Nouveau départ: comment les labels se réinventent

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La manoeuvre était déjà en marche et la pandémie a accéléré le mouvement: la planète fashion se remet en question. Du créateur éphémère aux gadgets griffés: voici cinq phénomènes qui ont marqué l’année écoulée, et qui ne sont pas près de s’arrêter.

Allô la mode, comment ça va après une année de pandémie? Force est de constater que les mauvaises nouvelles pleuvent, à commencer par les rues commerçantes qui ne comptent plus les fermetures. H&M s’apprête à supprimer deux de ses trois enseignes sur le Meir anversois. En Grande-Bretagne, des chaînes mythiques comme Debenhams et Topshop ont été reprises par les géants du Net au cours des dernières semaines. Ici et là des marques disparaissent, de Sies Marjan jusque Virginia Ashley. Heureusement, les mesures de soutien des gouvernements de multiples de pays ont permis de réduire le nombre de faillites dans maints domaines. Mais rien n’est gagné, le pire reste à venir.

Avant la Covid, dans l’industrie textile, on se plaignait souvent du rythme effréné. On blâmait la surabondance des collections, des précollections, des « drops »… Aujourd’hui, les Fashion Weeks ont survécu à la pandémie, même si elles sont en grande partie passées au numérique (lire par ailleurs). Toutefois de nombreuses marques comme Gucci, Saint Laurent ou encore Celine présentent désormais leur vestiaire quand cela leur chante. Le résultat? C’est la confusion pour les fashionistas. Les vêtements dans la vidéo qui fait le buzz sur Instagram sont-ils en vente pour l’hiver prochain, pour cet été ou tout de suite? Est-ce important finalement?

Tout au long de 2020, les acteurs et observateurs ont souvent évoqué le fait que ce fonctionnement devait changer, et que la crise sanitaire pourrait mener à une « slow fashion », plus verte et plus locale, qui traiterait bien (ou du moins mieux) les travailleurs textiles. Evidemment cette révolution n’est pas prévue pour demain. Mais il est certain que rien ne sera jamais plus comme avant.

N°1 – duo gagnant

Les créations « pop-up » confirment leur potentiel. L’idée? Faire collaborer deux noms ou marques, le temps d’une saison, pour un résultat éphémère mais puissant. Ainsi Christian Lacroix a accueilli Dries Van Noten pour son été 20. Et Jean Paul Gaultier, qui flirte avec la marque nipponne Sacai depuis un an, aurait désormais en ligne de mire le Belge Glenn Martens.

Dries Van Noten
Dries Van Noten© SDP

Certes les collabs ne sont pas nouvelles dans le milieu. En 2004 déjà, Karl Lagerfeld avait travaillé avec H&M. Et Pierpaolo Piccioli de Valentino s’est un temps associé à Jun Takahashi d’Undercover. Ces rencontres inattendues sont souvent plus que de simples opérations de marketing, surtout si le résultat est convaincant et que la fusion se fait dans le respect des deux parties.

On retrouve également ce type de partenariats éphémères lorsque les marques n’ont plus confiance en un directeur artistique et préfèrent en changer régulièrement. Chez Pucci comme chez Trussardi, les dernières collections ont été développées par des noms différents: Koché et Tomo Koizumi pour la première et de jeunes inconnus pour la deuxième. Quant à Diesel, il donnait chaque année carte blanche à un créateur depuis le lancement de la ligne Red Tag. Désormais, le projet a été abandonné mais un de ces créateurs, Glenn Martens, a pris définitivement les rênes. Moncler va un pas plus loin. En 2018, la marque a lancé l’ambitieux projet Genius, une suite interminable de collections capsules signées par, entre autres, Jonathan Anderson, Craig Green, Simone Rocha, Pierpaolo Piccioli… De quoi rompre clairement l’uniformité de la ligne.

Pucci
Pucci© SDP

Une formule d’avenir donc? A voir, car si un duo comme celui de Dries Van Noten et Christian Lacroix est d’office prometteur, cette stratégie est délicate pour une marque en déclin comme Trussardi, tombée aujourd’hui dans l’oubli ou presque. Changer la tête pensante tous les six mois ne contribue pas à l’amélioration de l’image, tout au plus cela apporte-t-il un peu de visibilité au fil de posts et stories. Reste qu’un point de vue extérieur peut être enrichissant sur le plan créatif. Et que le futur pourrait dès lors nous réserver des binômes de haute voltige, à l’image du tandem formé par Miuccia Prada et le Belge Raf Simons, officialisé l’an passé. A voir comment tout cela peut toutefois tenir sur la longueur, car dans ce cas précis, Raf Simons a déchaîné ses tics sur l’univers esthétique de Prada, mais on cherche toujours l’étincelle…

N°2 – Copie conforme

Autre phénomène dans l’air du temps: les rééditions. Très courantes dans les labels sportifs – on pense par exemple à Nike et Adidas et leurs sneakers redéclinées à l’envi -, elles touchent désormais l’ensemble du secteur de la mode. L’année dernière, pour les 25 ans de sa marque, Raf Simons ressortait une bonne centaine de ses pièces originales. Cette ligne Archive Redux est toujours disponible en magasin et semble être un réel succès. Il faut dire que depuis des années, les parkas et bombers du couturier se vendent à des prix exorbitants en seconde main. Cela montre une réelle demande pour des pièces phares comme celles-là.

Raf Simons 2002
Raf Simons 2002© SDP

Gucci lui emboîte d’ailleurs le pas. Dans la série de films Ouverture of Something That Never Ended, tournée pour la maison italienne par Gus Van Sant, on peut apercevoir quelques tenues issues de la toute première collection d’Alessandro Michele, il y a cinq ans – une éternité dans le monde de la mode. Prada, Versace, Helmut Lang, Marc Jacobs et même Zara ont également exhumé du placard les grands classiques des saisons passées. « Nous ne voulions pas nécessairement retourner aux sources, mais simplement affirmer qui nous sommes », a déclaré Miuccia Prada. Depuis le décès d’Azzedine Alaïa, il y a plus de trois ans, la marque du même nom se nourrissait, quant à elle, d’anciens croquis du couturier. A l’aide du Belge Pieter Mulier, la maison a enfin trouvé un successeur. Une marque de mode ne peut, sans conteste, pas éternellement vivre dans le passé. D’autant que pour les vrais fans, une reproduction n’a évidemment rien à voir avec une pièce originale.

Alaïa
Alaïa© SDP

N°3 – Option full gadgets

Saint Laurent Rive Droite, la boutique de la marque de luxe établie dans les anciens locaux de Colette à Paris, donne désormais l’impression d’un magasin de souvenirs amélioré. On y trouve des cadenas de vélo, des skateboards, des Rubik’s Cubes, des clés USB, des tire-bouchons et même des préservatifs… à 2 euros, et en rupture de stock! Le tout floqué du logo de la marque évidemment. Même constat dans la section « Everything else » de l’e-store Ssense: on y déniche vraiment de tout, même un ballon de foot américain griffé Versace et des colliers pour chiens Thom Browne, Paul Smith ou Marine Serre, coûtant respectivement 135, 180 et 535 dollars. Sans parler de la marque de streetwear Supreme qui surclasse tout le monde, allant jusqu’à convaincre ses fans d’acheter… une brique avec son logo!

Versace
Versace© SDP

Aucun vêtement à l’horizon non plus, lors du lancement de la boutique en ligne de Raf Simons début de cette année. Par contre, on y retrouvait des bougies (environ 400 euros), des couvertures décorées de badges (2.000 euros), ainsi que des exemplaires de son livre autrefois en rupture de stock (pas gratuit non plus). Le créateur a baptisé sa boutique History of My World et tout y est déjà vendu…

Saint Laurent
Saint Laurent© SDP

Ce tsunami d’objets de designer fait clairement penser au procédé de Pierre Cardin – décédé le mois passé et qui, durant sa période de gloire dans les années 60 et 70, faisait business avec près de huit cents fabricants dans cent quarante pays. Son nom trônait partout, des paquets de mouchoirs aux barres chocolatées en passant par les cigarettes et les combinaisons spatiales. Cardin est devenu fabuleusement riche; et tout le milieu a suivi ses traces, de Dior à Gucci. L’histoire a duré jusque dans les années 90 avant que la plupart des maisons ne mettent fin à ces contrats atypiques… Jusqu’à ce que le balancier reparte dans l’autre sens à nouveau. Un porte-gobelet Starbucks en cuir de chez Louis Vuitton? J’achète!

Louis Vuitton
Louis Vuitton© SDP

N°4 – Société écrans

Même si les vrais défilés avec public reviendront un jour, les Fashion Weeks numériques ne disparaîtront pas. Depuis le milieu de l’année dernière, les présentations des griffes se déroulent principalement dans le cyber-espace: sites Internet, Instagram, YouTube, TikTok remplacent en bonne partie les catwalks. Et la Toile s’avère un instrument exceptionnel pour atteindre un public plus large. Cela profite aux groupes de luxe qui ont les poches déjà bien remplies, mais pour les petites marques indépendantes, par contre, cette e-promotion est plus compliquée.

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Si certaines maisons s’essayent également au cinéma, à l’instar de Dior, d’autres diffusent simplement un défilé traditionnel, une alternative sans doute moins risquée, qui met les vêtements en avant plus que l’ambiance.

N°4 - Extrait de Dior Haute Couture SS21, par Matteo Garrone.
N°4 – Extrait de Dior Haute Couture SS21, par Matteo Garrone.© SDP

Durant la première Fashion Week numérique, à la rentrée dernière, les vidéos duraient 10 minutes, voire plus: Prada avait fait tourner cinq films par cinq réalisateurs alors que Gucci était même resté en live durant 24 heures! En ce début 2021, on a constaté plus de retenue, pour la Semaine de la mode Homme et celle de la haute couture, avec des séquences de 2 à 5 minutes.

La télévision « à l’ancienne » a aussi inspiré des créateurs, comme Alber Elbaz qui a lancé son label (lire par ailleurs) par le biais d’une parodie de talk-show. Off-White a simulé un univers alternatif. Et Miuccia Prada et Raf Simons ont organisé, après leur présentation, un débat avec des étudiants en mode du monde entier.

Extrait de Prada Multiple Views SS21, par Joanna Piotrowska.
Extrait de Prada Multiple Views SS21, par Joanna Piotrowska.© SDP

N°5 – Sans frontières

Alors que la situation actuelle paralyse nos voyages, la mode, elle, continue de traverser la planète. Et permet de prendre le large, même de son canapé! La preuve par trois jeunes labels dont les idées innovantes cheminent jusqu’à nous.

Liberal Youth Ministry
Liberal Youth Ministry© SDP

1. Liberal Youth Ministry

Où ? Guadalajara, Mexique

Qui? Antonio Zaragoza, 27 ans, a lancé Liberal Youth Ministry en 2016. « J’étais le petit rockeur de la classe alors que tous les autres garçons écoutaient du reggaeton. Je désirais créer des vêtements pour ceux qui, comme moi, écoutaient The Velvet Underground seuls dans leur chambre. J’ai puisé mon inspiration dans la musique et dans les films de Harmony Korine et Gus Van Sant, le côté sombre de l’Amérique. Quand j’étudiais la mode, j’étais inspiré par les Six d’Anvers. Je me reconnaissais dans les côtés grunge d’un Martin Margiela, d’une Ann Demeulemeester ou d’un Raf Simons de l’époque. Auparavant, je ne connaissais que Dior et Chanel et puis j’ai découvert que la mode pouvait être tout autre. » Fin de l’année dernière, Zaragoza a épousé Kenia Filippini, qui, elle, a travaillé chez Chanel et développe à présent une ligne Femme avec une « dream yoga vibe ».

Points de vente? Dans les magasins Dover Street Market et Le Printemps à Paris mais également chez Antonioli à Milan et en ligne chez Ssense.

Ponder.er
Ponder.er© SDP

2. Ponder.er

Où? Hong Kong

Qui? Alex Pokalam et Derek Cheng de Ponder.er se sont rencontrés au Central Saint Martins College, à Londres. Le premier, spécialiste du tricot, a suivi un stage chez Christian Wijnants à Anvers. En 2019, il est rentré à Hong Kong où il a lancé son label, avec son ami. « Dans notre jeunesse, nous n’étions pas les garçons les plus viriles du monde. Cela se reflète dans nos vêtements. Nous désirons exprimer ce que la mode Homme peut être aujourd’hui. La définition de la masculinité est différente pour chacun. Notre collection été s’inspire des publicités de cigarettes vintage des années 50 et de ses archétypes. Nous apportons un vent de fraîcheur et de neutralité sur ces looks de cow-boy macho. »

Points de vente? Surtout en Chine mais également sur leur webshop. La boutique londonienne très influente Machina-A vend les accessoires de leur collaboration avec Sweetlimejuice.

Youths In Balaclava
Youths In Balaclava© SDP

3. Youths In Balaclava

Où ? Singapour

Qui? « J’ai commencé Youths In Balaclava il y a cinq ans, alors que j’étais toujours à l’école secondaire », raconte Taufyq Iskandar, âgé de 21 ans et leader d’un collectif composé de treize jeunes. « La mode est très délimitée à Singapour. J’avais envie d’apprendre le fonctionnement de cette industrie mais je n’en avais pas la chance. Rien que d’assister à un défilé semblait impossible. Avec une bande de copains, nous avons décidé de faire les choses à notre manière. Nous avons même organisé un show sur le toit d’un restaurant abandonné. » Lorsque nous lui avons parlé, Iskandar et certains de ses camarades effectuaient leur service militaire obligatoire. « Le manque de temps est un réel défi. Dès que nous serons démobilisés, nous pourrons dédier tout notre temps à Youths In Balaclava. Nous pourrons alors montrer de quoi nous sommes capables. Nous sommes treize ; nous développons nos idées et devenons plus forts ensemble. »

Points de vente? Une cinquantaine d’endroits à travers le monde, dont Louis à Anvers.

youthsinbalaclava.com

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