Le luxe à nos pieds: créer ses propres et uniques sneakers

L'alphabet des sneakers: dans divers coloris et matières, ces pièces permettent des milliers de combinaisons. © SDP / LEONARDO SCOTTI

En cette ère où l’individualisme est roi, il est sans cesse plus difficile de définir des groupes cibles et des segments de marché: chacun de nous est unique… et mérite donc du sur mesure.

Cuir de veau ou alligator, et pourquoi pas les deux? Jaune canari, rouge ou orange? A moins que le vert… Unies ou décorées d’une double ligne classique sur le côté? Mais de quelle couleur, alors? Et nos initiales, brodées à l’arrière? On peut dire que Now Yours Run Away, la nouvelle ligne de sneakers complètement personnalisables de Louis Vuitton, a donné le tournis à plus d’un consommateur indécis. Alors qu’avant, le luxe consistait à ne pas devoir réfléchir et à se faire servir ses rêves sur un plateau d’argent, désormais le must est plus de pouvoir, soi-même, façonner ses désirs jusque dans les moindres détails. Quitte à se prendre la tête, tant les choix sont infinis. Pour la récente gamme de baskets du malletier français, on dénombre ainsi pas moins de treize zones customisables, des semelles aux talons en passant par la languette et les lacets, avec un choix de neuf teintes et quatre motifs, déclinant ou non le Monogram. Quelques clics pour indiquer ses préférences et l’objet finalisé apparaît sur le smartphone du shoes addict, qui recevra sa création unique sept à onze semaines plus tard.

Le luxe à nos pieds: créer ses propres et uniques sneakers
© SDP/KEVIN TACHMAN

Revoir la chaîne

Il aura en réalité fallu plus d’une centaine d’années à la fabrication de masse industrielle pour passer de la première chaîne de montage, inventée par la Ford Motor Company vers 1910, à une offre individualisée comme on en voit sans cesse davantage aujourd’hui. A l’origine, l’accent était en effet mis principalement sur l’uniformité, l’efficience et un vaste réseau de distribution, avec à la clé un choix fatalement limité. Après la Seconde Guerre mondiale, plutôt que se borner à satisfaire nos besoins primaires, les entreprises ont commencé à nous faire avoir envie de choses dont nous n’avions pas d’emblée l’utilité. Elles sont parvenues – notamment à coups de campagnes publicitaires – à nous convaincre que ces objets pourraient peut-être combler un vide dans notre existence, qu’ils nous rendraient heureux. Et c’était souvent vrai, même si ce bonheur était éphémère. C’est dans cette suite logique que vient s’inscrire la personnalisation d’articles: une manière efficace de développer et renforcer des relations privilégiées avec la clientèle, de gagner sa fidélité… et dès lors de s’assurer un chiffre d’affaires et des bénéfices en croissance. Dans notre société très individualiste, les segments et les secteurs de niche ont peu à peu cédé du terrain: actuellement, chaque consommateur est un marché en soi – un « market of one », comme on dit dans le jargon du marketing. Et Instagram en est un excellent miroir: chaque fil est unique jusqu’à la moindre publicité.

Actuellement, chaque consommateur est un marché en soi.

Précisons au passage que personnalisation et customisation sont deux notions différentes. La première désigne une manière de rendre les interactions entre un label et son public plus attrayantes, plus simples et plus rapides et d’améliorer ainsi la satisfaction de ce dernier. Cela passe parfois par des mesures basiques: s’adresser aux clients par des mails nominatifs, adapter le site Web à chacun… C’est par exemple le cas de Netflix qui concocte pour ses téléspectateurs un menu de séries et films sur mesure. La customisation, elle, va plus loin et donne la possibilité aux consommateurs de modifier un produit ou service. On peut citer ici l’exemple de Bandersnatch, l’épisode interactif de Black Mirror diffusé il y a quelques mois par l’entreprise télévisuelle américaine, ou celui des cannettes de Coca-Cola dont le logo pouvait être remplacé par un prénom.

Le cuir de veau est découpé et assemblé à la main, dans les ateliers Louis Vuitton, à Fiesso d'Artico, en Italie.
Le cuir de veau est découpé et assemblé à la main, dans les ateliers Louis Vuitton, à Fiesso d’Artico, en Italie.© SDP / LEONARDO SCOTTI
Le cuir de veau est découpé et assemblé à la main, dans les ateliers Louis Vuitton, à Fiesso d'Artico, en Italie.
Le cuir de veau est découpé et assemblé à la main, dans les ateliers Louis Vuitton, à Fiesso d’Artico, en Italie.© SDP / LEONARDO SCOTTI

Dans la même veine, Zozotown, une société qui représente au Japon près de 50% de l’e-commerce dans le secteur de la mode, a testé ces dernières années un système de « combinaison intelligente » que les clients pouvaient commander gratuitement. L’idée était qu’ils se prennent en photo avec ce maillot à pois et transfèrent le résultat à Zozotown via une appli, les données ainsi obtenues devant permettre de leur livrer des articles parfaitement adaptés à chacun. Dans les faits, les résultats n’étaient toutefois pas toujours à la hauteur des espérances. The Economist a publié l’histoire d’un journaliste qui avait voulu tester l’idée… et avait reçu des vêtements mal ajustés au point d’en être ridicule. D’énormes retards ayant en outre été accumulés, l’expérience « zozosuit » a fini par être clôturée et le cours en Bourse de la boîte a fait le grand plongeon… Mais il y a gros à parier que quelqu’un réussira un jour ce défi de concevoir des pièces textiles sur mesure à moindre coût et de manière 100% automatique.

Valoriser l’artisanat

Car aujourd’hui, grâce aux possibilités offertes par le traitement des données, les algorithmes et l’intelligence artificielle, la personnalisation n’est plus l’apanage de quelques pionniers. Aux côtés des maisons de luxe, les marques « de masse » aussi ont désormais la possibilité de traiter chaque client comme s’il était un marché individuel. « Nous devons réfléchir aux moyens de préserver l’avantage que nous assure l’interaction personnelle avec les clients dans un contexte où tout le monde peut leur offrir ce type d’expérience », réagissait récemment Ian Rogers, chief digital officer chez LVMH, dans le New York Times. Et les sneakers Now Yours Run Away sont un bon exemple de cette vision, avec un service proposé de longue date par bien des labels de sportswear ou de streetwear – et dont Nike a été l’un des pionniers avec Nike ID… mais élevé au rang haut de gamme par une approche artisanale et des matériaux exceptionnels.

Le cuir de veau est découpé et assemblé à la main, dans les ateliers Louis Vuitton, à Fiesso d'Artico, en Italie.
Le cuir de veau est découpé et assemblé à la main, dans les ateliers Louis Vuitton, à Fiesso d’Artico, en Italie.© SDP / LEONARDO SCOTTI
Le cuir de veau est découpé et assemblé à la main, dans les ateliers Louis Vuitton, à Fiesso d'Artico, en Italie.
Le cuir de veau est découpé et assemblé à la main, dans les ateliers Louis Vuitton, à Fiesso d’Artico, en Italie.© SDP / LEONARDO SCOTTI

La récente ligne du malletier est en effet confectionnée avec soin dans les ateliers de Louis Vuitton, installés à Fiesso d’Artico, au bord du fleuve Brenta qui relie Padoue à Venise. Avec quelque 88 usines, 209 fournisseurs de composantes et plus de dix mille ouvriers, la région constitue le pôle principal de réalisation de souliers de luxe au monde. L’endroit est également un cas d’école illustrant l’évolution d’une activité artisanale vers une chaîne fordienne, avant d’en venir, dans un troisième temps, à une customisation poussée des articles. Tout débute avec Giovanni Luigi Voltan, fils d’un artisan-cordonnier de Stra qui émigre en 1886 à Boston, où il travaille pendant deux ans dans une usine de chaussures automatisée. De retour au pays, il y crée la première usine industrialisée, basée sur des machines américaines et allemandes, où il produit des bottines amphibies à usage militaire et des gants de boxe. En 1904, son entreprise sort déjà un millier de pièces par jour, un chiffre spectaculaire pour l’époque. Dix ans plus tard, elle possède un réseau de boutiques dans tout le pays. Au sortir de la Première Guerre mondiale, l’Italie passe pour débiter davantage de chaussures que tous les autres pays d’Europe réunis, notamment en tant que fournisseuse des grandes enseignes françaises.

Une manière efficace de développer et renforcer des relations privilégiées avec la clientèle.

Entre-temps, la globalisation est cependant venue changer la donne: à en croire le site Internet The Fashion Law, de grandes maisons, de Prada à Gucci, font aujourd’hui fabriquer les composantes de leurs souliers dans des pays comme la Roumanie, la Serbie, la Slovénie ou la Chine, seul l’achèvement étant encore réalisé dans la Botte… ce qui suffit, en vertu de la législation européenne, pour que le produit fini bénéficie du sceau du « Made in Italy ». Certaines griffes craignent toujours que leurs clients ne s’offusquent de voir leurs accessoires, s’inscrivant sur un segment de prix (très) élevé, conçus ailleurs qu’en Italie ou en France. Même si, là aussi, la règle est en train de changer. Pour preuve, après quelques saisons, les très populaires baskets Triple S de Balenciaga ont troqué leur référence italienne pour une étiquette « Made in China ».

Le fournisseur local de Fiesso avec lequel Louis Vuitton collaborait à l’origine a depuis lors été racheté puis développé par la marque française, ce qui fait de celle-ci l’un des rares labels de luxe à disposer de sa propre manufacture transalpine. Inauguré il y a une dizaine d’années, le bâtiment est moderne et lumineux, avec des oeuvres d’Andy Warhol aux murs et un jardin intérieur égayé de sculptures. Il abrite quatre ateliers où travaillent environ quatre cents personnes. Si la majorité sont encore jeunes, certains employés peuvent se targuer d’avoir de longues années de service. Imaginés à Paris, les croquis et idées sont ensuite transformés ici. « Customiser des chaussures n’est pas évident, explique le directeur de la manufacture tandis que derrière lui, un apprenti enduit des semelles de pâte de liège. Il faut travailler en temps réel et on ne peut s’y mettre que lorsqu’une commande arrive. En plus, les clients ont la possibilité d’opter pour plusieurs milliers de combinaisons, ce qui n’est pas du tout habituel dans un processus industriel. » D’après lui, les Now Yours Run Away pourraient se décliner en plus d’un milliard de variantes: « Il y a trois cents possibilités rien que pour la semelle extérieure », insiste-t-il avec une fierté non dissimulée. Le luxe, no limit.

louisvuitton.com, à partir du 26 mars. Disponible uniquement en ligne, en Belgique, et dans certaines boutiques de par le monde.

Pimp it up

CP Company a lancé ce 4 mars son Bespoke Colour Service, un programme de « teinture sur mesure » permettant de faire réaliser son sweat à capuche Goggle, dans la nuance Pantone de son choix. Le tout en deux semaines chrono.

www.cpcompany/cpbc

Vans propose une douzaine de modèles customisables en ligne, avec possibilités de choisir divers coloris et motifs… ou même d’imprimer ses propres visuels sur les chaussures.

www.vans.be

Ermenegildo Zegna a initié, en janvier, My Cesare, une ligne de baskets personnalisées. Au menu, plusieurs milliers d’options à sélectionner via une appli dans les boutiques du label, sur le site Farfetch ou via WeChat.

www.zegna.com

Oakley dispose d’un vaste programme de customisation online pour ses lunettes de soleil futuristes, avec possibilité de modifier le coloris de la monture mais aussi des verres.

www.oakley.com

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