Light my fire

© WES HICKS FOR UNSPLASH

En cette période, les illuminations des fêtes viennent enchanter nos sombres journées, rappelant symboliquement l’importance que revêt la lumière dans nos vies. Que ce soit au niveau culturel, biologique ou psychologique. Explications.

Nul ne niera sans doute que le nombre d’expressions, locutions, maximes et proverbes consacrés à un sujet est directement proportionnel à son importance… et la lumière en est un bon exemple. Même lorsque nous n’en sommes pas une nous-même (ou que nous ne l’avons pas à tous les étages), il nous arrive de la faire sur une affaire, peut-être après avoir été nous-même éclairé par mieux informé que nous. Nous l’apercevons toute petite au bout du tunnel et nous ouvrons les rideaux pour la laisser entrer à flots…

Il n’y a du reste pas que le français qu’elle illumine, puisque la lumière joue un rôle prépondérant dans la quasi-totalité des cultures humaines. Archétype symbolique parmi les plus populaires et les plus universels, elle est en outre toujours associée à des notions positives, telles que l’espoir, la sagesse, la foi ou l’amour. Et ce n’est pas étonnant. Car nos journées se partagent depuis toujours entre la rassurante lumière diurne et, du moins jusqu’à l’invention de l’éclairage électrique, l’obscurité nocturne peuplée de terreurs, symboles universels de l’opposition entre le bien, la sécurité et l’ordre et le mal, le danger et le chaos.

Et puis, la lumière, c’est aussi la vie, au sens le plus littéral du terme: sans elle, pas de fleurs et pas d’arbres, comme le savaient déjà nos lointains ancêtres. Pratiquement toutes les religions primitives rendent d’ailleurs un culte au Soleil, à la Lune et aux étoiles. Les Egyptiens, par exemple, vénéraient, sous le nom de Râ, un dieu solaire suprême, qui traversait chaque jour le ciel dans sa barque en apportant à l’homme nourriture et richesses. Dans nos contrées, où la pénombre hivernale semble parfois ne jamais vouloir se terminer, nos ancêtres célébraient au mois de décembre – au moment où les journées recommencent peu à peu à s’allonger – l’une ou l’autre fête de la lumière. C’est vraisemblablement pour cette raison que l’église catholique a choisi par la suite de faire concorder Noël avec le solstice d’hiver, faisant de la naissance du Christ une métaphore du retour de la lumière.

La lumière est l’un des fondements de notre expérience humaine partagée. » Gianfranco Ravasi

Une maturité spirituelle

Les auteurs de la Bible avaient bien compris l’importance de la lumière. Dès le premier jour du monde, juste après avoir créé le ciel et la terre, le Dieu de la Genèse décida de les éclairer: « Dieu dit: Que la lumière soit! Et la lumière fut. Et Dieu vit que la lumière était bonne. » Cette notion de lumière est une charnière théologique qui se retrouve dans de nombreuses cultures et religions tant orientales qu’occidentales, comme l’a souligné le cardinal Gianfranco Ravasi dans son discours à l’occasion de l’Année internationale de la lumière de l’Unesco, en 2015. « La lumière est l’un des fondements de notre expérience humaine partagée. Vivre, c’est voir le jour au sens littéral du terme, et nombre de langues utilisent d’ailleurs cette expression pour désigner la naissance. » La divinité elle-même est décrite comme un « être de lumière », capable de conjurer l’obscurité non pas physique, mais spirituelle – on songe évidemment au Christ qui, à en croire saint Jean, se présente comme la lumière du monde. Dans le Coran, Allah est décrit comme la lumière des cieux et de la terre, et la lumière elle-même ( nur) comme un guide révélé par le Tout-Puissant. L’illumination est aussi ce qui se produit en nous lorsque nous avons la foi ; le Bouddha, par exemple, l’a trouvée en méditant sous l’arbre de la Bodhi. Cette idée se retrouve dans nombre d’autres religions et reflète l’accès à la maturité spirituelle, à la sagesse face aux mille complications du coeur et de l’esprit. C’est sans doute ce qui explique pourquoi tant de croyances voient la foi ou l’âme comme une petite flamme qui brûle au fond de nous. « La lumière est une image glorieuse et pleine de force vitale, poursuit le cardinal Ravasi. Une métaphore sacrée et transcendante, aussi, parce qu’elle évoque inévitablement la tension avec son contraire, l’obscurité, et devient ainsi le symbole d’une lutte morale et existentielle. »

La magie des rayons

Au-delà de la symbolique de la foi, du bien et du mal, les religions exploitent aussi volontiers l’effet esthétique et quasi magique de la lumière, notamment au travers des impressionnants vitraux des églises qui semblent s’enflammer sous la caresse du soleil ou des délicats écrans ajourés ( jaali) qui en filtrent les rayons dans les mosquées indiennes. On pourrait citer encore le monument mégalithique britannique de Stonehenge, où le soleil levant du solstice d’été et le soleil couchant du solstice d’hiver illuminent le centre grâce au placement judicieux des monolithes, ou le temple égyptien d’Abou Simbel, excavé à même la roche, où les rayons matinaux éclairent, deux jours par an, trois des quatre statues qui se dressent au fond du bâtiment. La quatrième, celle du dieu de l’obscurité Ptah, est vouée à rester éternellement dans l’ombre. Dans la Grèce antique, un feu brûlait autrefois nuit et jour en l’honneur de la déesse Athéna dans son temple sur l’Acropole et, aujourd’hui encore, lampes et bougies sont présentes en abondance dans tous les temples, mosquées et églises du monde.

Ainsi, chaque année, le jour du Samedi saint, la basilique du Saint-Sépulcre, à Jérusalem, est le théâtre du miracle du Saint Feu, qui voit des bougies s’enflammer « spontanément et de façon merveilleuse ». Ce feu sacré est ensuite transmis à des milliers de fidèles, qui s’efforcent de le ramener chez eux et de le conserver une année durant. En novembre, les hindous et les sikhs fêtent Diwali, qui célèbre la victoire du bien sur le mal, de la lumière sur l’obscurité, en éclairant les maisons, les rues et les temples de myriades de lampes ou en allumant des feux d’artifice. En Chine, c’est le dernier jour du festival du Nouvel An qui est célébré par une Fête des Lanternes des plus photogéniques. Dans le bouddhisme comme dans l’hindouisme, la lumière des bougies est une respectueuse offrande au Bouddha ou à l’une des innombrables divinités hindoues. Dans la plupart des religions, il est aussi coutumier de brûler un cierge ou une chandelle en souvenir de ses proches décédés. Le 23 décembre, les humanistes américains célèbrent depuis quelques années leur propre Fête des lumières, baptisée HumanLight… et eux aussi en profitent pour allumer des bougies qui symbolisent la raison, l’empathie et l’espoir. Et chaque 10 décembre, Amnesty International encourage à poser à sa fenêtre une flamme, métaphore d’une pensée pour les prisonniers d’opinion.

Une condition de survie

Si l’Unesco a choisi de faire de 2015 l’Année internationale de la lumière, c’est toutefois moins pour des motifs culturels et religieux que pour mettre en avant le rôle crucial de la lumière pour notre survie et l’importance du développement des technologies qui y touchent dans le domaine de la médecine, de l’énergie, de l’agriculture et d’autres sciences appliquées. Affirmer que la lumière nous est indispensable n’est d’ailleurs pas qu’une façon de parler: sans elle, pas de plantes et pas d’humains! Si l’absence de soleil ne nous fait pas tout à fait dépérir comme des légumes, elle n’en est pas moins préjudiciable pour notre santé, affirme, dans son livre Living Light, l’architecte et psychologue Karl Ryberg. Fils d’artiste et fasciné par la lumière dès son plus jeune âge, il a décidé de s’y intéresser à titre professionnel. « La lumière fait un monde de différence. Regardez autour de vous et demandez-vous ce qui fonctionnerait encore sans elle. Votre plante verte en a besoin pour la photosynthèse ; vous, pour permettre à votre peau de produire de la vitamine D ; vos panneaux solaires pour chauffer l’eau de votre douche. La lumière orchestre tous nos processus biologiques. Le soleil, c’est la source d’énergie de tous les écosystèmes. »

Light my fire
© AURÉLIEN DOCKWILLER FOR UNSPLASH

L’expert a rassemblé dans son ouvrage une foule d’études scientifiques, d’anecdotes et d’astuces. « Dans les pays développés, nous passons actuellement 90% de notre temps à l’intérieur où, pour comble de malheur, les volets, rideaux et lunettes noires finissent parfois par bannir le peu de lumière qu’il nous reste. Les écrans d’ordinateur sont allumés toute la journée, certes, mais la lumière naturelle est très limitée. » D’après l’auteur, ce n’est pas seulement dommage mais franchement dramatique pour notre production de vitamine D, celle-là même qui nous permet d’absorber le calcium et le phosphate alimentaires indispensables au fonctionnement de notre corps. Une carence à ce niveau affecte le métabolisme du calcium et donc nos os, nos dents et nos muscles, mais potentiellement aussi notre coeur et nos vaisseaux sanguins. La vitamine D est synthétisée dans la peau sous l’effet du rayonnement UVB, ce qui explique pourquoi il est tellement important de sortir. Quinze à trente minutes par jour, c’est vraiment le minimum minimorum, certainement dans nos contrées où le soleil d’hiver reste bas et perd beaucoup de sa force. « La lumière du soleil semble également abaisser la tension, souligne Karl Ryberg. D’après des recherches réalisées à l’université de Southampton, il apparaît en effet que le monoxyde d’azote et ses métabolites, présents en abondance dans la peau, jouent un rôle dans la régulation de la tension. »

Un repère biologique

A ce propos, en 2017, trois scientifiques ont remporté le Prix Nobel de médecine pour leurs travaux sur la chronobiologie humaine. « Chacune de nos cellules possède une horloge interne », explique Karl Ryberg. La sensation de sommeil ou de faim, les pics de fièvre ou de douleur, les moments où notre esprit est le plus clair: tout cela dépend de notre chronobiologie. « Pour coordonner cette formidable masse de réactions biologiques dans nos cellules, nous avons besoin d’un chef d’orchestre: le soleil. Lorsque sa lumière parvient à nos yeux, elle envoie un signal à notre horloge biologique en chef, le noyau suprachiasmatique du cerveau, situé au-dessus de l’endroit où se croisent les nerfs optiques. Ces neurones sont influencés par la lumière et dirigent nos fonctions corporelles. C’est un mécanisme extraordinaire. »

Et si nous sommes privés d’éclairage naturel? C’est la question à laquelle a voulu répondre le sociologue italien Maurizio Montalbini en passant, en 1995, quelque 366 jours dans une grotte. En revenant à l’air libre, il était convaincu que son expérience n’avait duré que 219 jours et avait développé un rythme complètement nouveau où des périodes de sommeil de douze heures alternaient avec des périodes de veille qui en faisaient trente-six. « Sans la lumière du soleil et des étoiles, le rythme de nos journées et de notre sommeil est complètement perturbé, tout comme notre perception du temps », décrypte Karl Ryberg. Des recherches menées à la Northwestern University à Chicago ont démontré que les personnes qui travaillaient dans un bureau sans fenêtres obtenaient des scores plus faibles aux tests de qualité de vie pour les aspects qui touchent à la santé physique et à la vitalité. En outre, elles affichaient aussi de moins bons résultats aux mesures de la qualité globale du sommeil, de son efficience, de ses troubles et des dysfonctionnements diurnes qui y sont associés. Le manque de lumière naturelle n’affecte toutefois pas que la qualité du repos nocturne, souligne Karl Ryberg: « D’après les recherches de l’ Heschong Mahone Group, la lumière du jour est également bénéfique pour nos facultés intellectuelles: chez les élèves d’une école de Fresno, en Californie, elle améliorait les prestations scolaires de 20%! » Enfin, une enquête menée sur la lumière du jour dans les commerces a mis en avant une augmentation des ventes de 40% lorsque la caisse se trouvait sous une fenêtre.

Un remède à la dépression?

La lumière, ou son absence, joue donc clairement sur le moral. Le trouble affectif saisonnier (TAS) a été mentionné pour la première fois dans les années 80 par le médecin Norman Rosenthal. « La recherche a démontré qu’un manque de lumière au cours de l’hiver pouvait affecter la zone du cerveau qui produit la sérotonine, le régulateur de l’humeur essentiel à notre bien-être psychologique », relève Karl Ryberg. C’est ce qui explique le fameux coup de blues hivernal auquel certains sont si sensibles. Des recherches réalisées récemment à la Brown University donnent à penser qu’il existe vraisemblablement une connexion entre les cellules de l’oeil qui captent la lumière et les zones du cerveau qui déterminent notre humeur, mais cette hypothèse n’est pas encore tout à fait établie.

Il suffirait sans doute d’une ou deux semaines dans un endroit ensoleillé pour nous sortir de notre léthargie… mais comme ce n’est pas toujours possible, des scientifiques et entreprises voient une piste de solution prometteuse dans la luminothérapie, généralement sous la forme d’une source lumineuse blanche, bleue ou monochromatique colorée qui « trompe » le cerveau pour le forcer à passer en mode estival. Les simulateurs d’aube promettent de donner un coup de fouet à celles et ceux qui souffrent de dépression saisonnière, mais tant le concept du TAS que son traitement sont aussi critiqués. Des chercheurs norvégiens et britanniques n’ont ainsi trouvé aucune corrélation entre lumière naturelle et déprime, et des psychologues de l’Oregon State University jugent le problème surestimé. Dans la foulée, le bien-fondé du traitement aussi est mis en doute, notamment parce qu’il est difficile de réaliser des analyses de bonne qualité, avec un groupe contrôle soumis à une intervention placebo. « Passer une heure devant une lampe de luminothérapie, c’est souvent aussi prendre du temps pour soi, observe Steven LoBello de l’Oregon State University. Certains en profitent pour lire ou simplement pour se détendre, et l’effet de ces facteurs est difficilement mesurable. Nous ne pouvons donc pas affirmer avec certitude que la luminothérapie est efficace dans le TAS. »

« Il est exact que les personnes qui souffrent d’une dépression saisonnière ne retirent pas toutes un bénéfice de la luminothérapie, concède Karl Ryberg. Elle peut être salutaire chez certains, mais d’autres seront mieux aidés par une thérapie cognitivo-comportementale. Si vous souffrez d’un coup de blues en hiver, abordez toujours la question avec votre médecin et examinez avec lui quelle solution vous convient le mieux. Je reste néanmoins convaincu que l’exposition à une lumière de bonne qualité dans notre vie quotidienne est plus importante qu’on ne le pense. C’est bon pour la santé, mais aussi et surtout pour le moral. » Bref, tout le monde dehors!

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