. Langages du style « , Caroline Cox, Editions du collectionneur.

A lire aussi :  » Mille Dessous, histoire de lingerie « , Gilles Néret, Taschen.

Nathalie Tiberghien

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