Après le retour de l’esthétique eighties dans les années 2000, la décennie fraîchement entamée va-t-elle consacrer la résurrection du grunge, de l’Italo dance et d’un minimalisme modeux vaguement dépressif ? Premiers éléments de réponse.

C’est une règle a priori opaque et fumeuse comme une prévision de bureau de tendances : dans le lifestyle, il est actuellement admis que, tous les vingt ans, le cycle de la mode fait son £uvre, revalorisant l’esthétique en vogue deux décennies plus tôt. En termes de marketing, la logique a pourtant tout son sens : surfant sur la nostalgie de la jeunesse qui s’empare de nos contemporains une fois passé le cap de la trentaine, les marques et toute l’industrie de l’entertainment profitent de cet état de relative fragilité émotionnelle (c’est vrai qu’on va tous mourir ?) pour activer le désir de ces masses de consommateurs au pouvoir d’achat tout frais – ils ont en général terminé leurs études, trouvé  » une bonne place « , ébauché l’idée d’une famille, voire même déjà acheté un monospace. Arme de séduction massive, le revival prolonge alors la douce impression que le temps n’a que peu de prise sur eux : leur style, leurs goûts, ils en sont convaincus, restent vigoureusement modernes. C’est ainsi que dans les années 2000, ceux et celles qui avaient 18 piges aux riches heures de la new wave furent bien rassurés de constater qu’une meute de petits groupes de rock adulés des djeuns (Interpol, Editorsà) pillaient allègrement la bande-son de leurs premières boums et que les stylistes (de Balmain à Zara) leur prescrivaient de ressortir épaules pagodes et manches chauve-souris de leur vieille garde-robe en osier. Si la vague eighties n’a pas fini de déferler dans nos oreilles (reformation de a-ha, Spandau Balletà) et dans nos vestiaires (preuve brillante avec la collection Versace Homme automne-hiver 10-11 inspirée du film Tron de Steven Lisberger), la machine à remonter le temps est à l’£uvre, rendant imminent un come-back des années 90. Déjà en route à bien des égards, d’ailleurs. Indices.

1. La panoplie grunge

Né à Seattle au début des années 90, le grunge – charmant vocable désignant les champignons nichés entre les orteils – caractérise un style de musique punk-hippie désabusé maugréant au son de grasses guitares sur l’ennui d’exister et l’avenir bouché comme un ciel de novembre. Malgré une durée de vie limitée – le suicide de Kurt Cobain (photo à gauche), chanteur de Nirvana, en avril 1994, en sonne le glas – dans l’imaginaire collectif, cet épiphénomène artistique reste un des moments marquants des nineties. Il faut dire que parà capillarité, l’allure de clodo magnifique des tenants du mouvement s’est largement diffusée, est passée à la moulinette de la récupération bourgeoise, allant jusqu’à signer la silhouette de toute une époque, faite de chemises de bûcherons, de boots dégingandées, de baskets pourries et de jeans usés comme un siècle finissant. Un retour est-il envisageable ? Au niveau musical, quelques groupes phares du genre refont parler d’eux : outre Pearl Jam, qui n’a jamais quitté le circuit commercial, Alice in Chains et Soundgarden se sont reformés cette année. Courtney Love, veuve de Cobain et accessoirement chanteuse de Hole a sorti un nouvel album au printemps. Quant aux Bush, chantres du néo-grunge FM, ils sont dans les bacs cet automne. Au niveau fringues, le jeans élimé fait son grand retour sur les podiums Homme et Femme (D&G, Ralph Lauren, John Richmondà). Pour rester dans le denim, la lourde tendance boyfriend jeans peut être vue comme une recrudescence du goût pour les coupes informes (un peu comme Dylan dans Beverly Hills 90210 version d’origine). Autre signe : la sexagénaire Doc Martens s’invite chez Jean Paul Gaultier, les grosses boots style combat shoes un peu partout comme chez Kris Van Assche, de même que la chemise à carreaux. Enfin : le grand gilet de papy comme en portait Kurt Cobain lors du célèbre concert MTV Unplugged de Nirvana s’incruste même chez Gucci (photo à droite) qui avait du reste choisi de diffuser Come As You Are en bande-son du défilé Homme automne-hiver 10-11. Quant à la barbe, elle passe de 3 à 15 jours. Mais tout cela se porte naturellement propre.

2. L’eurodance

Dans les années 90, quand on daigne sortir de sa piaule placardée de posters arrachés dans Rock Sound pour aller bouger son corps, le vaste catalogue délicieusement vulgaire de l’Eurodance s’ouvre à vous. Compositions faméliques au rythme implacable et parfaitement abrutissantes, les tracks des Corona, Gala, Dr Alban et autres Snap hantent encore vos souvenirs de soirées en boîtes où l’on fumait beaucoup, buvait pour rien et finissait par rouler des patins à des filles pro de la laque juchées sur des plateformes Buffalo. Après une baisse de régime due à des courants électro beaucoup plus inspirés allant de la House à la French Touch, on assiste à un retour massif de la dance très très haut dans l’Ultratop. On citera la Gaga (photo), naturellement, et le millionnaire blondinet David Guetta, nouvelle coqueluche du hip-hop américain, Black Eyed Peas en tête, dont il infecte les morceaux de benêts good good night. Plus près de chez nous, et avec la distance qui manque au mec à Cathy, Stromae s’empare de cette soupe populaire pour souligner l’ironie de sa démarche et de son discours. Au niveau vestimentaire, mesdemoiselles, vos Buffalo vous pouvez les jeter et votre laque la prêter à votre cousin kazakh.

3. Le supermodel

Elles s’appellent Naomi, Eva, Claudia, Linda, Cindy, Christy, Carla, Kate. Pas besoin de donner leur nom de famille, vous les avez reconnues. Dans les années 90, les supermodels, comme on appelle alors cette poignée de mannequins stars (photo à gauche), remplacent les actrices de cinéma dans le domaine du fantasme. Aujourd’hui encore, lorsqu’on demande à n’importe quel quidam de citer le nom d’un mannequin, c’est une d’entre elles qui gagne à coup sûr. Cette starification n’a pas survécu à la fin du siècle marquée sur les podiums par un défilé de filles de plus en plus jeunes et interchangeables. Malgré la relative notoriété et les salaires himalayesques des Gisele Bündchen, Adriana Lima et autres Jessica Stam, le phénomène semble tari et seules les reines des nineties sont capables de le faire revivre. Domenico Dolce & Stefano Gabbana ne s’y sont pas trompés, qui ont choisi Naomi Campbell, Eva Herzigova, et Claudia Schiffer comme égéries (photo à droite, de gauche à droite) d’une gamme de parfums lancée en 2009.

4. dorothée

Ce sera en quelque sorte la Chantal Goya des années 10. Après le come-back kitsch de l’interprète du Chat botté, Dorothée revient ! (photo à gauche) Avec nouvel album, tournée et tout et tout (elle sera au Cirque royal à Bruxelles, en novembre prochain après un triomphe ( sic) à l’Olympia, à Paris, en avril dernier). Du coup, même si Corbier a passé la barbe à gauche, on se met à rêver du retour du Club et de toutes les sitcoms AB Productions qui lui étaient liées. Le Miel et les abeilles, Salut les Musclés, Premiers baisers, Hélène et les garçonsà Aaaah, Crircri d’amourà Eh bien, on ne rêve pas tout à fait ! Une suite des Vacances de l’amour (déjà suite d’Hélène et ses boys) est en tournage à Paris depuis le mois de mai. Et vous savez quoi ? Même José est de la partie. Si.

5. Le boys band

Machine à faire hurler les midinettes, le boys band colore le paysage médiatique nineties de paroles sucrées et de chorégraphies consternantes. Côté douce France, ils s’appellent Alliage ou 2be3. Backstreet boys, East 17, Take That ou New Kids on the block (photo ci-dessus : en version vintage, photo à droite : en version 2010), côté anglo-saxon. Il y a les filles aussi, les inoubliables Spice Girls ou Destiny’s child. Le revival est déjà consommé : de un, les Take That, NKOTB et Spice Girls se sont reformés. Par ailleurs, les Jonas Brothers et, pour la touche XX, les Pussycat Dolls s’inscrivent en droite ligne de leurs mythiques aînés.

6. Le minimalisme

« La récession du début des années 90 a fait naître une réaction contre la consommation ostentatoire qui avait caractérisé la décennie précédente. (à) L’authenticité est le nouveau mot d’ordre  » ( La Mode au xxe siècle, par Valerie Mendes et Amy de la Haye, Thames & Hudson).  » Le règne du flashy, du too much, des yuppies, des golden boys, l’ère du fric et de la frime ne survivent pas aux années 80. L’affolement des marchés financiers, le krach de 1987, puis la guerre du Golfe marquent les limites de ce luxe par trop ostentatoire. Le spectre de la crise plane  » ( Modes, xixe-xxe siècles, par Catherine Ormen Corpet, Hazan). Remplacez 90 par 10, too much par bling-bling, crise parà crise et vous pouvez copier-coller ces commentaires à la mode d’aujourd’hui. Depuis quelques saisons, en effet, les collections de prêt-à-porter se caractérisent par un retour à l’essentiel, axé simplicité, neutralité chromatique et valeurs sûres et confort (photo à gauche : défilé Céline automne-hiver 2010, photo à droite défilé Hermès, printemps-été 1998). Les saillies fluo et excentriques qui émaillaient encore çà et là, dans un esprit très eigthies, le vestiaire des années 2000 sont passées à la trappe avec les subprimes et la chute de Lehman Brothers. La mode bégaie avec l’Histoire.

Par Baudouin Galler

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