Bidoche et bijoux, bouchers et fashionistas, chambre froide et salon privé. Le dernier quartier à la mode au cour de Big Apple concentre juste ce qu’il faut 7de décadence et de branchitude, dans une atmosphère sanguine et satinée.

Carnet de voyage en page 82.

Il y a toujours une bonne raison d’aller dans le Meatpacking District. Ne pas y aller serait même une faute de goût. Et question goût et odeurs, on s’y connaît dans ce quartier des équarisseurs et des bouchers, établi sur le site d’un ancien marché. Aujourd’hui, tout ce qui se crée à New York est forcément condensé ici, à l’intersection de la 9e avenue et de la 14e rue. C’est le dernier périmètre à la mode, symbole du renouveau de la création et de la consommation, né sur les cendres du 11 septembre.

Pourtant, il y a moins de vingt ans, ce petit bout de ville, étranglé entre Chelsea et le Village, remisé le long de la rivière Hudson, était le dernier des endroits branchés. Repaire décrépit et malodorant des bouchers le jour, il concentrait la nuit tout ce que la ville compte de travestis, drag-queens et prostituées. C’était le quartier de la débauche et des boîtes de strip-tease. Un bas-fond sordide, malfamé, infréquentable pour le commun des mortels !

Aujourd’hui, il n’y a plus de prostituées, mais la destination s’enorgueillit toujours de divertir le chaland du matin au soir et du soir au matin. En l’espace de deux ou trois ans, des dizaines de boutiques haut de gamme, des clubs sélects, des hôtels de luxe et des restaurants branchés ont vu le jour dans des entrepôts désaffectés. Derrière les hauts rideaux métalliques et les lourdes portes coulissantes, les travaux de rénovation des anciens hangars vont bon train pour accueillir des galeries d’art contemporain et de nouveaux espaces de bureaux.

Les designers en vogue

A l’image de la rue Antoine Dansaert à Bruxelles, ou des quais à Lisbonne, artistes et visionnaires ont jeté leur dévolu sur cette zone en marge. Tribeca, Noho et Nolita sont déjà en partie périmés comparés au Meatpacking District tout frais, ou MPD, pour les habitués. Une vague de nouveaux créateurs, toujours en quête d’espaces innovants et d’atmosphère inédite, en ont fait leur dernier lieu de prédilection. Ce n’est sans doute pas un hasard si les deux couturiers britanniques Stella McCartney et Alexander McQueen y ont inauguré leur seule et unique boutique new-yorkaise, à quelques jours d’intervalle. Chez Stella McCartney, sur la 14e rue, une rangée de mannequins gracieux salue au passage la clientèle. En face, les ateliers d’équarrissage sont toujours debout. La boutique, tout en courbes et miroirs, inspire repos et romantisme, à l’image des collections soyeuses aux tons pastel de l’ancienne créatrice de la marque Chloé. Les cabines d’essayage reflètent adéquatement le monde de la fille de Paul : mots doux, souvenirs et objets fétiches personnalisent chaque espace.

Jouxtant sa cons£ur, le couturier Alexander McQueen a opté pour une vitrine non siglée. Les parois et les structures moulées réfléchissent une lumière crue. Le rythme techno et les détails hypermodernes de la collection donnent à l’ensemble de la boutique un air de vaisseau futuriste. Un numéro plus loin, les dessous chics et intimes de la sublime marque italienne La Perla ajoutent mystère et inspiration sur ce tronçon de la 14e rue. La boutique tendue de mauve et de noir semble lancer un clin d’£il à la file de camions frigorifiques qui attendent quotidiennement leur nouveau chargement de viande fraîche.

La créatrice d’origine belge Diane Von Furstenberg a eu un coup de foudre pour les structures rouillées et les vieux ateliers du MPD. Elle y dispose d’un large loft polyvalent qui lui sert de boutique, d’atelier de couture et de showroom. Egérie d’Andy Warhol, l’ancien mannequin y reçoit toute l’élite new-yorkaise. Au mur, le visage de Diane se décuple en couleurs chaudes sur les impressionnantes lithographies conçues par son ami Warhol.

Parmi les derniers venus, on ne peut manquer l’exceptionnel espace de la créatrice française Catherine Malandrino. Dans ce magasin de plus de 150 m2 sur Hudson Street, on passera sous un impressionnant lustre formé de gouttes de verre, réalisé en collaboration avec l’architecte Christophe Pillet. Pour l’automne, Catherine Malandrino propose beaucoup de broderies et des gilets aux manches amples, inspirés de Claudine, l’héroïne de Colette, la célèbre auteure française du xxe siècle. Catherine Malandrino innove aussi en introduisant le concept du Midi-Minuit. Chaque vendredi et samedi, la boutique reste ouverte jusqu’au milieu de la nuit !

Calypso, la boutique de Christiane Celle, une autre Française, fait l’effet d’un arc-en-ciel. Ses coupes évaporées sont dignes de la Croisette, et les tenues acidulées sont rangées par couleur : marron, mauve, turquoise, vert émeraude, jaune, blanc. On trouve toujours une paire d’escarpins ou de hautes bottes de cuir à bout rond, grande tendance de l’hiver, pour jouer les coordonnés. Un mur entier est dédié à la collection des parfums Calypso, au muguet, à la vanille, au jasmin, chèvrefeuille, violette, mimosa…

Un peu plus loin sur Hudson Street, le supermodel danois Helena Christensen, qui vit dans le quartier, a ouvert sa propre enseigne baptisée Butik (boutique en danois). Ce petit antre aux briques apparentes condense l’univers d’Helena et de son ami de longue date, un fleuriste de Copenhague. Antiquités, robes en dentelle, fleurs et chocolats fins sont disposés délicatement dans une ambiance qui rappelle celle d’un vieil atelier ou d’une maison de campagne.

Pour les enfants, on ne ratera pas le magasin de jouets d’avant-garde Yoyamart. On y trouve la dernière tendance des joujoux urbains ou  » designers toys « . Des robots articulés ou des peluches dernier cri pensés par des artistes-concepteurs.  » Notre magasin a été conçu pour que les pères puissent faire du shopping avec leurs enfants. Nous vendons des tee-shirts siglés pour les petits à partir de 2 ans, mais nous disposons aussi de la taille adulte « , déclare Stéphane Gerbier, un des fondateurs. Yoyamart propose encore une collection de DVD appropriée à l’enfant comme à ses parents.

En retournant sur nos pas vers le c£ur du Meatpacking District, on replonge dans l’atmosphère sanguine de cet épicentre du commerce de viande en gros, depuis 1930. Les engins frigorifiques stationnent et s’accouplent aux quais de chargement. Toutes les façades supportent des auvents métalliques sur lesquels coulissent des rails. Tôt le matin, ces rails rouillés, munis de crochets, entrent en action pour un ballet atypique. D’énormes pièces de viande se mettent à danser et virer au-dessus des têtes. Des colosses en blouse blanche mènent le bal, leurs efforts ponctués par des coups de gueules et de profonds râles. Ces hommes travaillent à répartir la marchandise, en partance pour les boucheries du grand New York.

Le thème de l’activité première de ce marché carné reste d’ailleurs subtilement présent à travers certaines enseignes. On ne peut manquer la devanture frappée de lettres orange du Meat Supermarket, la grande épicerie du coin. La boutique Boucher Jewelry propose des bijoux en pierres précieuses et en or 18 carats. Au restaurant italien Macelleria (boucherie en italien), on dîne dans un ancien cellier. Une clientèle branchée se donne rendez-vous au Meet, (jeux de mot avec meat, viande en anglais). Jouxtant un atelier de découpage, cet espace raffiné et minimaliste est apprécié pour ses cocktails que l’on déguste sur des poufs en cuir d’autruche.

A midi, les terrasses et les restaurants se remplissent. La clientèle du monde des affaires – Wall Street n’est pas si loin – n’hésite pas à faire un saut dépaysant jusque dans le MPD. Comme il se doit, on peut y déguster de bons steaks, notamment au Old Homestead, le plus vieux  » steakhouse  » de New York. L’établissement s’impose à l’entrée du Meatpacking District depuis 1868, et sert les plus copieux hamburgers de la ville. A l’inverse, son voisin, le très minimaliste Pop Burger, un fast-food  » lounge  » avec musique techno et bar vitaminé, sert des  » baby burgers  » de 5 cm de diamètre. Le  » diner  » du Français Florent, personnage bien connu de la scène gay est un des piliers du quartier depuis vingt ans. On peut s’offrir 24h/24 un en-cas roboratif sur son vieux bar en zinc des années 1940.

La terrasse de la brasserie Pastis est certainement la plus prisée. On ne peut s’empêcher d’y chercher des yeux un visage célèbre. Dans une rue perpendiculaire habite Carrie, l’héroïne de la série américaine  » Sex in the City « . Sarah Jessica Parker, l’actrice qui l’incarne, a également adopté le quartier, de même que l’actrice Julian Moore. En sortant de table, il n’est pas rare d’ailleurs d’assister à un  » shooting  » de mode ou au tournage d’un film. Les câbles électriques envahissent alors les trottoirs. Les projecteurs et les ventilateurs se mettent en marche. Le directeur photo crie ses instructions. Tous les yeux sont braqués sur la silhouette longiligne d’un mannequin ou d’une actrice qui reprend mille fois la pose. Au Woofspa sur le trottoir d’en face, la star, c’est votre canin. Il ressortira de ce salon spécialisé, épilé, manucuré et parfumé, mais aussi plus détendu grâce à des massages ou à des cours de yoga.

Le soir, c’est une nouvelle faune qui descend des taxis et des limousines. Au restaurant Spice, de larges ouvertures dans le décor oriental permettent à la clientèle branchée de voir et d’être vue, même depuis la rue. La dernière adresse du chef français chouchou des Américains, Jean-George Vongerichten, est certainement la plus exotique et la plus branchée du quartier. Le menu, d’inspiration asiatique, est créatif et d’une grande finesse. Les meubles en bois sculptés et les grandes tapisseries ajoutent à l’expérience unique d’un dîner chez Spice.

Son concurrent, le Rhône, est un mélange hybride entre un bar, un restaurant et un  » lounge « . L’espace est délimité par de hauts murs de béton brut se rejoignant par une verrière zénithale. On y sert des plats  » fusion  » sur fond de concerts live de musique techno. La carte des vins se compose de crus français et italiens. Pour dormir, on hésitera entre le Gansevoort Hotel, avec son toit terrasse surplombant la baie de l’Hudson ou bien l’architecture contemporaine mais chaleureuse du Maritime Hotel. Quelques happy few auront le privilège de descendre au très sélect hôtel-club Soho House (frère jumeau du célèbre club londonien), à condition toutefois d’être muni de la très exclusive carte de membre d’une valeur de 1 100 dollars l’année (880 euros) ! D’apéritifs en cocktails, la soirée se prolongera tard, peut-être même jusqu’à l’arrivée des premiers bouchers…

Elodie Perrodil

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