Au coeur de la cité de la mode, pas question d’en rajouter : les Milanaises font tout pour ne pas paraître à la page et jouent des griffes pianissimo.

Vue d’ailleurs, c’est la cité des  » fashion victims « . Une réputation usurpée, voire fabriquée de toutes pièces par les touristes, leurrés par les effets de manche que renvoie la rue. Et pour cause. La quasi-totalité des stylistes renommés du prêt-à-porter italien vivent et travaillent à Milan, entourés d’une cohorte d’élèves, d’assistants, de flatteurs et de fournisseurs. Qui, par amour, par devoir, par intérêt, par nécessité ou par commodité, s’habillent griffés, de pied en cap, achetant souvent les vêtements de leurs concurrents, pour avoir leur rival sous la main. Ce sont eux les véritables accros, auxquels s’ajoute la faune des magazines de mode, tous installés dans la capitale lombarde ( » Donna « ,  » Vogue « ,  » Grazia « ,  » Amica « …). Des rédactrices aux assistantes en passant par les photographes, et jusqu’aux personnalités de la télévision, ce microcosme se fait un point d’honneur d’arborer la marque la mieux adaptée à l’occasion et au lieu.

A contrario, les  » donne  » milanaises, elles, font tout pour ne pas paraître à la page. Pourtant bien informées, et souvent avant les autres, elles ne laissent rien transparaître, jouent les naïves, mais font leurs choix d’une manière implacable. Atypiques et parfois excentriques, elles ont même constitué un front uni, qui prône la lutte contre la dictature de la mode. Leur style, élaboré au cours des années, vient de loin, de leurs mères et de leurs grand-mères, et fustige toutes ces  » modaiole  » une expression péjorative pour qualifier les  » fashion victims « . Toujours élégantes, si elles portent une griffe, ce sera la plus chic, mais la moins identifiable. D’où le succès d’Armani, dont la petite baisse de régime actuelle ne saurait durer. Le retour du tailleur et l’ouverture récente d’un nouveau grand Emporio sur la via Manzoni devraient en effet réveiller les ardeurs de ces dames.

 » Les Milanaises savent tout sur la mode, elles ont un don exacerbé pour identifier les objets de leurs désirs, mais la marque ne les influence pas, confirme Rosy Biffi, propriétaire de la boutique Biffi de Corso Genova (excentrée), et de Banner et Kenzo à Sant’ Andrea (au coeur de Milan). Il est impossible de les abuser.  » En effet, même celles qui habitent les somptueuses demeures du centre-ville préfèrent acheter en dehors du quadrilatère d’or (Montenapoleone, Spiga, Sant’Andrea, Manzoni), dans certaines boutiques très bien fournies et très tendance, où elles peuvent essayer dans le calme. Et, comme Noris Morano, consultante en image et communication, ou Madina Ferrari, directrice de la création des boutiques de maquillage Madina, elles appliquent à la lettre un code sans appel :  » Ne jamais faire ses courses le vendredi ou le samedi, jours où les provinciaux emplissent les boutiques. Et ne jamais acheter un modèle photographié dans une pub : trop reconnaissable et déjà vu ! » Ce qui, en soi, devient un jeu aussi captivant que celui de l’accro.

Leurs objets de convoitise cet hiver? Non pas le vêtement doré de Gucci ni les imprimés  » vortice  » (tourbillon) de Versace, pourtant best-sellers du moment. Mais plutôt un manteau presque anonyme de Moschino, qui aura échappé à l’oeil non expert, un pantalon très bien coupé, en shantung uni, de Dolce & Gabbana ou une jupe en tweed de Prada avec son petit pull en cachemire pratiquement méconnaissable pour les non-initiés. Car elles ont bien assimilé le message de la saison et ont déjà opté pour une attitude plus suave, féminine et sensuelle avec des bas résille, sans logo imprimé – quoique pour une soirée en montagne sous la jupe de chamois… – des talons hauts, des parures de bijoux.  » Ces derniers temps, les accessoires, même onéreux, grimpent en flèche, confirme Rosy Biffi. Ils représentent presque 40% de notre chiffre d’affaires total. « 

Même les vendeuses des magasins du centre-ville ont un air milanais, élégant et bien sous tous les rapports. Il suffit de voir celles de Prada, en chemisier et jupe plissée au genou, ou celles de Pupi Solari, en chemise blanche et pantalon gris. Ou encore le simple foulard griffé Chris Ruhs noué autour du cou, seul signe distinctif de l’équipe du fameux 10 Corso Como, l’espace animé par Carlo Sozzani. Un petit empire, avec sa salle d’exposition et son café, où cette avocate du goût, qui déteste le mot  » tendance « , vend des accessoires pour hommes et femmes, des objets pour la maison, des parfums, des livres d’art, de photographie et d’ésotérisme. Autre lieu très prisé des Milanaises : le coiffeur De Luca de la via Boccaccio, chez lequel, depuis trente ans, elles viennent de mère en fille. Excentré et sobre, l’atmosphère feutrée correspond au caractère de ces dames. On n’y fume pas. Et, mieux encore, on n’y trouve pas de journaux de mode!

Gardiennes averties d’une certaine austérité, les Milanaises ne détestent pas pour autant le démonstratif. Ainsi se rendent-elles nombreuses chez Ungaro, afin d’y trouver une robe du soir ultrasexy, fendue, drapée, décolletée et légère, ou dans le nouveau magasin de Roberto Cavalli, qui enregistre des ventes record. Preuve que ces dames qui, le jour, jouent aux  » ladies  » sérieuses et tranquilles en pull et talons bas, endossent, le soir, le rôle le plus fascinant de la séduction. Et s’habillent alors non plus pour elles-mêmes ou par rapport à leurs fonctions, mais pour les hommes!

Donatella Sartorio

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