Benetton nous en fait voir de toutes les couleurs, depuis quatre décennies déjà… Et cette fièvre arc-en-ciel n’est pas près de tomber. Interview de Luciano Benetton, le fondateur de la célèbre griffe italienne.

Il a des allures de savant fou, avec sa crinière blanche indomptée, mais son discours est aussi millimétré que les publicités black-blanc-beur des années 1980. Luciano Benetton (71 ans !) – rencontré à Trévise, en Italie, où, dans les années 1950, il s’endetta pour acquérir sa première machine à tricoter et y vendre ses pulls au porte-à-porte… – défend sa marque avec une assurance farouche que ni les années ni la menace des concurrents n’ont réussi à bousculer. Les 40 ans de Benetton ont été fêtés, il y a peu, à Paris (lire aussi Weekend Le Vif/L’Express du 27 octobre dernier).  » Quand le Centre Pompidou nous a sollicités pour une exposition autour de Fabrica (qui s’est déroulée du 6 octobre au 6 novembre), notre centre de recherche en communication (lire l’encadré page 302), explique le fondateur, nous en avons profité pour célébrer nos 40 ans en même temps… même si la marque est née, en réalité, en 1965.  » Pour la célèbre griffe italienne, ce fut l’occasion, aussi, de présenter son tout premier défilé.  » J’ai une passion personnelle pour Paris, confie Luciano Benetton. C’est à Saint-Germain-des-Prés que j’ai ouvert ma première boutique au monde, en 1969. Et, dans les années 1950, j’avais donné à mes premières mailles l’étiquette « Très jolie ». Un signe de ma francophilie… »

Weekend Le Vif/L’Express : Vous avez opéré, depuis quatre ans, un recentrage stratégique, avec multiplication des minicollections, ouverture de mégastores… Ce sont les méthodes Zara adaptées à la sauce Benetton ?

Luciano Benetton : Non. Nous ne faisons pas de copie et nous veillons à la haute qualité de nos produits, tout en gardant notre  » patte  » mythique. Nous avons toujours eu une approche démocratique et avons même récemment créé une gamme de vêtements avec moins de détails et donc plus accessible.

La couleur : le mot de votre vie ?

On peut le dire ! Elle m’a apporté le succès dès mes débuts, quand je faisais du porte-à-porte avec mes premiers tricots. J’ai immédiatement voulu du jaune, du bleu, du vert, des teintes qui n’existaient pas, à l’époque ! Les gens se les arrachaient : ils étaient affamés de couleur, comme si elle aussi avait été rationnée pendant la guerre !

En quoi votre griffe est-elle encore italienne, quand 80 % de la production est délocalisée ?

C’est un peu démodé, aujourd’hui, de se poser la question des lieux de production ! Ce qui compte, c’est de maintenir la créativité et la qualité de nos vêtements. Depuis dix ans, le groupe a des usines de production en Italie, en Espagne et en France. Et aussi, aujourd’hui, en Hongrie, en Inde, en Turquie ou en Tunisie. Mais les matières premières proviennent d’Italie.

Les branchés, qui avaient abandonné Benetton, y reviennent-ils ?

Notre but n’est pas d’être les plus branchés de la place ! Nous nous adressons à la femme active cherchant des basiques, aux hommes et aux jeunes aussi, en étant, bien sûr, attentifs aux tendances, mais sans obsession. Notre bureau de style de 200 designers, installé à Trévise, compte cependant une centaine de jeunes gens issus des meilleures écoles de mode en Europe : le Central Saint Martins College of Art and Design à Londres, l’Académie royale des Beaux-Arts d’Anvers, l’école Polimoda de Florence ou encore l’Institut européen du design à Milan.

Quelles recherches technologiques faites-vous sur la laine pour préserver votre singularité ?

Notre objectif est de faire gagner à la laine les atouts du coton : facilité de lavage et longévité à toute épreuve. Nous avons également élaboré un  » cachemire léger  » inédit, adapté aux températures printanières.

La marque est célèbre pour les publicités provocantes d’Oliviero Toscani. Etait-ce un acte politique que de le choisir ?

Nous n’avons pas conçu nos publicités dans le but de provoquer, mais de faire parler, de développer une conscience citoyenne : la campagne contre la peine de mort ( » Regarder la mort en face « , 2000) n’a choqué que dans les pays qui l’appliquent. C’était la réalité crue des  » couloirs de la mort « , une réalité amenée dans le monde factice de la pub. J’assume absolument tout ce que j’ai fait avec Oliviero Toscani, un ami de vingt-cinq ans.

Aujourd’hui, vos affiches sont assagies. Fini, le scandale ?

Ce n’est pas nous qui avons changé ; c’est le public. Désormais, ce n’est plus la pub qui choque ; c’est la destruction des Twin Towers à la télévision. Mais le  » code génétique  » de Benetton n’a pas changé : prôner multiculturalisme en mettant en scène toutes les ethnies et exhiber notre passion de la couleur. Au-delà de cela, je crois que la publicité contemporaine doit, pour être efficace, accompagner des causes socialement importantes. Dans un marché où tout se ressemble, nous choisissons de nous démarquer par notre positionnement humaniste, en affichant notre logo aux côtés du World Food Programme, de SOS Racisme, ou des volontaires des Nations unies.

Vos publicités institutionnelles sont conçues à Fabrica, le centre de recherche en communication que vous avez créé en 1994 avec Oliviero Toscani. Comment est née Fabrica ?

De ma passion pour l’architecture. Fabrica a été construite par le fameux Tadao Ando. Je l’ai choisi pour créer un pont entre les cultures orientale et occidentale. En fait, je crois que j’aurais aimé être architecte !

Propos recueillis par Katell Pouliquen

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