Sous l’impulsion des couturiers, des créateurs et de la grande distribution, il s’émancipe de ses codes, se démocratise. Et, du solitaire à la rivière, s’offre toutes les fantaisies.

Drôle d’endroit pour une rencontre. Au bord de la roseraie du Jardin des Plantes, à Paris, la galerie de minéralogie du Muséeum national d’histoire naturelle est, jusqu’au 15 juillet prochain, la plus grande chambre forte de France. Plus de 3 000 pierres brutes, une centaine de joyaux et 25 des plus beaux diamants au monde scintillent derrière les vitrines blindées. Le Pacha d’Egypte, le Mouawad-Mondera et le Tavernier côtoient l’?il du Tigre, le Sancy du Louvre, le Taylor-Burton, le Tiffany et la fameuse Etoile d’Afrique du Sud. Des millions de carats.

A l’origine de cette exposition unique (1), une curieuse association. Celle de deux chercheurs enthousiastes, Hubert Bari, minéralogiste, et Violaine Sautter, directrice de recherche au CNRS, avec Robert Mouawad, mécène pour l’occasion. Naviguant de Londres à l’Arabie Saoudite, cet héritier d’une lignée de joailliers, libanais d’origine, a vu passer entre ses mains les plus célèbres pierres. Il prête  » momentanément  » quelques-uns de ses trésors pour réaliser ce qu’aucun musée d’Art déco n’a jamais entrepris :  » Retracer l’histoire de l’art au travers de l’histoire naturelle, des origines de la terre à l’écrin « , selon l’ambition d’Hubert Bari. A l’heure où les magazines commentent à longueur de lignes le retour du luxe, Pierre Haquet, président de Chaumet, confirme que  » le diamant redevient furieusement à la mode « .  » Il profite de la reprise économique internationale « , renchérit Hubert Lapipe, responsable d’études de marché à la Société 5. Ses ventes ont augmenté de 35% au cours des trois dernières années (le nombre de carats de 53%) et dépassaient, pour l’année 2000, les 37 milliards de francs. Il bénéficie également d’une communication performante menée, notamment, par la firme sud-africaine De Beers, qui occupe 60% du marché international. Son slogan,  » Le diamant est éternel « , est connu du monde entier.  » Depuis toujours, le diamant symbolise, tout à la fois, l’amour idéal, le mystère, le feu intérieur, la perfection et l’indestructibilité « , souligne le psychanalyste Philippe Grimbert. Transmis de génération en génération, il est le fil conducteur de l’histoire familiale.

Mais, fait nouveau,  » il s’émancipe de ses codes et de la sempiternelle bague de fiançailles « , note Pierre Rainero, directeur de la création chez Cartier.  » Aujourd’hui, une femme s’achète un diamant comme elle choisit un sac, constate la publicitaire Madeleine Danielsson. Elle n’attend plus le cadeau du mari et ne s’abrite plus derrière l’alibi de l' »investissement ». Débarrassée de sa culpabilité, elle assume son plaisir personnel. » Désormais accessible.

Car la pierre précieuse se démocratise et, avec elle, la célèbre place Vendôme.  » La clientèle haut de gamme se raréfiant, les grandes maisons se sont adossées à des groupes financiers, ont transformé leur manière de créer et de vendre « , remarque l’historienne de l’art Marguerite de Cerval, directrice de publication du  » Dictionnaire international du bijou « . Les dynasties Chaumet et Mauboussin ouvrent leurs portes, simplifient leur accueil et élargissent leurs gammes. Boucheron a ainsi présenté, cet hiver, une ligne Pointe de diamant, dont certaines pièces démarrent à quelque 180 000 F.

En outre, le marché s’est, depuis dix ans, élargi sous l’impulsion de nouveaux venus. A commencer par les couturiers. Le pionnier, Chanel, a réussi son incursion. En 1999, Dior l’a rejoint et, sous la houlette de Victoire de Castellane, épate par son anticonformisme (lire aussi Weekend Le Vif/L’Express du 25 mai dernier). Leur succès a suscité des vocations : Balmain, Torrente, Rochas, Gucci et Versace font partie des émules. La grande distribution s’en est également mêlée, forte de son credo habituel : le meilleur choix au plus bas prix.  » La vente de diamants, en France, restait confidentielle : la place Vendôme demeurait inaccessible et, à Paris comme en province, aucun bijoutier n’osait remettre en question produits en marketing. Nous avons conquis une nouvelle clientèle  » , explique Michel-Edouard Leclerc, président de la chaîne d’hypermarchés qui, en 1986, installait au centre commercial de Toulouse son premier Manège à bijoux. En 1994, Tati, à son tour, se place sur le marché. Sous l’enseigne Tati or, le distributeur a ouvert 20 boutiques, dont une, il y a trois ans, à deux pas de la place Vendôme.  » Chez les grands, on se crée des envies, sourit une cliente, ici, le rêve devient réalité…  »

A 30 ou 40% moins cher.  » On désacralise la place Vendôme, on lui apporte de l’air frais, on la remet à la mode « , conclut Victoire de Castellane, qui, avec une seconde boutique de joaillerie Dior, rejoint le fameux périmètre.  » Ces nouvelles enseignes ne représentent pas une menace réelle pour nous, observe Pierre Haquet, de Chaumet. Nos clients ont une culture de marque. Nous demeurons, pour eux, un symbole de distinction. » Mieux.  » Elles initient un public qui se tournera ensuite vers nos produits plus prestigieux « , se félicite Annie Di Vincenzo, directrice de la joaillerie chez Boucheron.

La création, elle aussi, sort de son écrin. De jeunes artistes, élevés hors du sérail, imposent leur style sans rien renier des règles de l’art et de la technique. La firme De Beers, la première, a lancé à leur intention le Diamonds Awards, une compétition internationale qui est à la joaillerie ce que les oscars sont au cinéma. Les centres Leclerc ont suivi : 150 candidats se sont précipités à leur dernier Concours des nouveaux créateurs de bijoux, présidé par Andrée Putman. Certains se sont fait un nom : Amal, Ann Gérard, Patrice Fabre, Daniela Baumgartner, Xavier de Fraissinette, Hervé Lanternier, Jean Christophe, Olivier Grammatico, David Vangelder, Annette Girardon ou encore Isa Parvex. Ils possèdent aujourd’hui leur boutique où sont accueillis dans les galeries Aurus, Look 16 ou Reine Margot.

Est-ce l’influence de ces  » jeunots « ?  » Autrefois, le bijou représentait le pouvoir et se devait d’être lourd. Aujourd’hui, il se fait jeu, plaisir, il est ludique et léger « , s’enthousiasme Rosemarie Legallais, directrice artistique de la marque Daniel Swarovski, cristallier de renom qui, profitant de la vague, aligne des chiffres records avec une croissance de 75% de ses ventes pour l’année 2000.  » Le serti sur griffes est dépassé et le serti clos de rigueur, remarque Isabelle Libersac, responsable de la communication du Centre d’information du diamant. La pierre affirme mieux sa transparence. »

Leclerc et Tati s’inscrivent dans la tendance, prenant soin de ne vendre que des pierres naturelles ou améliorées traditionnellement comme l’exige le décret de novembre 1968 réglementant la classification des pierres précieuses.  » Une question de crédibilité « , confie Laurent Fargeon, président de Verlor, licence exclusive de Tati or, dont les solitaires et alliances serties de diamants font fureur. Si l’or blanc et le platine sont de nouveau à l’honneur, les diamants de couleur (jaune, vert, rouge) suscitent également l’engouement. La fantaisie essaime, un nouveau baroque pointe.

Toutes les associations sont autorisées. Mauboussin, précurseur, avait eu recours à la nacre. Aujourd’hui, Fred et les autres mélangent le diamant au cuir, au caoutchouc, au bois et aux pierres semi-précieuses. Chez Gucci, on préfère le simple et sexy. Boucheron, lui, propose les extrêmes : une ligne gourmande, tàpe-à-l’oeil, qui répond à la demande américaine. Une autre, discrète et sophistiquée,  » très française « . Pour Dior, Victoire de Castellane saupoudre ses colliers de diamants, telles des gouttes de rosée sur une toile d’araignée. Chez Cartier et Chaumet, les pierres se balancent sur de fines branches, les rivières coulent portées par le courant. Celui de la légèreté, de la fantaisie et du luxe assumés.

(1)  » Diamants, au coeur des toiles, au coeur de la terre, au coeur du pouvoir « , Muséum national d’histoire naturelle, galerie de minéralogie, Paris (Ve). Jusqu’au 15 juillet.

Geneviève Lamoureux et Marion Vignal

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