Olivier Strelli s’apprête à souffler ses trente bougies de création. A cette occasion, le styliste belge a ouvert, en exclusivité pour Weekend, son album de famille. Pleins feux sur un homme convivial et comblé.

Avec lui, tons et matières se mettent à vibrer à l’instar des cordes d’un violon.  » J’ai besoin de soleil et de lumière « , déclare ce coloriste talentueux qui sait donner au vêtement une poésie, une bonne humeur et une chaleur capables d’enjoliver notre quotidien vestimentaire été comme hiver. Témoin la collection de cette saison où, entre audace et retenue, le style un peu rétro et un brin rustique est revisité par l’esprit contemporain. Des modèles à première vue intemporels acquièrent donc beaucoup de fantaisie : les tweeds, les tartans et les autres lainages traditionnels s’émancipent grâce aux teintes inattendues et aux traitements savants de la matière (carreaux écossais délavés et cloqués, tweeds traversés de lurex, invasion virtuose par la couleur franche de la palette automnale habituelle…).

Vêtements, chaussures, maroquinerie, horlogerie, optique, somptueuse literie et linge de lit ( » Olivier Strelli for Beka « ), collection cuir et daim, ligne sportswear STR démarrant cet automne, 26 boutiques éponymes et 500 points de vente de par le monde… Aujourd’hui, la griffe Olivier Strelli est un poids lourd de la mode belge et internationale, une griffe dirigée d’une main sûre par un optimiste pur jus, amoureux de la peinture, des livres d’art, du cinéma et… du twist.

De ces trois décennies au service du style, Strelli tire un bilan plutôt positif : beaucoup de travail, beaucoup de bonheur, ni remords ni regrets et un parcours qui, au lieu d’être chaotique, s’est révélé au jour le jour.  » Mon père me disait ; ce n’est pas le chemin qui fait l’homme mais l’homme qui fait le chemin. Je ne suis pas une sorte de stratège qui avait, en démarrant au début 1975, une vision précise de ce qu’il désire entreprendre. Je suis donc allé de l’avant, en m’ouvrant aux rencontres que j’allais faire et qui ont chaque fois été déterminantes pour moi. Quand je regarde en arrière, je suis satisfait de ce que j’ai réalisé.  »

Il y a trente ans de cela, Strelli se lance dans l’aventure du prêt-à-porter en proposant une série de chemises d’homme hautes en couleur. Au Salon du prêt-à-porter de Paris, il décide de superposer ses vêtements car il ne dispose que d’un stand minuscule. La chatoyance et la présentation originale des produits remportent un succès immédiat : les chemises et les  » sur-chemises  » coordonnées d’Olivier Strelli se vendent comme des petits pains. Dans la foulée, il crée sa société Nissim SA :  » En 1976, j’avais comme clients le top des boutiques telles que Saks Fifth Avenue, Barney’s, Harrod’s, Harvey Nichols, etc. J’ai alors décidé de développer ma collection masculine puis de lancer une ligne femmes en 1979. A ce moment-là, j’ai ouvert ma toute première boutique à Saint-Tropez qui cartonne toujours autant en 2004 !  »

Dès son premier défilé parisien en 1981,  » le Belge  » comme on l’appelle là-bas, fait sensation : il est le seul créateur du plat pays a véritablement installer sa notoriété hors frontières, se forgeant ainsi une image de marque et un style tout à fait à part.  » Cette année-là, j’ai d’ailleurs présenté mes modèles hommes et femmes rue Quincampoix, au Centre Wallonie-Bruxelles. Quelle poussée d’adrénaline, l’organisation de ce show ! Je me rappelle également celui organisé à la Galerie Paradis en 1998 ; j’avais choisi des jumeaux comme mannequins et l’un d’eux s’est endormi sur le podium : tout le défilé, baptisé Dreamwalker, figurait un rêve à l’issue duquel le mannequin se réveille. C’était superbe.  »

A l’époque, la Fédération belge de l’Habillement et l’ITCB, sous l’impulsion de la dynamique Héléna Ravijst, s’apprêtent à faire connaître, auprès de nos concitoyens et des acteurs étrangers de la mode, la valeur de l’allure  » made in Belgium « . Aux côtés des maisons Cortina et Rivoli, des créatrices Nina Meert et Maggy Baum, Olivier Strelli est naturellement très impliqué dans ce projet où s’insèrent notamment la célèbre campagne  » Mode c’est Belge  » et le concours de la Canette d’Or, récompensant les jeunes talents belges. L’ITCB ayant proposé aux marques phares et aux fabricants belges de travailler de conserve avec de jeunes créateurs, c’est l’énigmatique Martin Margiela qui viendra aiguiser ses crayons chez Strelli et y verra sa collection produite.  » Au début des années 1980, j’avais déjà un coquet chiffre d’affaires ; je réalisais des vêtements et je savais que je n’étais pas un créateur de mode dans le premier sens du terme. Mais je suis un homme prévoyant : les initiatives de l’ITCB entendaient donner à la Belgique une certaine image. Bien sûr, cette image déboucherait notamment sur la venue, chez nous, des acheteurs internationaux dont, en tant que fabricant belge, j’allais aussi pouvoir profiter.  »

Et si, d’un coup de baguette magique, cet homme d’affaires aguerri avait l’opportunité de se retrouver trente ans en arrière ?  » Quelle chance ! Cela dit, je ne sais pas si je suivrais exactement la même route, bien qu’il y ait des moments de ma vie que je ne modifierais pour rien au monde : l’une des choses les plus exceptionnelles qui me soit arrivée, c’est la rencontre avec mon épouse. Je suis marié depuis trente-cinq ans et je suis toujours aussi amoureux qu’au premier jour. Elle est parisienne d’origine et je l’ai rencontrée en Belgique lors du mariage d’une de ses cousines. Trois jours après, je retournais suivre mon post-graduat à la Economic London School de Londres, et elle s’y est également rendue avec sa mère. Du coup, on s’est beaucoup vus pendant ce week-end londonien et notre histoire a démarré comme cela… Je ne passerais pas non plus l’éponge sur mon passage en Afrique ; j’y ai des tas de souvenirs formidables. J’ai eu une enfance rêvée (NDLR : Olivier Strelli est né en 1946 au Congo belge à Lubumbashi, deuxième d’une famille de six enfants) et l’on formait, avec mes cousins, une sorte de fratrie géante. Tous les deux ans, par exemple, nous retournions en Belgique passer de super vacances à Knokke-le-Zoute. Je me rappelle aussi la naissance de mes jumeaux Mélissa et Olivier en 1971 à Kinshasa. En outre, c’est là que se situe la genèse de ma carrière puisque, au départ, je n’avais pas la fibre artistique.  » Olivier Strelli possède en effet un diplôme d’ingénieur textile décroché à l’Académie des Beaux-Arts de Tournai et travaillera d’abord en Afrique au sein d’une société britannique spécialisée dans les tissus de boubous.  » Mais l’ambiance, les couleurs et les matières locales m’ont fait une telle impression que j’ai commencé à dessiner des tissus et ensuite, je me suis lancé dans la mode.  »

Riche en réussites, le parcours de Strelli est émaillé de distinctions diverses, liées à l’univers de la mode (il obtient par deux fois le Fil d’Or à Monte-Carlo, une importante manifestation de mode européenne, et est nommé Maître du Lin) ou, plus largement, à son investissement personnel pour donner de la Belgique une image pleine d’allure (en 2002, le voici Officier de l’Ordre de Léopold II et en mai dernier, Ambassadeur du Tourisme de la Région Bruxelloise). A cela, ajoutez un carnet d’adresses mémorable û Calvin Klein, Gérard Depardieu, Pierre Arditi, Adamo, Edouard Molinaro et bien d’autres  » people  » s’y côtoient, ainsi qu’une série de coups d’éclat vestimentaires. En 1997, Olivier Strelli habille les Rolling Stones pour leur tournée mondiale  » Bridges to Babylon  » et dernièrement, il a été élu habilleur officiel de l’équipe nationale de France,  » lookant  » donc les Bleus hors terrain. En 1989, il dessine les uniformes des hôtesses de la défunte Sabena, en 1993, la tenue réalisée pour l’intronisation de la reine Paola, et en 2001, la garde-robe destinée à la princesse Mathilde lors de ses Joyeuses Entrées et de plusieurs voyages à l’étranger. A l’occasion de l’an 2000, il réalise une étonnante robe  » Millenium  » qui fera la couverture de Weekend Le Vif/L’Express (numéro spécial du 24 décembre 1999) avant d’être exposée au ModeMuseum d’Anvers…

Autant de scoops et de récompenses qui n’empêchent cependant pas Strelli de garder la tête froide et les pieds sur terre.  » Bien que ces rencontres inédites et exceptionnelles m’aient chaque fois ravi, elles ne m’ont pas grisé outre mesure. En fait, j’estime que la famille est une valeur qui me permet de ne pas perdre le sens des réalités. Par famille, j’entends la cellule formée par ma femme, mes enfants et mes petits-enfants mais aussi la  » tribu  » de mes frères et de mes neveux. Et puis, il y a deux personnages en moi : en public, au bureau et pour ma griffe, je suis Olivier Strelli. En privé, je suis Nissim Israël. Cette dichotomie me permet de conserver un certain équilibre et de rester modeste (sourire).  » Pour l’anecdote, Strelli vient de Stiller, l’anagramme du nom du grand-père de son épouse, et Olivier est simplement le prénom de son fils. Ce dernier, diplômé de Solvay, s’occupe, dans la société de son père, de l’approvisionnement en matières premières, de gérer la totalité de la production et du budget des boutiques.

Et quid de Strelli en 2034 ?  » Oh là là, je me vois mal encore sur cette terre à 90 ans. Je préfère mourir en bonne santé que dépérir progressivement ! Mais pour l’instant, je me sens au mieux de ma forme et tellement jeune dans ma tête que je n’ai pas envie de me projeter trop loin dans l’avenir. Je suis et reste très présent dans ce business qui croît et se développe en permanence.  » Ainsi, le créateur belge vient d’ouvrir une boutique à l’enseigne place des Victoires à Paris, là même où, au tout début des années 1970, il allait proposer ses dessins sur textile au vivier de la nouvelle création française de l’époque (Kenzo, France Andrevie, Claude Montana, etc.).  » De ma société, je tiendrai les rênes encore un certain temps, c’est évident. J’ai des projets plein mes cartons, à commencer par la sortie de mon nouveau parfum prévue pour fin septembre -début octobre. Le flacon, la fragrance, l’image, le slogan et le volet marketing sont déjà prêts depuis longtemps ; c’est l’optimalisation de la fabrication qui décidera si le  » jus  » apparaîtra à la rentrée ou, à défaut, en février 2005. Comme je dis souvent, demain est un autre jour.  »

Marianne Hublet

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