Qui a dit que la capitale du Grand-Duché était triste comme la pluie ? à contre-courant du cliché éculé de ville grise peuplée de costumes cravates dépressifs et pressés, Luxembourg s’illustre à travers une offre culturelle pointue et un art de vivre de très bon aloi. Nos adresses.

Imaginez la scène. C’est l’anniversaire de votre moitié. Vous lui tendez une enveloppe. Dedans, un carton avec dessus écrit :  » Bon pour un city-trip en amoureux à Luxembourg « . Pour prouver qu’il ne s’agit en rien d’une blague ou d’une manière lâche et tordue de provoquer la rupture, il faudra juste convaincre Trésor de monter dans un des trains qui relient quotidiennement la capitale du Grand- Duché. Et lire cet article en amont, naturellement. Car pour mettre à profit le potentiel romantique et culturel de cette petite cité réputée ennuyeuse, il vaut mieux connaître quelques bons plans – Luxembourg n’a pas l’évidence d’une Barcelone, on vous l’accorde. Et ses habitants aussi. Qui disent à l’unisson que leur ville vaut la peine d’être vécue à condition de se mettre dans les pas d’un  » insider « . Grâce à votre serviteur donc, vous devriez faire carton plein et rempiler pour quelques années d’amour fou.

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Première initiative dès votre arrivée, se rappeler le refrain d’ Été 67 et éviter le quartier de la gare –  » dans toutes les villes du monde, il est toujours le plus immonde  » – pour filer directement vers le centre historique, charmant prélude architectural à fredonner à pied, la zone est faite pour ça. Quand quelques rayons daignent darder les venelles aux murs ocre qui côtoient le Marché-aux-Poissons, très justement rebaptisé îlot gastronomique, il y a du soleil d’Italie qui descendrait l’Alzette.

Difficile de croire qu’au crépuscule, le centre sera silencieux comme dans un western spaghetti avant la fusillade. à midi, dans les grandes artères commerçantes qui bordent les places d’Armes et Guillaume II, pivots de la ville haute, le monde grouille. 130 000 frontaliers, découragés par le prix de l’immobilier exorbitant du Grand-Duché, préfèrent venir quotidiennement d’Allemagne, de Belgique et de France. Du coup, les adresses de bouche font le gros de leur beurre au moment du déjeuner. Parmi les cantines qui affichent alors complet, la terrasse du Chiggeri, adresse gourmande dotée d’une plantureuse carte de vins inscrite au Guinness Book et d’une vue trois étoiles sur le Plateau du Kirchberg, berceau des institutions financières et européennes, est l’endroit tout trouvé pour gagner vos premiers points auprès de Trésor. Pendant que les banquiers et les eurocrates s’affairent, là-bas, de l’autre côté de la vallée, commandez donc un vin israélien ou brésilien au patron, Bruno Méril.

Meilleur sommelier du Luxembourg, ce petit Breton à l’£il malicieux est venu grossir il y a quinze ans l’impressionnant contingent d’étrangers qui réside ici (42 % de la population). Il fait partie des résistants fêtards qui électrisent la discrète mais qualitative night luxo : tous les vendredis et samedis, jusqu’à 3 heures du matin, Bruno Méril nargue les autocollants  » Le bruit nuit à la nuit  » scotchés un peu partout dans le centre.  » à 21 heures, les rues sont désertes, mais les gens font la fête comme partout, faut pas croire, lâche-t-il, amusé. Faut juste connaître les points d’animation. Revenez ce soir, vous les verrez les mecs, déchaînés sur les tables. « 

Dans l’obscurité silencieuse qui embaume la ville à l’heure où les gens sages vont se coucher, d’autres repaires plus ou moins secrets dévoilent effectivement un joli potentiel festif. Pour une soirée alternative, on posera le coude sur le zinc du d.qliq à écouter quelque concert d’indie rock ou d’électro en sirotant une Diekirch bien fraîche. Pour une boum sapée Tom Ford, on choisira le Palais, bar lounge à l’ambiance internationale. Et si l’atmosphère semble trop lisse, on poussera la porte du petit voisin moins apprêté, l’Urban, pub anglais où le Strongbow coule directement du fût et les tubes du moment couvrent les commentaires des matchs de foot diffusés sur grand écran.

On évitera par contre les Rives de Clausen, dans le bas de la ville. Cette espèce de Disneyland de la teuf taillé pour les ados ressemble à une grande surface sous boule à facettes, sans charmes et sans reliefs. En revanche, on ne jettera pas l’ensemble de la ville basse aux orties, loin de là. à deux pas de Clausen, le quartier du Grund paresse joliment, les pieds dans l’Alzette, à l’ombre des casemates et de l’imposant rocher du Bock. Historiquement lieu de résidence des artisans, ce village urbain est devenu un endroit très prisé par la bourgeoisie locale avec ses petites maisons de caractère barbotant dans la rivière.

L’une d’elles abrite le Mosconi, restaurant italien 2-étoiles, que l’influent critique gastronomique français Gilles Pudlowski a sanctionné d’un bénéfique  » meilleur restaurant italien d’Europe du Nord « . On y trouve aussi de quoi s’encanailler élégamment, entre concert de blues au Liquid Café et Guinness Book à gogo au Oscar Wilde’s Irish Pub. Histoire de ne pas usurper la référence au dandy irlandais, le Grund célèbre par ailleurs Mère Culture. L’abbaye de Neumünster y loge en effet un Centre culturel de rencontre qui propose entre autres des brunchs jazzy le dimanche matin, des spectacles en plein air, comme l’électro contemplative des Islandais de Sigur Rós récemment, des conférences ou encore des ateliers pour jeunes artistes.

Faire le plein de culture

A cet égard, Luxembourg a bien changé. Capitale européenne de la culture une première fois en 1995, puis en 2007, la ville fait montre d’un dynamisme remarquable et d’un goût exquis en matière de programmation artistique.  » Je n’ai pas peur d’affirmer que nous sommes la seule ville de La Grande Région qui peut se targuer de jouer dans la cour des grands sur le marché de l’art international. On doit prendre conscience de cette chance « , claironne Alex Reding, de la galerie d’art contemporain Nosbaum & Reding, située dans le centre historique. à l’instar de sa voisine Gilbert Ceysson et de la demi-douzaine de galeries luxembourgeoises représentées dans les grandes foires européennes, Nosbaum & Reding profite de sa place frontalière stratégique et d’une clientèle Visa Platinum.

Mais l’argent ne fait pas tout. Depuis quelques années, le grand public a accès à une offre très pointue, sans forcément tomber dans la pseudo-érudition snob des nouveaux nantis. Prenez le Casino. Ce Forum d’art contemporain invite le pékin à s’immerger au c£ur de la jeune création plastique dans un esprit décoincé du cortex. Kevin Muhlen, directeur artistique :  » Nous sommes une ASBL subventionnée par l’État pour monter des expos de création actuelle, on possède une bibliothèque, on accueille des artistes en résidence, mais on a un esprit festif, vous voulez voir nos caves ? Après les vernissages, elles se transforment souvent en cave à vinà  » Dans un registre davantage bon teint, la villa Vauban vient tout juste d’être réaffectée en Musée d’art de la ville de Luxembourg. Doublée d’une structure architecturale contemporaine, ce bâtiment néoclassique est désormais dévolu aux expositions d’art ancien. Actuellement, on peut ainsi y goûter une belle tranche de peinture de genre hollandaise, avec des prêts exceptionnels venus tout droit du Rijksmuseum d’Amsterdam.

Mais le summum arty se trouve sur le Plateau du Kirchberg. Impressionnante concentration de bâtiments signés par les stars de l’archi contemporaine, ce quartier abrite plusieurs institutions officielles de l’UE (Cour de Justice, Banque européenne d’investissementà), le siège de grands groupes, un complexe cinématographique, un centre sportif, un mall à l’américaine. Rien de très poétique ? C’est encore à voir – les sculptures de Richard Serra et autres Jean Dubuffet tempèrent l’austérité de ce Wall Street venteux. Et puis c’est sans compter, d’une part sur la Philarmonie, salle de concert conçue par Christian de Portzamparc (le musée Hergé à Louvain-la-Neuve, c’est lui) et d’autre part sur le Mudam, le Musée d’art moderne Grand-Duc Jean élevé par Ieoh Ming Pei (la Pyramide du Louvre, c’est lui).

Imposant vaisseau à la silhouette souple et épurée, d’une blancheur éclatante, la Philarmonie a accueilli en cinq ans d’existence une sacrée brochettes de grands noms : Jane Birkin, Daniel Barenboim, Juliette Gréco, Ornette Coleman ou encore le chef d’orchestre Riccardo Muti,  » qui a déclaré après sa prestation regretter ne pas avoir cette salle à Milan « , vante Didier Goossens, porte-parole de l’institution, renchérissant,  » avant la Philarmonie, Luxembourg n’existait pas sur la carte pour tous ces artistes. Aujourd’hui, je vous assure qu’une fois venus, ils demandent à revenir.  » C’est évidemment de la com’, mais il faut le croire. Autant le Grand Auditorium, en forme de boîte à chaussure, que l’intimiste Salle de musique de chambre, offrent une acoustique inouïe, d’une précision sonore tranchante, sans concession pour les fausses notes.

Sur la même échelle d’excellence, le Mudam honore ses cimaises à la faveur d’expos temporaires et modulables de belle tenue. Modulable comme sa boutique, c’est tout un concept, véritable caverne d’Ali Baba pour design-geeks. Dans le même ordre d’idées agréablement bobos, il y a aussi le Mudam Café. On y déguste des produits du terroir sous une tonnelle signée par les frères Bouroullec. Mis sur les rails grâce à l’expertise de Marie-Claude Beaud qui fût à l’origine de la Fondation Cartier à Paris, cet espace muséal lumineux tout en verrières et pierre calcaire est aujourd’hui dirigé par Enrico Lunghi. Ancien du Casino, l’homme vient de monter sa toute première expo, Le meilleur des mondes, une sélection racée opérée uniquement au sein de la collection propre du musée : Marina Abramovic côtoie Cindy Sherman, Katrin Freisager ou Claude Lévêque, point de déception. Ou peut-être une légère, d’un autre ordre, dans le chef du directeur :  » Aussi bien en Belgique qu’en Allemagne, on trouve que le Luxembourg et ses régions limitrophes, de la Lorraine à la Rhénanie, sont loin de tout. C’est dommage car il se passe ici plus de choses qu’on ne le pense en général. Mais grâce au Centre Pompidou-Metz, cette perception un brin injuste va, je l’espère, changer maintenant.  » Comme, assurément, votre point de vue et celui de Trésor sur Luxembourg.

Par Baudouin Galler

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