Une lettre, oui une lettre. Qui égrène tout le bonheur d’un séjour au Dar Chez Inès. Une missive rédigée dans cette maison au décor majuscule d’un hôte esthète, créateur voyageur en quête de blanc absolu pour vous offrir une parenthèse de rêve.

Je vous écris de la terrasse. J’y monte régulièrement pour prendre le pouls de la ville. Depuis mon arrivée, elle est vite devenue, avec le grand salon blanc qui m’apaise, mon quartier préféré pour écouter passer le temps. Là-haut sur la terrasse, je pars toujours en voyage. Alors que je vous écris, le jour s’étire. De la mosquée de Sidi Bou Daui que je ne pourrais pas ne pas voir tant elle pointe son minaret haut dans le ciel juste devant nos yeux en direction de la mer, la mélodie du soir s’envole sur la médina.

Le ciel balayé des nuages orageux du jour vient reposer son bleu lavé sur le grisé de la Méditerranée. Mon regard se perd, les bruits ricochent, les chants résonnent. Notre terrasse semble danser. L’air est doux, comme un doux prétexte pour vagabonder. Tout à loisir, je chemine, je serpente par les ruelles, je me perds dans les impasses, grimpe sur un toit, rebondis contre un flot de draps déjà secs retenus sur la corde, je m’écarte pour laisser filer une Mobylette pétaradante, fait un clin d’£il aux enfants tout aussi malicieux qui poussent le ballon dans la courette voisine, je m’étourdis des parfums du jasmin, je m’égare encore, je ne suis jamais lasse de ces voyages immobiles qui mettent le bonheur en partance.

Ma terrasse magique est à Kélibia, en Tunisie. C’est un grand village, ni beau, ni laid, simplement nature, hors des sentiers trop courus par le tourisme, une petite ville vraie et attachante, comme le cap Bon, au nord-ouest de Tunis, sait encore les cultiver. Kélibia est une sentinelle sur les flots et avec un peu d’imagination, par temps clair et en se penchant beaucoup aux balustres, on pourrait presque apercevoir la Sicile tant ses côtes sont proches.

Pour avoir été punique, éphémère comptoir de Syracuse, romaine, byzantine, arabe, espagnole, turque, et être passée par toutes les nationalités, Kélibia n’est plus à présent que sacrément méditerranéenne avec des charmes imparables. Tout près d’elle, au-delà de son port, de sa flottille d’embarcations qui ont vu plus d’une pêche au lamparo, au-delà des restes de sa citadelle où j’ai été bouquiner hier avec un verre de thé à la menthe sur les bancs carrelés de son café Au Vieux Port, elle a ces longues, longues et incroyables plages de sable blanc qui me donnent envie de revenir ici à une saison plus chaude.

Car je ne vous le redirai jamais assez, la maison que j’habite est juste délicieuse. Mon hôte se nomme Paolo, Paolo Perrelli. Il est italien, il est artiste, il est esthète, contemplatif, un peu touche-à-tout, tour à tour sculpteur, photographe, concepteur de décor, et passionnément animé par le beau au quotidien. Il voyageait en Tunisie et il n’est pas reparti, il est resté là, à Kélibia. Paolo et sa maison, c’était un vrai coup de c£ur. En 2007, je crois… depuis, il y a eu les travaux et puis il a ouvert deux chambres, et puis maintenant trois, trois grandes chambres aux trois coins du salon pour vivre un séjour en dehors du temps.

Elle était faite pour Paolo, cette bourgade du cap Bon, si blanche qu’elle semble s’allumer au premier rayon de soleil. Elle lui était presque familière, avec ses plages qui lui rappelaient les rives sauvages de son enfance dans la région de Bologne. Oui, elle était tellement faite pour lui cette maison tapie dans la médina, flanquée d’un sol années 1960, d’une coupole, d’un immense espace jouant au cercle dans un carré avec des ouvertures en croix et une terrasse pour grimper faire la sieste ou lire Paul Bowles ou Jean Genet. Là, croyez-moi, il a pu mettre en scène son regard sur le beau vivre. Avec une mère costumière de théâtre, rien d’étonnant à ce que Paolo aime les trois coups de surprise çà et là dans le décor et glisse librement, en cuisine ou au coin de l’escalier, ses propres sculptures, miroir soleil ou lettres majuscules façonnées en fer avec les artisans locaux.

L’autre soir, tandis que l’on devisait au salon, autour d’un délicieux muscat blanc, bien sec et complètement du cru, Paolo m’a raconté sa quête de l’équilibre et du détail simple. Il m’a conté combien il n’avait surtout pas voulu changer sa maison, son Dar Chez Inès, mais plutôt la prendre par la main et, pour la rendre plus désirable encore, la relever d’un peu de poudre et d’une chemise fraîche. Il m’a livré ses projets, son v£u de rendre hommage au pays qui l’accueille, de vivre un moment d’aventure au c£ur du savoir-faire tunisien, de continuer à dessiner des meubles ou des lits en bois tourné comme celui de ma chambre, de remettre au goût du jour un grain de beauté dans la simplicité, et d’ouvrir, peut-être, un vaste lieu à Tunis, à la fois maison et musée d’art contemporain. En me parlant, Paolo avait ce calme incroyable d’un voyageur d’autrefois. Lentement, cette langueur, il semblerait toute kélibienne, est venue m’habiter à mon insu. Alors, je suis remontée sur la terrasse pour dessiner des rêves.

Carnet d’adresses en page 108.

Françoise Lefébure Photos : Henri Del Olmo

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