Noé Duchaufour-Lawrance: « En vacances, j’aime l’idée du vagabondage »

"J'ai un lien très fort avec le Maroc. A 21 ans, j'y ai suivi une fille pendant une année, on louait un cabanon de plage, c'était la bohème totale." © DR

Récemment installé à Lisbonne, le designer français y a trouvé l’environnement idéal pour créer en toute sérénité, avant des vacances partagées entre famille, rencontres professionnelles, road-trip et kitesurf. Entretien estival avec l’électron libre du design français.

Paris, c’est fini! Si vous cherchez Noé Duchaufour-Lawrance, vous aurez désormais plus de chance de le trouver survolant le littoral portugais, fouetté par les embruns dans sa combi, plutôt qu’en costume trois-pièces dans les soirées mondaines parisiennes. Il avait bien sa maison de campagne en Baie de Somme, pour fuir un moment la frénésie de la capitale, mais ça ne lui suffisait plus. Aujourd’hui reconnu comme l’un des plus talentueux créateurs du design hexagonal, auréolé de maints succès et distinctions, prisé par les plus grandes marques et éditeurs internationaux, il a tout simplement refusé de s’infliger un rythme qui ne lui convenait plus.

Noé Duchaufour-Lawrance
Noé Duchaufour-Lawrance© DR

Cap vers le sud, donc, et le quartier d’Estrela, à Lisbonne: c’est là que le gentleman vagabond a posé ses valises et ouvert un nouveau studio. Un cadre des plus agréables dans lequel il entend bien reprendre le contrôle de son quotidien, se ressourcer, bosser et, pas si accessoirement, pratiquer le kitesurf, sa grande passion. Lui qui jongle si facilement avec différents matériaux et techniques – ses dernières nouveautés comprennent de la laine tuftée pour les tapis Tai Ping, du cristal pour Saint-Louis, ainsi que du laiton et du verre soufflé pour Kundalini – ne cache d’ailleurs pas son impatience de « découvrir le Portugal à travers ses artisans, son artisanat ». Ça tombe bien, c’est le programme de son été, en partie du moins. Il a accepté de nous en dire plus sur ces quelques semaines de congé, et ses mots ne font que renforcer son image de baroudeur sophistiqué – un paradoxe dans lequel il se reconnaît: « Cette sophistication vient de mon amour pour les choses bien faites, la qualité de réalisation, l’attention au détail, tandis que le côté baroudeur permet de s’extraire de principes, de remettre les choses en question. Je suis quelqu’un qui déteste être enfermé dans une case, ce besoin de liberté est nécessaire à ma créativité. »

« Petit, j’étais tout le temps en train de rêver. C’est la possibilité de l’ennui qui m’a permis de créer. »© DR

Pourquoi ce déménagement?

Ça faisait des années que j’avais envie de quitter Paris. Je ne suis parisien que d’adoption, j’étais de passage. Au départ, je n’y ai pas de racines particulières, et j’y suis resté parce qu’avec les opportunités de travail, les amis, tout s’est enchaîné très vite. Puis, au bout d’un moment, je me suis dit « Mais qu’est-ce que tu fais là? C’est pas ton truc. » Pendant longtemps, j’ai cherché à partir à la campagne, j’échafaudais les scénarios d’un départ qui n’arrivait jamais.

Qu’est-ce que vous cherchiez à fuir?

J’avais envie de réalité. Je subissais la ville plus qu’elle ne m’apportait. J’avais l’impression de ne pas être à ma place, en dissociation totale, je courais d’un rendez-vous à l’autre, j’avais la sensation de passer à côté de quelque chose. J’étais invité à un nombre d’événements incroyable. C’est génial, c’est très riche, mais cette surabondance crée la frustration. C’est très étrange. Outre les instants passés en famille, le meilleur moment de ma journée, c’était mes deux heures de dessin, tous les matins, dans un café que j’adore, à côté du studio. Mon échappatoire, alors que mes journées étaient un calvaire. J’étais en quête de vérité, de sens, et pourtant tout allait bien, le boulot, les amis, j’avais plein de choses dans ma vie. Mais ça ne me correspondait plus.

Et pourquoi le Portugal?

On a pensé un moment aller à Barcelone, mais c’est une ville super saturée aussi, on s’est dit qu’on ne tiendrait pas là-bas. J’ai jeté mon dévolu sur le Portugal un jour, en revenant du Brésil, où j’étais allé faire du kite. On a passé quelques jours à Lisbonne, et on s’est vraiment aperçu qu’un truc avait complètement changé, par rapport à notre dernière visite, six ans auparavant. Un soir, j’étais bloqué à cause d’une histoire d’avion, et j’ai pris ma décision, je suis revenu à la maison et j’ai dit « On y va! »

Le pas a-t-il été plus facile à franchir à ce moment-ci de votre carrière?

Bien sûr, tout est lié. L’aspect financier, la notoriété, le fait que je ne cherche plus à prouver quelque chose, et l’envie de lâcher prise. Passé 40 ans, on commence à remettre certaines choses en question, mais pas par envie de tout mettre à la poubelle, au contraire. Là, tout était aligné. Mais j’ai certainement pris des risques que je n’aurais peut-être pas pris avant, en laissant moins de possibilités pour l’aventure et la rencontre.

Les personnalités créatives entretiennent souvent un rapport ambigu aux vacances. Quel est le vôtre?

Les vacances n’existent pas, pour moi. Parce qu’il y a toujours un chemin intellectuel, un travail en cours, chaque chose que je vois est une référence, une possibilité, une raison de se projeter. C’est ce que j’aime avant tout dans cette période, la découverte, même si c’est évidemment aussi une bonne occasion de passer de bons moments avec ma famille plutôt décomposée, de retrouver mes filles. Et ensuite, place au voyage, au retour aux sources. Cet été, je vais en Bretagne, j’ai loué une maison pour mes parents. Ils viennent de déménager aussi, alors je me suis dit que ce serait bien de tous se retrouver dans un endroit qui nous tient à coeur – là où j’ai grandi. Ensuite, on va en Suède chez des amis designers. J’aime l’idée du vagabondage. Vers mi-août, je vais revenir à Lisbonne, et comme j’ai récemment acquis un combi Volkswagen, je vais pouvoir me balader dans le pays. J’emporte le matériel de kite, de quoi dessiner, et j’irai voir les artisans avec qui on travaille ou on aimerait travailler, puis j’essaierai de faire quelques découvertes par moi-même.

« Là, je dessine « les feuilles du bois de Moselle » de la collection Folia pour la manufacture de cristal Saint-Louis. »© DR

Un programme mi-détente, mi-boulot donc?

Pour moi, tout est toujours lié. Un vrai travail n’est pas forcément un labeur, ça doit aussi être une manière de prendre du plaisir, afin de pouvoir le retranscrire. C’est un peu facile de dire ça, mais chaque moment que je passe à voyager est une super source d’inspiration. On a cet avantage en tant qu’artiste et créateur de pouvoir transformer nos douleurs comme nos bonheurs… Pour en revenir aux vacances, j’avais beaucoup de mal à en prendre auparavant; à trente ans, c’était une vraie corvée. J’en arrivais à faire des nuits blanches avant chaque départ, j’étais stressé, j’avais toujours des choses à finir en dernière minute. Et j’ai toujours un peu cette appréhension, parce qu’il y a toujours du boulot. D’ailleurs, ce que je regrette le plus, c’est de ne pas vraiment parvenir à déconnecter, des mails notamment. Je garde un oeil dessus, parce que j’ai des clients au bout du monde qui continuent à faire tourner la machine, même si je leur dis que je ne suis pas là. Mais bon, j’arrive de plus en plus à gérer cet aspect-là. Enfin, c’est aussi un moment pour essayer de m’exprimer autrement. Dernièrement, je me suis mis à faire des dessins à l’encre, ce que je ne faisais pas avant. Et j’ai fait ça au Portugal, alors que j’avais moins de stress autour de moi, moins la nécessité de produire. Ça a créé une autre dimension dans mon travail.

« Ma vieille TW125. Cette photo date d’une période où j’avais envie de faire un break, de partir à l’aventure. Le genre de moment que j’adore, j’ai besoin de cette évasion. »© DR

Quand on voit l’importance de la nature sur votre production, on se dit que votre déménagement doit influencer votre travail…

Complètement! Ça a tout changé. Je me suis rapproché de ce que j’aime, de ce qui compte vraiment pour moi. Je ne me suis pas dit « Je vais me poser là et essayer de recréer un bout de France au Portugal ». Aujourd’hui, mon but ultime, c’est de découvrir ce pays à travers mon activité. Et je ne suis pas venu pour y trouver des entreprises qui font la même chose qu’ailleurs, je suis là pour voir des gens. On va ouvrir un espace galerie, un lieu de présentation de mon travail, qui sera inauguré d’ici six mois, vers janvier. L’idée, ce sera de faire valoir cette découverte du pays, ce trajet, ces rencontres et ces savoir-faire qui ne sont pas forcément des métiers d’art, mais qui méritent d’être valorisés. En France, on a passé un cap sur la question de l’artisanat; ici, ça relève de la fonction pure ou c’est destiné aux touristes. Il y a des gens qui ont suivi leurs parents, qui travaillent là-dessus depuis qu’ils ont 14 ans et qui sont devenus maîtres sans le savoir. C’est à leur rencontre que j’ai envie d’aller. Ça permet de créer de la proximité entre la production et la consommation d’objets, de redonner du sens… En fait, je m’inspire purement de ce qui se fait déjà en gastronomie.

« Souvenir d’une séance de kitesurf à Tarifa. »© DR

C’est-à-dire?

Dans le design, on a industrialisé notre monde, on en a fait un monde global qui finalement ne crée que des problèmes. Aujourd’hui, on se rend compte que ce n’est pas une solution, ni économique, ni écologique, et que l’on ferait mieux de redonner du sens au contexte, de s’en rapprocher, de refaire confiance aux faiseurs, de leur rendre leurs lettres de noblesse. Il faut s’intéresser aux petits gestes, aux petites choses, aller les chercher là où elles sont. Et en tirant le fil, on déroule plein d’histoires, on découvre des régions et des artisans passionnés.

Et vous avez déjà un semblant d’itinéraire ou vous laisserez le hasard vous guider?

Ça ira dans tous les sens, et c’est le but. On sait qu’on marche, mais on ne sait pas vers quoi. Il y a une très belle phrase de Nicolas Bouvier qui dit: « On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait. » Je pense que c’est vraiment ça: aller vers l’inconnu, et voir ce qu’il se passe.

Sa bande-son

« La bande-son de mon été? Wow, il y en a plein. Si je ne devais citer qu’une chanson, je dirais Solo tu de Matia Bazar. C’est un titre sympathique, une chanson italienne des années 80, parfaite pour la saison. Je la cultive à longueur d’étés. A part ça, en ce moment, j’écoute beaucoup d’électro sud-américaine, des artistes comme Nicola Cruz ou Chancha Via Circuito. »

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« Mon père, polytechnicien qui a tout lâché en 1968 pour devenir sculpteur. Il a acheté une maison près d’une communauté hippie et je suis né là, sans eau ni électricité, avec le berceau suspendu aux poutres pour pas que les rats me bouffent. Il est décédé peu après. Longtemps, l’histoire de ma vie a été de retrouver des traces du père à travers mon travail. »© DR

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