Pour un écotourisme authentique et intelligent ? Après un passage obligé par Chiangmai la sémillante, Weekend vous emmène à la rencontre des tribus montagnardes du nord de la Thaïlande, au cour de la jungle qui borde la frontière birmane.

I y a des signes qui ne trompent pas sur la qualité d’une destination. Une ville qui séduit autant les touristes locaux que les allochtones ne pèche en général pas par facticité. Chiangmai fait assurément partie de ces perles rares. Tous les week-ends de juillet à mars, de nombreux habitants de Bangkok abandonnent la touffeur de la capitale pour profiter de l’air frais provenant des collines couvertes de végétation qui entourent la  » Rose du Nord « . Mais aussi pour entretenir leur patriotisme : avec la cité de Sukhotai, plus au sud, Chiangmai occupe une place de choix dans le c£ur des Thaïlandais. Fondée à la fin du xiiie siècle par le roi Meng Rai, la ville compte en effet parmi les premiers Etats d’Asie du Sud-Est à être passée de la domination khmère aux mains des Thaïs. De beaux vestiges de remparts datant de cette époque viennent rappeler cet épisode chéri par la population. Et les quelque 300 temples élevés à l’intérieur et aux alentours des douves et des murailles qui ceinturent le centre-ville ne font qu’augmenter le sentiment de ferveur qui marque depuis toujours ce centre culturel et religieux.

La capitale du Nord ne serait toutefois pas si passionnante, si, à cette atmosphère pieuse, ne venaient se greffer les traits d’une métropole cosmopolite en pleine expansion. Loin de renier son passé et son caractère spirituel – une loi interdit de construire de nouveaux immeubles dans un rayon de 90 mètres autour d’un temple – Chiangmai semble petit à petit abandonner ses réflexes de provinciale frileuse au profit d’une modernité dopée par une économie en pleine croissance. Une croissance due en grande partie à une augmentation exponentielle du tourisme allochtone depuis trente ans. Indice incontestable : à l’instar du Four Seasons Resorts, classé par le magazine  » Forbes  » parmi les 10 plus beaux spas du monde, les grandes chaînes hôtelières sont de plus en plus nombreuses à s’offrir une enseigne en ville.  » Avec dix nouvelles adresses en trois ans le parc hôtelier a littéralement explosé. Et c’est loin d’être fini : pour 2007, on attend un Meritus, un Shangri-La et un Méridien « , explique Eric Faivre, executive manager au The Chedi, que la très élégante chaîne anglaise GMH s’est fait construire au bord du fleuve Mae Ping, en 2003. D’une certaine manière, ce design hôtel symbolise à la fois l’esprit respectueux des traces du passé et l’audace qui caractérise la Chiangmai du xxie siècle : au départ, le site ne comprenait qu’une maison des années 1920, l’ancien consulat du Royaume-Uni. Au lieu de raser ce bel exemple d’architecture dite coloniale, GMH l’a totalement intégré au sein d’un nouvel immeuble ultracontemporain mariant lignes géométriques et matériaux locaux. Résultat : le charme opère, quand, sorti du tumulte de la rue, on pénètre dans le patio du nouveau bâtiment et que l’on tombe sur cette villa patinée par le temps.  » On est ravi d’avoir gardé la maison, s’enthousiasme Eric Faivre. Cela rencontre les attentes de la clientèle plutôt stylée qui a choisi de venir à Chiangmai. Et puis, ça rassure la population qui avait peur que l’on dénature le site.  »

Une crainte très présente chez de nombreux habitants. Et légitime. Car si la capitale du Nord est encore loin d’être défigurée par son succès, l’équilibre de tradition et de modernité qui fait actuellement son attrait reste fragile. Non loin de là, sur le célèbre Chiangmai Night Bazar, les DVD de blogbusters piratés, les contrefaçons Lacoste et Ralph Lauren et autres bijoux en toc font depuis longtemps partie du tableau. Mais cet énorme marché de nuit, dont l’origine remonte au xve siècle, quand les caravanes de commerce remplies de musc, d’or et d’argent descendaient des plaines chinoises du Yunnan, conserve encore toute sa typicité avec ses innombrables gargotes de currys et nouilles fraîches, ses marchands d’  » arts and crafts  » d’origine contrôlée et ses étoffes de tissus (soie, kashmiri…). Sur Loi Kroh, par contre, une des rues principales du centre-ville, les pubs à la mode occidentale ont pris majoritairement possession des lieux. L’artère a été rebaptisée  » Fàràng Street  » (la rue des étrangers) :  » Tous ces nouveaux bars appartiennent à des investisseurs américains ou européens, les autochtones détestent cet endroit « , nous confie Kruthong, notre guide. Un vrai défi pour les prochaines années : comment séduire le plus de monde en restant authentique ?

Prendre de l’altitude

Là où nous nous rendons, cette question ne se pose pas encore. Et ne se posera certainement jamais. Car là-bas, sur les cimes du Doi Ang Khang, montagne luxuriante perdue dans la forêt tropicale, l’authenticité de l’environnement est préservée du tourisme de masse. Simplement parce que la route qui permet de rejoindre Angkhang depuis Chiangmai est longue et inaccessible aux autocars. Les belles choses ont un prix : déjà, à elles seules, ces trois heures de route valent leur pesant d’or. Plus on s’enfonce sur la Highway 107, plus la nature reprend ses droits et impose son exubérance. On croise bien quelques villages confettis, une poignée de pick-up bondés de jeunes semeurs de riz et une série de mobylettes désespérées, mais ce sont les rizières infinies, les acacias, les boucaniers, les manguiers, les palmiers et les innombrables bananiers qui règnent ici en maîtres. Puis surgit une bourgade dominée par un petit marché animé où les producteurs vendent directement leurs produits aux consommateurs locaux. Nous sommes à Mae Malai.  » Si vous voulez vraiment manger thaï, c’est ici qu’il faut s’arrêter « , conseille Kruthong. A peine la porte du van ouverte, des odeurs de citronnelle, de coriandre fraîchement coupée et de volailles grillées, embaument l’air. Les étals se colorent d’improbables fruits et légumes sauvages qu’on ne trouve même pas à Chiangmai. On y dormirait.

A 25 kilomètres de la ville de Fang, on quitte finalement la 107 pour attaquer la très sinueuse route 1249, le chemin le plus court vers le Doi Angkkhang. Le silence s’installe dans la brume. Les virages se négocient ferme. Le dénivelé s’accentue. Le van cale à deux reprises. Il faut le pousser. On ne le regrette pas, quand, arrivé à 1 600 mètres d’altitude, les confortables bungalows de l’Amari Angkhang Nature Resort surgissent de nulle part. En plein c£ur de la forêt, cet hôtel au confort inattendu a de quoi surprendre.  » Mais on n’a pas de spa, pas de piscine et pas de bibliothèque, ici on sort !  » prévient d’emblée Makoo, le directeur de l’hôtel. Point de chute pour les amateurs de trekkings pointus, l’établissement est aussi fréquenté par les Thaïlandais :  » Parce que nous profitons d’un microclimat tempéré très rare chez nous, précise Makoo. Et parce que tous les Thaïs aimeraient venir voir un jour tout ce que leur roi a fait ici pour aider les tribus des montagnes.  »

La région, peuplée de nombreux villages de paysans semi-nomades venus de Chine, du Tibet et de la Birmanie toute proche, bénéficie en effet des aides de la  » Royal Project Foundation « . Mis sur pied il y a vingt-cinq ans par Bhumibol Rama IX, ce programme d’aide humanitaire avait pour but initial d’aider les tribus à remplacer la culture du pavot par la production, moins problématique, des fruits, de légumes et de fleurs. Si l’opium semble aujourd’hui totalement éradiqué, Angkhang était il y a peu encore considérée comme la plaque tournante du trafic de drogue entre la Birmanie et la Thaïlande. «  A l’époque, on les pourchassait, raconte Makoo, mais le roi a déclaré « laissons leur le temps de se sédentariser et de devenir thaïs ». Résultat : les enfants reçoivent une carte d’identité et apprennent à lire et à écrire. C’est rare, mais j’en connais même qui sont partis étudier l’agronomie à l’Université de Chiangmai « , sourit le directeur de l’hôtel qui s’est par ailleurs engagé dans le cadre du même projet à former de jeunes montagnards au métier de guide bilingue pour accompagner les amateurs de soft trekking.

A flanc de colline, les serres royales témoignent de la reconversion des cultures. On y trouve des roses, des orchidées, des chrysanthèmes, des rhododendrons, diverses variétés de thés, des fruits exotiques. Mais aussi beaucoup de fruits et de légumes communs en Europe, qui bénéficient des excellentes conditions climatiques de l’endroit. Les fraises ou les carottes sont ici comme chez elles… Tous ces produits bio portent le label Doi Kham et sont exportés dans le reste de la Thaïlande et à l’étranger. Aujourd’hui actifs dans le grand circuit de la mondialisation, les villages de Khobdong, Norlae, Bannkhum, Pang Ma et Bann Luang ne perdent pas pour autant leur originalité. Sur la frontière birmane, à Norlae, les familles Palong d’origine tibétaine logent encore exclusivement dans de menues maisons de bois fondues dans la verdure. Et les coutumes animistes continuent de ponctuer leur quotidien. Sous le regard étonné des enfants peu habitués aux touristes, on est accueilli par des jeunes filles en costumes traditionnels accomplissant solennellement une danse cérémonielle rythmée par le son syncopé du gong et du tambour. L’accueil est aussi courtois au village Lahu (tibéto-birman) de Khob Dong. Lors de notre visite, un cochon est sacrifié pour éloigner la fièvre qui menace le vieux chef du village. Ce qui ne l’empêche pas de nous inviter à partager le thé dans sa maison sur pilotis. Plongé dans l’obscurité, à peine éclairé par un feu qui crépite au beau milieu de la pièce, on se fraye une place entre les dizaines de femmes qui veillent sur lui. Il insiste pour nous servir le thé lui-même. Un moment rare.

Baudouin Galler

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