Le succès d’un parfum a ses règles… et son visage. C’est avec rigueur que les équipes de marketing choisissent leurs égéries pour créer des images pub envoûtantes.

Dans le passé, les grandes stars faisaient vendre et certains jus n’ont pas hésité à s’offrir un visage très connu, pour convaincre plus facilement. Mais qu’en est-il aujourd’hui?

La star, c’est Dior

« Dior est une marque de prestige et de luxe absolu, une marque qui a une telle notoriété que nous n’avons pas besoin d’une star pour cautionner notre image, explique Thomas du Pré de Saint Maur, directeur marketing international produits parfumants chez Christian Dior, à Paris. La star, c’est la marque elle-même. La star, c’est la femme qui l’adopte « . L’approche, toujours très symbolique, dépeint l’esprit de la féminité, décliné sous toutes ses facettes. Une image publicitaire forte est celle qui raconte une histoire où beaucoup de femmes différentes vont se retrouver. « Les femmes ont une capacité inouïe pour décoder une image publicitaire, poursuit Thomas du Pré de Saint Maur. Elles décryptent tout, à leur façon. Avec le temps, elles trouvent même de nouvelles histoires et le taux d’agrément augmente. C’est la raison pour laquelle tous nos visuels sont très construits. Ils ne se contentent pas de dicter des règles à l’imagination. Ils ont un sens et une vérité de sensation. »

Le choix du mannequinn’est pas simple. Il faut passer en revue des centaines, voire des milliers de visages pour trouver celui qui symbolisera le mieux l’univers d’un parfum. Carmen Kas, une jeune Lituanienne, est l’heureuse élue pour J’Adore. Belle prestance, visage net et affirmé et en même temps une extraordinairefragilité et vulnérabilité. Une personnalité très Dior. Le flacon participe à la beauté et au mystère de l’image. « C’est une image d’une grande puissance, conclut Thomas du Pré de Saint Maur. Cela dit, il faudra penser à la changer. Elle a été tellement vue qu’elle fait partie du paysage. Or, les attentes des femmes évoluent et, un jour, il faudra ajouter des valeurs nouvelles. »

La « french touch » de Lancôme

Onze ans! Entre 1983 et 1994, c’est une longue histoire d’amour qui lie Lancôme et Isabella Rossellini. « Il est clair qu’Isabella a fait énormément pour notre marque et vice versa, commente Jérôme Bartau, directeur de la communication internationale chez Lancôme à Paris. Cela dit, durant ces onze années, Lancôme a beaucoup grandi. Présents dans 65 pays, nous sommes la première marque de cosmétiques en distribution sélective, sur le plan mondial. Isabella a incarné la première image de Trésor et ce fut sa consécration. Cela dit, elle avait un type de beauté auquel, à un moment donné, les femmes ne s’identifiaient plus. En Asie, par exemple, notre clientèle est très jeune, 18 ans en moyenne. » Avec la mondialisation, la beauté est devenue multifacettes. Il a donc fallu « éclater » la marque et répondre à des demandes d’identification différentes, tout en continuant à véhiculer les valeurs qui, chez Lancôme, s’appellent proximité, générosité, élégance, charme et « french touch ». Mais au fait, un visage est-il nécessaire, fait-il vendre? « Oui, répond Jérôme Bartau. Il apporte de la vie et donne une grande émotion charnelle. Il y a un partage entre la marque et la consommatrice. » Chez Lancôme, on aime bien les jeunes actrices qui ne jouissent pas encore d’une très grande notoriété, mais qui « dégagent » beaucoup d’émotion. « Sur le plan international, on leur apporte beaucoup », affirme Jérôme Bartau.

En 1995, Juliette Binoche est sélectionnée comme ambassadrice de Poême. Pourquoi? Pour son interprétation remarquable dans « Bleu » de Kieslowski et pour son regard. Marie Gillain, elle, a été remarquée dans un magazine. Habillée d’une robe blanche, elle dégageait une fraîcheur qui collait parfaitement à l’esprit de O oui. La jeune Belge l’incarne depuis 1998.

Lors du lancement mondial de Miracle, les Américains voulaient … une Américaine. C’est le directeur marketing de Lancôme qui a été subjugué par le regard de Uma Thurman, saisi par l’objectif de Richard Avedon. « Dans la vie, c’est une femme très généreuse, profonde et charnelle, confie Jérôme Bartau. Ce qui compte pour Lancôme, ce sont des femmes qui savent vivre avec leur temps. Elles ne subissent pas les années qui passent, elles les vivent. »

Angel et ses tendres démons

« C’est Thierry Mugler en personne qui choisit les égéries, souligne Daphné Léopold, responsable communication internationale chez Thierry Mugler à Paris. Il s’investit beaucoup dans l’image globale et plus qu’un visage, il recherche quelqu’un qui véhicule les valeurs de la marque qui sont le luxe et la différence. Thierry Mugler aime la tradition mais n’hésite pas à prendre des risques. La mise en scène, spectaculaire, est donc très importante. Les visuels doivent susciter l’émotion et ne pas laisser indifférent. »

Angel, lancé en 1992, a changé de communication à trois reprises, mais en interprétant toujours le paradoxe féminin et son art des contrastes : douceur, force, glamour, innocence. Estelle Hallyday (aujourd’hui Lefébure) a admirablement incarné cette femme un peu ambiguë, sulfureuse, mi-ange, mi-démon. Jerry Hall a été la wonderwoman idéale, très forte et tellement glamour. Amy Wesson, la dernière égérie (son contrat expire en juin 2003), symbolise une héroïne de conte de fées: repliée sur elle-même, teint diaphane, elle paraît presque irréelle dans un décor de cristal.

« Nous vivons dans un monde où l’on est obligé de passer par la pub, note Daphné Léopold. Chez nous, elle permet de véhiculer une histoire, permet de définir un territoire d’expression et un imaginaire. Cela dit, notre pub est quasi anecdotique car, dès le début, nous avons choisi d’autres stratégies, en nous investissant dans le marketing relationnel, en bâtissant une relation très privilégiée avec les consommatrices. »

Lorsque Thierry Mugler a imaginé Angel, il voulait en faire un classique, un parfum qui resterait présent pendant de longues années. Il l’a enfermé dans un flacon étoile, symbole d' »élévation » universel. Or, l’étoile fait rêver, elle fait naître des histoires et des contes les plus extraordinaires. Ce sont donc ces histoires que les consommatrices peuvent raconter à Thierry Mugler. Une petite enveloppe, contenue dans chaque produit, permet de développerune correspondance particulière et privilégiée. « C’est notre richesse et notre force, estime Daphné Léopold. La petite enveloppe est présente également dans les parfums masculins. Les hommes et les femmes nous écrivent énormément. Nous avons une clientèle extrêmement fidèle qui apprécie beaucoup cette relation de proximité et de service. »

Le message pacifique de Nina Ricci

Lorsqu’il a été créé, en 1948, L’Air du Temps représentait un message d’espoir et de paix, immortalisé par les colombes de Lalique. Avec sa forte personnalité dans le registre floral-épicé, il a traversé toutes les époques, en restant d’actualité. Aujourd’hui, il est le relais entre les générations.

L’Air du Temps est bien plus qu’un joli nom et un grand classique. C’est un parfum qui a du sens. Tout en étant intemporel et incontournable, il lui faut toutefois, à lui aussi, le soutien d’une ambassadrice. « Il est très clair pour nous qu’un visage féminin enrichit l’univers, déclare Margerie Barbès-Petit, directeur marketing parfums et cosmétique chez Nina Ricci à Paris. Il permet à nos clientes de se projeter dans une image, un modèle, une personnalité qui représente quelque chose de précis. Depuis 1998, les émotions de L’Air du Temps se lisent sur le visage d’Audrey Marnay. Elle n’a pas été choisie pour sa notoriété, car à l’époque elle était beaucoup moins connue, mais parce qu’elle représentait bien la dimension poétique et angélique de la marque. »

Photographiée par Nathaniel Goldberg, la scène représente un baiser dans une découpe de colombe et Audrey est totalement dans l’histoire que véhicule L’Air du Temps depuis plus d’un demi-siècle. La grande pacificatrice, c’est la femme, ou plutôt la jeune fille, la dernière « aventurière » des temps modernes.

Barbara Witkowska [{ssquf}]

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