Un couscous  » united colors « , des nouilles céladon, des frites bleu indigo, du risotto à la betterave rouge, de la fausse truffe en spray… Escoffier, au secours, c’est la révolution dans les cuisines. De l’en-cas au dessert, on chipote, on enjolive, on réinterprète, on s’emballe, on casse les codes, on flambe les recettes. Une véritable boulimie, une vraie fringale qui agite toute une batterie de cuisiniers et d’  » ingénieurs d’ingrédients « , à la pointe de la recherche sur les nouvelles saveurs, les fumets avant-gardistes de nos victuailles. Même les designers mettent la patte à la pâte. Pour preuve, le  » Moph « , créé par Claudio Colucci, un cake à la rose et au thé vert dont chaque tranche ressemble à un c£ur. Rien n’échappe à la tornade. Finis, les tons marron clair des sauces, vert foncé des légumes, blanc crème des blanquettes. Désormais, la gastro se veut pop art. Résultat : on ne sait plus où donner des papilles. Devant les discours contradictoires et soûlant des végétariens, végétaliens, carnivores, omnivores et autres bio, certains cordons-bleus, déjà, sont tentés de rendre leur tablier. C’est qu’on est troublé, on hésite, on s’affole. Bombance, ripaille, dînette ou… carrément diète ? On se surprend à faire la fine bouche, à picorer ici et là. Parfois, on se risque pour aussitôt culpabiliser. Trop de féculents ? Pas assez ? Trop de lipides, de vitamines, de glucides ? Manque de soja, de céréales, de magnésium ? A-t-on tout juste ou tout faux ? Autant de saveurs éventées par une véritable cacophonie diététique dans laquelle viennent se glisser, cerise sur le gâteau, les sacro-saints régimes du printemps. Les sociologues sont inquiets, on ne peut plus aujourd’hui déjeuner en paix. La valse-hésitation, le duel entre l’hyperesthétisation des recettes et le retour aux mets simples, les diktats des nutritionnistes qui hantent nos antres culinaires gâchent bel et bien notre plaisir. Faute de rites qui le rassuraient, harcelé par les discours brouillés de spécialistes souvent plus bonimenteurs que gourmands, le gastronome moderne est pris en sandwich. Un véritable harcèlement qui peut nourrir aussi un vrai stress. Alors que le repas était lieu de délices, le voilà source d’angoisse. L’agueusie guette. Seul le gourmet, le vrai y échappe. D’instinct, il ne se fie qu’à son palais. C’est qu’il a appris depuis toujours à aimer ce qui lui veut du bien. Ni goulu, ni glouton, pas frugal non plus. Un vrai disciple d’Hippocrate.  » Laisse ta nourriture être ton remède et ton remède ta nourriture « ,

recommandait, en effet, le sage, il y a plus de deux mille ans.

Christine Laurent n

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